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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Consultations et mémorandums (ms BIU Santé 2007) : 20

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(Consulté le 25/04/2024)

 

[Ms BIU Santé no 2007, fo 253 ro | LAT | IMG]

Observation d’un homme souffrant d’hémispasme de la face
[mémorandum, 1595] [a][1][2]

La maladie dont souffre ce très distingué trésorier de France [3] ne semble ni évidente à diagnostiquer ni très simple à soigner, ce qui n’est pourtant pas impossible. D’abord, contrairement à ce que disent presque tous les anatomistes, elle fait voir qu’un seul pannicule charnu (qu’en conséquence ils appellent muscle large et peaucier) [4] ne procure pas le mouvement à la face tout entière. L’observation qui suit m’en a fourni la preuve, fondée sur l’ordonnancement même d’un mouvement involontaire et perverti, qui a en vérité la nature d’un spasme. [1] La moitié droite de la face ne présente aucune lésion visible et se comporte tout à fait selon l’ordre de la nature ; mais la partie gauche bouge anormalement et de manière fort désordonnée : d’abord, survient inopinément une secousse involontaire de la paupière supérieure ; puis l’aile du nez du même côté se tord pareillement ; puis vient le tour de la lèvre supérieure. La paupière en premier, l’aile du nez en deuxième, la lèvre supérieure en troisième, sont ainsi attaquées tour à tour. Hors de toute volonté du patient, le mouvement atteint parfois la paupière seule, par où la crise commence toujours ; parfois elle est suivie par les deux autres parties ; et parfois, comme à la manière d’un coup de foudre, les trois parties se mettent toutes ensemble en mouvement. Il faut donc que divers muscles, dont les actions diffèrent à ce point, entrent individuellement en action, et non qu’ils se tordent d’une seule et même manière et sous une seule et même impulsion. Et voilà pour les muscles. La plupart du temps, mais moins constamment, le malade est aussi tourmenté par des tintements, des bourdonnements et des sifflements de l’oreille gauche. Il arrive encore que l’appareil et le sens de l’odorat soient obstrués, vers le processus mamillaire [5] ou vers la partie gauche de l’os ethmoïde, [6] avec perception brouillée des odeurs et écoulement bloqué de l’excrément muqueux par le nez. [2] Voilà de quoi se plaint ce très distingué personnage. Pour le reste, il se porte fort bien, s’acquittant parfaitement de toutes ses autres fonctions corporelles. Les causes d’une si pénible maladie sont exclusivement à chercher dans le domaine nerveux. Comme tout le monde sait, [Ms BIU Santé no 2007, fo 253 vo | LAT | IMG] le cerveau est divisé en deux parties, d’où naissent tous les nerfs qui transmettent les sensations et les mouvements ; [3][7] c’est ici la partie gauche, et non droite, du cerveau qui est atteinte, et seul le mouvement est corrompu, sans nulle atteinte de la sensation. Les médecins pensent depuis longtemps que par les nerfs s’écoulent non seulement l’influx destiné aux muscles, mais aussi les esprits vitaux. [8] Je dirai donc que l’altération vient d’esprits perturbés qui s’agitent en grand désordre. Voilà probablement la raison pour laquelle le matin, pendant de nombreuses heures, et par moments dans le cours de la journée, quand le patient est à jeun, il a le côté gauche de la face si calme que nul ne peut se persuader qu’il ne jouit pas d’une entière santé. Ensuite, sous l’effet d’un léger facteur déclenchant, comme quand il s’applique à des tâches difficiles, tant d’écriture que de calcul, ou quand lui vient le désir de manger, ou quand il lui arrive de parler fort longtemps, alors, comme pour donner l’alarme, la grimace de son aura commence à frétiller, [4][9] avant d’exciter la contorsion difforme et hideuse. Il faut donc en conjecturer que s’est alors accumulée cette humeur subtile qui engendre des ventosités contre nature et sème le trouble parmi les esprits natifs. En s’éparpillant jusqu’à rétrograder entièrement, ces ventosités cèdent ensuite leur place aux influences légitimes du mouvement. Mais d’où de si fougueuses ventosités peuvent-elles provenir ? Certains diront qu’elles naissent de la rate, qui est la fabrique des flatuosités et des esprits néfastes, d’où elles s’échappent vers le haut ; [10][11] d’autres affirmeront qu’elles sont transportées depuis le cerveau, qui est la source de la pituite excrémentielle, [12] par les nerfs qui traversent les orifices des os du crâne et de la face ; d’autres feront valoir qu’elles sont causées par le mauvais tempérament et la surcharge de la seule partie affectée. Ayant soigneusement palpé les deux hypocondres, [13] je les ai trouvés souples, mous et en condition satisfaisante à tous égards, sinon que le gauche était confusément tendu, ce qui est de peu d’importance : de fait, bien des gens qui ont la rate indurée sont tourmentés par des borborygmes, [5][14][15][16] mais chez eux, pourtant, rien de semblable à ces spasmes ne survient : même si leur visage est plombé, il reste harmonieux dans son mouvement naturel. La maladie avait d’abord attaqué la tête, en la frappant de douleurs intenses et prolongées ; mais cette céphalée s’étant apaisée puis ayant disparu, il semble [Ms BIU Santé no 2007, fo 254 ro | LAT | IMG] que les déversoirs en aient, d’une manière ou d’une autre, libéré le crâne en ouvrant un passage par les orifices dont j’ai parlé plus haut. L’humeur subtile qui progresse dans le cerveau doit y engendrer la production persistante de ventosités, qui alimente le mal : la principale raison pour laquelle le patient reste longtemps le matin sans être incommodé par son mouvement désordonné, est que durant la nuit qui a précédé, grâce au repos de la faculté animale, cette humeur s’est comme amollie et dissipée. Le désordre survient pourtant, non de manière continue, mais par intermittences, plus ou moins longues, parce que l’humeur subtile persiste et que des flatuosités ininterrompues en résultent. Il faut néanmoins porter grande attention aux causes prédisposantes que j’ai dites : études prolongées ou travail trop intense des yeux, prise de nourriture, parole, qui précèdent la trépidation contre nature. Qu’est-ce là d’autre, dis-je et dira-t-on, qu’une intempérie de la partie affectée avec accumulation en son sein d’un esprit malfaisant, qui se fraierait un chemin pour sortir à l’occasion du petit effort que font les maxillaires pour bouger ou les yeux pour fixer attentivement quelque objet, et qui s’échapperait alors sous la forme d’un mouvement trémulant et maladroit, jusqu’à renaître ensuite, et qui, une fois régénérée, produirait les mêmes effets ? Étant donné le nombre et la diversité des causes possibles, et les difficultés qui se présentent à moi, je pense qu’il me faut en venir au traitement, car cette maladie nous ouvre de vastes choix. Avant cela, je dirai d’abord un mot du pronostic : le malade appartient à une famille prédisposée aux apoplexies et aux paralysies ; [17] lui-même souffre ainsi depuis quelque temps de céphalées et a été attaqué par des tortures du bras gauche ; bien qu’il ait été entièrement libéré de tout cela, est resté ce qui ressemble à cette torsion périodique de la bouche dont les auteurs étrangers modernes disent que si elle ne s’est pas résolue au bout de six mois, elle finira par se transformer en paralysie. [6] Ce tourment a affligé le malade depuis bientôt deux ans, et il est à craindre qu’il ne l’accable encore longtemps s’il n’est pas secouru de manière plus efficace. Il faut surtout redouter, je pense, que les manifestations, qui intéressent à présent les structures superficielles, ne se communiquent à l’œil et n’engendrent une baisse de la vision.

Pendant trois semaines, les médecins, dont, entre autres, le très savant Dalibuzius, [18] avaient vainement prescrit tout ce qui se peut rencontrer en matière d’évacuants et de ce qu’on appelle vulgairement le régime ; [7][19] mais absolument sans la moindre utilité. Bien au contraire, le malade avait empiré, une fois arrivé au bout de ces remèdes, pris pour satisfaire au caprice [Ms BIU Santé no 2007, fo 254 vo | LAT | IMG] des prescripteurs (qui lui avaient ordonné, jusqu’à l’en dégoûter, des médicaments purgatifs[20] des apozèmes, [21] des pilules, [22] etc.). Cela prouve sans ambiguïté que les remèdes trop chauds lui font du tort ; et il est vraisemblable que les rafraîchissants modérés pourraient lui être utiles car je pense volontiers, comme Fernel [23] (et Rondelet pourra le contredire autant qu’il voudra), [24] que la paralysie peut parfois provenir d’une humeur bilieuse. [8][25] J’en prendrai pour témoins toutes ces douleurs coliques [26] que la bile engendre dans cette affection ; elle a pour compagne constante une fièvre, dont l’évaporation [27] finit par attaquer les membres supérieurs ; et quand la cruelle torture des muscles qui meuvent les bras s’est assagie, vient leur déplorable paralysie, que seul l’emploi de l’eau et des rafraîchissants peut amender et guérir. J’affirme donc avec force que c’est la bile qui engendre les spasmes, mais qu’il s’agit d’une bile extrêmement âcre et, pour ainsi dire, fort nitreuse. Je ne voudrais donc pas que, sous prétexte de donner satisfaction à ceux qui mettent en cause la rate (dans la région de laquelle le malade ressent, mais très rarement, des flatuosités piquantes), nous perdions plus de temps à employer tous ces remèdes spléniques, qui n’ont pas réussi jusqu’ici ; mais qu’à la première occasion qui se présentera, le malade soit conduit vers le refuge des esprits minéraux, savoir les eaux de Pougues, [28] car elles lui procureront plus de secours en huit jours que tous les autres remèdes nouveaux en huit mois et même, oserais-je dire, en huit années. Par leur effet, il y a très grand espoir de dégager la rate de ce qui l’embarrasse, mais aussi d’humecter le cerveau avec des vapeurs plus favorables, en réprimant la malice des esprits morbifiques qui rendent ce mal si opiniâtre. Un médecin a doctement écrit au sujet de ces eaux : [9][29] il conclut que les esprits de vitriol [30] ou de colcotar y imprègnent l’eau élémentaire, [10][31] parce qu’elles impriment immédiatement leur acidité à ceux qui les goûtent. Ceux qui ont été formés aux arts chimiques [32] affirment tous unanimement qu’elles présentent pourtant quelque acidité dans leurs esprits, étant donné que presque tous les sels, tant minéraux que de métalliques, y ont été suprêmement exaltés. Il est évident, pour quiconque les goûte et les consomme, qu’en vérité, elles tirent aussi leur aigreur du fer brut. L’usage le plus répandu [Ms BIU Santé no 2007, fo 255 ro | LAT | IMG] chez ceux qui pratiquent la médecine, les Italiens en particulier, enseigne que c’est un remède approprié pour les rates chargées d’ordure. Ceux qui, en France comme en Lombardie, la destinent à leurs hypocondriaques, [33] dont le nombre est immense, leur donnent pareillement à boire du fer, si bien que vous auriez raison de les appeler sidérophages. [11][34] Les vapeurs ferrugineuses, dont ces eaux de Pougues sont sans aucun doute remplies et imprégnées, assurent cela beaucoup plus efficacement et sans danger. Il se trouve en effet dans ce voisinage de nombreux gisements ou mines de fer ; s’étant infiltrées dans ces montagnes, les eaux émergent par une source qui se situe dans une vallée qu’on appelle en français le Morvent (parce que le vent y est comme mort à cause de l’épaisseur des forêts et de l’encaissement des vallons). [12] Le cerveau tirera très probablement profit de vapeurs d’une si grande pureté, une fois qu’on aura levé l’obstruction de la rate, ce que ces eaux accomplissent très commodément en provoquant l’urine ; qu’on aura revigoré toutes les parties du ventre inférieur, ce que ces exhalaisons avantagent prodigieusement (car, étant fort amies de la nature, elles s’attachent intimement à l’eau élémentaire [35] qui neige dans le corps et y est retenue pendant plusieurs mois) ; et qu’on sera parvenu à pousser dehors la grande intempérie qui a agité ces humeurs subtiles et ces esprits flatulents.

De l’avis de nombreux médecins et chirurgiens, il restait (pour qu’un retard ne rendît pas le danger plus grand) à extraire cet esprit venteux en lui ouvrant une issue à l’aide d’un pyrotique. [36] Étant donné qu’il n’y avait pas d’accord entre eux sur le lieu où l’appliquer, je rends compte maintenant de la façon dont, pour ma part, j’ai accompli cela : il n’est pas douteux que ces muscles pervertis, qui mettent anormalement en mouvement la paupière, le nez et la lèvre supérieure, reçoivent leur force motrice des nerfs, comme font tous les autres ; peu de rameaux émanant de la deuxième paire se distribuent aussi dans le visage, et c’est à la troisième que revient la principale responsabilité de ces mouvements ; avant de se consacrer à véhiculer le goût, cette paire se répand largement sur les muscles de la face ; en outre, elle est connectée par de nombreux lacis à la cinquième paire, auditive, parce qu’elle tire son origine du cervelet et même du tout début de la moelle épinière, juste avant qu’elle ne sorte du crâne ; elle est la plus postérieure des paires crâniennes qui, toutes les cinq, [Ms BIU Santé no 2007, fo 255 vo | LAT | IMG] naissent l’une après l’autre depuis la face inférieure du cerveau, pour la première, jusqu’au cervelet, d’après l’exacte description qu’en a donnée Constantius Varolius, très éminent anatomiste de Bologne. [13][37] Étant donné la partie du cerveau d’où naît la troisième paire, j’ai donc estimé devoir appliquer le cautère vers la région médiane de la suture lambdoïde, [14][38] de façon que transpire insensiblement cette flatuosité qui provoque les mouvements anormaux et le bourdonnement de l’oreille. La libération de cette voie montrera ses effets dans quelques mois. N’aurait-on pas dû fixer le cautère à l’insertion des muscles eux-mêmes, près du grand angle de l’œil, à côté du cartilage tarse, ou près de la pommette, d’où naissent aussi les muscles de la paupière supérieure, du nez et de la lèvre supérieure, en l’étendant vers l’articulation de la mâchoire, laquelle, aussitôt qu’elle se meut pour mastiquer ou pour parler, provoque le spasme des dits muscles ? Tel sera pour moi le recours ultime, mais je ne voudrais pas m’y résoudre sans avoir d’abord essayé les autres moyens. Je souhaiterais aussi, si possible, que l’endroit fût assez profond pour y placer, avec art et convenablement, une pilule d’or de la taille d’un grain de mil, [39] à recouvrir d’un petit emplâtre. En attendant, pour le tintement de l’oreille, dû au plissement des nerfs et des parties ténues, je voudrais dispenser quelque médicament qui renforce les nerfs ; l’huile de sapin y tient la première place, [40] en suc ou tempérée avec de l’eau de bétoine, [15][41] à introduire dans l’oreille principalement la nuit, sur un petit morceau de coton propre et musqué.

Ayant achevé mon récit, j’y ai négligé le régime alimentaire, car cet homme est très modéré dans sa manière de vivre : il ne boit presque pas de vin et n’abuse pas des plaisirs vénériens, mais il sait par expérience que leur privation trop poussée lui nuit. À cette retenue, je voudrais qu’il associât celle des si nombreux jours qu’il consacre aux affaires royales ; mais comment m’y prendrais-je avec un personnage si occupé ? Je dirai, pour finir, que si ces remèdes n’ont pas mis fin au mal, que ma faute me vaille alors l’opprobre des médecins.

Mœlantius.

Le 9e d’août 1595.

[Ms BIU Santé no 2007, fo 256 vo | LAT | IMG]

Conseil pour Monsieur
de Beaumarchais, [42]
conseiller du roi et trésorier de son Épargne.
Meslant. [16][43]

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(Consulté le 25/04/2024)

 

[Ms BIU Santé no 2007, fo 257 ro | LAT | IMG]

Homme souffrant de fièvre composée
[consultation,1653] [a][1]

Très distingué Monsieur,

Après avoir soigneusement lu ce que vous nous avez écrit sur ce très noble malade, nos conseils se résument à penser que l’état de ce fort honnête homme s’est grandement aggravé car, à la chaleur des viscères, principalement nutritifs, et κακοπαθιαν, [1] se sont ajoutés : une fièvre dont le genre n’est pas univoque ; d’abord continue et assez impétueuse, [2] puis double tierce, [3] elle est enfin devenue quarte lente ; [4] alors, seulement, sont apparus de très funestes symptômes qui manifestent à la fois une intempérie hautement consolidée des susdites parties, et un vice remarquable du sang et de toutes les humeurs. En vérité, si nous ne sommes pas mauvais augures et si vous n’y prenez pas assidûment garde, il faut sérieusement redouter une hydropisie [5] qui attaquera le malade petit à petit et insensiblement, et qui, à la fin, épuisera ses forces. S’il en est ainsi, il faut prendre soin de le purger, dès que possible et très souvent ; à quoi conviendront bien les remèdes plutôt doux : [6] séné [7] avec un peu de moelle de casse [8] et, en quantités égales, rhubarbe, [9] sirop de roses pâles [10] et de fleur de pêcher ; [11] l’électuaire de citron, [12] à la dose de 2 drachmes, conviendra aussi parfaitement. Le malade devra se purger de cette façon deux fois chaque semaine, tantôt avec les sirops composés prônés ci-dessus, tantôt avec l’électuaire de citron, tantôt avec de la manne de Calabre [13] à la dose d’une once et demie ou de deux onces. Pour que la force de ces médicaments purgatifs pénètre et se développe plus rapidement et convenablement, on les diluera dans une tisane préparée à partir de racine de pissenlit, [14] d’aigremoine, [15] de fraisier, [2][16] de chiendent, [17] d’érynge [18] avec de la réglisse [19] en quantités égales.

Ensuite, il faudra tempérer les humeurs par la phlébotomie, [20] à moins qu’une fièvre plus violente, des douleurs, des insomnies perpétuelles ou une soif inextinguible n’aient poussé à y recourir plus tôt ; mais encore faudra-t-il alors, la pratiquer avec grande parcimonie.

Si on prescrit des apozèmes, [21] ils seront plutôt destinés à éteindre la dyscrasie des viscères qu’à détourner vigoureusement les humeurs séreuses.

Nous faisons si peu de cas des fortifiants que nous ne les prescrivons pas du tout. [22]

Le régime alimentaire [23] sera liquide pour sa plus grande partie ; et si des mets solides sont proposés, ce sera en très petite quantité, faute de quoi ils augmenteront la faiblesse de l’estomac.

Quand le malade aura été souvent purgé, il ne sera pas mal à propos d’employer les eaux minérales, [24] en alternance et avec les précautions que les médecins expérimentés ont coutume de mettre en œuvre pour les administrer.

Quand vous aurez recouru à tout cela et constaté que l’issue en a été heureuse, le malade pourra enfin commencer à boire du lait : nous entendons du lait d’ânesse, [25] [Ms BIU Santé no 2007, fo 257 vo | LAT | IMG] en excluant celui de vache, [26] que nous tenons pour mauvais ; les purgatifs doux, à répéter régulièrement, devront pourtant précéder et accompagner la prise du lait.

Par ces moyens, nous sommes confiants que votre patient retrouvera enfin sa santé première ou du moins se trouvera fort soulagé, à l’essentielle condition qu’il se soumette docilement à vos conseils.

De Paris, le 12e de février 1653.

Riolan [27]    Guy Patin [28]    P. Courtois, doyen de la Faculté. [3][29]

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(Consulté le 25/04/2024)

 

Le ms 2007 de la BIU Santé contient 21 pièces regroupées sous la rubrique Consultations médicales. Annoncées au nombre de 20, elles sont numérotées de 1 à 19 ; leur recension est en outre erronée car elle a compté pour une seule les nos 9 et 13 qui en contiennent deux chacune. [1] Ces textes sont manuscrits, rédigés en latin (sauf un en français) par la plume de Guy Patin (sauf deux). Ils concernent des points précis de pratique médicale que j’ai classés en deux rubriques : 14 consultations et 7 mémorandums.

Pierre Suë a commenté cette série en 1797. [2][1] Pierre Pic y est revenu en 1911, écrivant (introduction, pages lvlvi) : [2]

« À la suite des brouillons des lettres latines de Patin, on trouve dix-neuf pièces autographes que Suë qualifie de consultations et dont certaines paraissent être en effet des copies de consultations contresignées de Piètre, de Riolan, de Courtois, mais parfois de la main de Patin seul. Sue déclare qu’elles sont très difficiles à déchiffrer et il est vraisemblable en effet qu’il ne les a pas lues, car beaucoup de ces pièces, aussi lisibles que les 459 lettres, ne sont nullement des consultations, mais de simples notes. » [3]

En 2010, sous la direction du Pr Joël Coste, le Dr Anne-Sophie Pimpaud, [3] médecin généraliste, a courageusement consacré son master 2 de recherche en histoire (École pratique des hautes études) à défricher les « consultations » contenues dans le ms 2007 de la BIU Santé. En 2015, elle a publié sur le site de la BIU Santé Les consilia de Guy Patin, édition et commentaire. Son mémoire contient 20 des 21 textes (mais en faisant deux documents distincts de la consultation 17 et de sa réponse).

Ces 21 consultations et mémorandums ont évidemment leur place dans notre édition, que nous voulons la plus complète possible, de la Correspondance et autres textes de Guy Patin. Tout en bénéficiant très amplement des abondants éclairages fournis par les autres parties de mon travail sur les conceptions et les pratiques médicales de Patin et de ses contemporains, cette section ajoute de précieux renseignements car, en abordant concrètement 14 cas cliniques et 7 thèmes de pathologie, elle illustre, en situation réelle, l’authentique exercice médical de l’époque.

  • Les 14 consultations proprement dites mettent bien en lumière les trois phases du « conseil » : diagnostique, pronostique et thérapeutique, telles qu’elles s’enchaînent encore aujourd’hui.

    • La première phase est la plus instructive, non pas tant par le diagnostic lui-même [4] que dans les mécanismes invoqués dans la genèse de la maladie, montrant, encore mieux qu’ailleurs dans notre édition, la machinerie humorale au travail, avec toutes ses subtilités qui ébahissent le lecteur du xxie s.

    • Le traitement est décevant car toutes ces savantes constructions aboutissaient constamment aux deux mêmes remèdes évacuants, purgation et saignée, parfois agrémentés de quelques adjuvants d’ordre principalement diététique. À tel point que je me suis demandé pourquoi les médecins provinciaux prenaient la peine de consulter leurs éminents collègues parisiens, quand ils savaient d’avance la réponse qu’ils allaient recevoir d’eux. Les choses n’ont pas vraiment changé depuis le xviie s. : quand leur état stagne ou empire, les malades réclament volontiers un second avis ; l’ayant obtenu, ils se résignent plus facilement à leur sort, un peu honteux d’avoir un moment mis en doute les capacités de leur médecin traitant.

    • Par un très heureux hasard, le recto de la feuille dont Patin s’est servi pour écrire le brouillon de la consultation 16 m’a permis de rendre justice à Caspar Bauhin pour sa découverte contestée de la valvule iléo-cæcale en 1579. [5][4]

  • Les 7 mémorandums explorent les mêmes questions sous un autre angle. Il s’agit de fragments que Guy Patin copiait, probablement à l’occasion de ses incessantes lectures, pour garder la trace de commentaires qu’il jugeait dignes d’alimenter ses leçons et ses disputes académiques, ou ses projets de livres. [6]

Sommaire et liens des 21 consultations et mémorandums
contenus dans le ms 2007 de la BIU Santé [6]

  1. Rhumatisme chez une femme jeune, consultation latine non datée ;

  2. Flux de ventre mésentérique, consultation latine, 1644 ;

  3. Épilepsie chez un jeune homme de Troyes, consultation latine, 1636 ;

  4. Fièvre chez M. de Rotois, noble de Beauvais, consultation latine, 1637 ;

  5. Parotides et Dioscures (Castor et Pollux), mémorandum latin non daté d’une leçon de René Moreau ;

  6. Fièvre continue putride, consultation latine, 1632 ;

  7. Impuissance et frigidité masculines, mémorandum latin non daté ;

  8. Précaution contre la peste, mémorandum latin non daté de Giovanni Manardi ;

  9. Un traitement des vers intestinaux, mémorandum latin non daté ;

  10. Manifestations de la vérole (syphilis), mémorandum français non daté ;

  11. Colique néphrétique suivie de saignement hémorroïdaire, consultation latine, 1630 ;

  12. Mélancolie sympathique, consultation latine, 1634 ;

  13. Fièvre synoque putride chez un jeune homme, consultation latine non datée ;

  14. Cachexie vénérienne, consultation latine non datée ;

  15. Gonorrhée compliquée, consultation latine non datée ;

  16. Ulcère du mésentère et Jean ii Riolan contre Caspar Bauhin sur la découverte de la valvule iléo-cæcale, consultation latine non datée et fragment de l’Anthropographie, 1626 ;

  17. Cachexie chez un vieux chanoine de Beauvais, consultation latine, 1632 ;

  18. Ventosités et douleurs gastriques chez une noble dame, consultation latine, 1633 ;

  19. Observation d’une fièvre tierce durant trois mois chez un homme de la cinquantaine, mémorandum latin non daté ;

  20. Observation d’un homme souffrant d’hémispasme de la face, mémorandum latin, 1595 ;

  21. Homme souffrant de fièvre composée, consultation latine, 1653.


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Les 11 observations de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648)

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(Consulté le 25/04/2024)

 

Dans ses lettres, Guy Patin a plusieurs fois parlé d’une retentissante thèse cardinale sur la primauté de la « Méthode d’Hippocrate », [1] contre les abus des Arabes, [2] des chimistes [3] et des pharmaciens. [4] Le bachelier Jean-Baptiste Moreau [5] l’avait disputée à Paris sous la présidence de Charles Guillemeau, [6] qui l’avait lui-même écrite. [1]

En voici la chronologie :

  • imprimatur de la Faculté sous condition d’en retrancher certaines attaques jugées inopportunes ; impression achevée le 15 mars 1648 sous la forme usuelle d’une grande feuille recto-verso, Est-ne Hippocratea Medendi Methodus omnium certissima, tutissima, praestantissima ? [2]

  • soutenance le 2 avril 1648 ; [3][7]

  • « elle n’est pas si agréable à tout le monde de deçà » (lettre du 29 mai 1648) ; envoi de la feuille imprimée par Patin à ses amis médecins de Lyon (Charles Spon, Henri Gras), [8][9] de Beaune (Jean-Baptiste i de Salins), [10] et de Troyes (Claude ii Belin, Antoine Blampignon, Nicolas Sorel et Jean Barat) ; [11][12][13][14]

  • parution à Paris, chez Nicolas Boisset, [15] au cours de la seconde quinzaine de juillet 1648, d’une édition française, prévue dès le mois de mars précédent, [4] de la Question cardinale à disputer aux Écoles de médecine, jeudi matin, 2d d’avril, sous la présidence de Me Charles Guillemeau, docteur en médecine de la Faculté de Paris. La Méthode d’Hippocrate est-elle la plus certaine, la plus sûre et la plus excellente de toutes à guérir les maladies ? Avec des observations sur quelques points les plus notables, édition française grandement augmentée de la thèse latine, enrichie d’un Avis au Lecteur de 14 pages, et de 11 observations sur les us et abus des pharmaciens ; ce livre ne contient ni approbation de la Faculté, ni privilège, ni achevé d’imprimer ; [5][16]

  • au début de sa lettre du 27 août 1648 et dans celle du 24 septembre 1648, Patin s’est fort réjoui de l’impuissante irritation des apothicaires de Paris contre la thèse mise en français ; [6]

  • projet apparemment avorté de réédition dans les années 1650. [7]

En éditeur scrupuleux de la Correspondance complète et autres écrits de Guy Patin, j’ai prêté une attention toute particulière à ce livre car, dans sa lettre du 2 octobre 1657 à Claude ii Belin, se souvenant du procès que les apothicaires de Paris lui avaient intenté en 1647, [17] Patin écrivait (en soulignant les mots que je mets en italique) :

« Je me souviens bien que je parlai contre l’abus de leurs drogues, et entre autres contre le bézoard, la thériaque et la confection d’hyacinthe et d’alkermès, dont vous trouverez quelque chose de bon dans les Observations qui sont derrière la Thèse française de feu M. Guillemeau, de l’an 1648, lesquelles sont curieuses, et de ma façon. »

Tirant légitimement argument de cette confidence, Achille Chéreau [18] (Bibliographia Patiniana, xii.‑ Additions à une thèse de Charles Guillemeau, pages 19‑21) a attribué les 11 observations de l’ouvrage à la plume de Patin :

« Guillemeau jugea même opportun, devant un succès aussi éclatant, et afin de vulgariser les idées qui étaient émises dans la thèse, de traduire en français cette dernière, de la faire imprimer et de la distribuer largement. Il fit plus encore : connaissant les talents littéraires, la verve incomparable de son ami Patin, non moins que sa haine invétérée contre les polypharmaciens [19] et les adorateurs de drogues à vertus presque suspectes, il l’invita à enrichir la traduction de sa thèse d’observations personnelles. »

Cela ne ferait pas l’ombre d’un doute si, dans son Avis au lecteur de l’édition française, Guillemeau n’avait revendiqué haut et fort leur entière paternité et pris pour lui seul les protestations qu’elles ne manquèrent pas de soulever :

« Pour donner moins de prise aux critiques et détourner les coups des médisants, qui trouvent à redire sur tout et ne font jamais rien qui vaille, j’ai pris le conseil de cinq ou six des plus fameux médecins de notre École, qui m’ont fait l’honneur de me dire leur sentiment de mon ouvrage et l’ont tous généralement approuvé. Mais d’un autre côté, j’ai été attaqué par les envieux, qui se sont efforcés de faire croire que je n’en étais pas le seul auteur. Je ne doute pas qu’un autre y eût mieux réussi que moi, mais telle qu’elle est, personne ne peut se vanter d’y avoir aucune part, s’il ne veut passer pour un imposteur et pour un fourbe qui tâche d’acquérir de la réputation aux dépens d’autrui. J’ai enrichi cette thèse d’observations et notes nécessaires pour son éclaircissement, et j’ai trouvé à propos de répondre ici à quelques objections qui m’ont été faites. »

Étant donné qu’il est difficile d’être plus clair, comment ne pas se demander si Patin, en octobre 1657, à peine un an après la mort de son ami Guillemeau (21 novembre 1656), ne se payait pas l’audace de revendiquer la paternité de ces 11 observations contre les abus de la pharmacie ? Je les ai lues attentivement pour tenter de discerner la vérité de ce qui serait une insigne forfanterie, et ma conclusion penche plutôt en faveur d’une contribution de Patin.

  • Certains passages ne peuvent à l’évidence avoir été écrits que par Guillemeau [8] et renvoient à des maladies ou à des médecins (de l’Antiquité, ou des xve et xvie s.) que Patin n’a jamais mentionnés dans ses lettres, leçons ou consultations[9]

  • Toutefois, la construction maladroite, avec de fréquentes redites, crée souvent l’impression d’un texte rapiécé, écrit par deux plumes distinctes ; et surtout, on retrouve dans maints passages ce qui ressemble fort à la verve caustique et moqueuse de Patin.

En dépit de mes incertitudes, c’est d’abord et surtout la contribution de ces 11 observations à ma compréhension des pratiques médicales et pharmaceutiques du xviie s. qui m’a convaincu de les insérer dans notre édition, car elles l’ont beaucoup enrichie.

Voici les titres de ces 11 textes, avec leurs liens :

  1. Du séné ;

  2. De l’antimoine ;

  3. Des remèdes cardiaques ;

  4. De l’os du cœur d’un cerf et de la corne de licorne ;

  5. Des perles ;

  6. Des pierres précieuses ;

  7. Du bézoard ;

  8. Des confections d’alkermès et d’hyacinthe ;

  9. Des apozèmes et juleps ;

  10. Du laudanum des chimistes ;

  11. De la thériaque et du mithridate.


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(Consulté le 25/04/2024)

 

Du séné [a][1][2]

Comme autrefois un grand politique romain, très savant et fort consommé dans l’étude des bonnes lettres, disait, après Platon, [3] qu’il ne pouvait assez dignement louer la philosophie, en tant qu’elle est la maîtresse de la vie, et qu’elle conduit l’homme dans un droit chemin d’honneur et de vertu, empêchant qu’il ne se fourvoie en aucune façon, ou qu’il ne s’emporte dans les désordres de l’injustice ou du vice, duquel les occasions se rencontrent à tout moment dans la vie humaine ; [1][4] ainsi, j’avoue ingénument que je ne saurais assez hautement priser le séné, entre tous les médicaments purgatifs[5] pour les divers, très bons et très utiles services qu’il rend à la médecine, au malade et aux médecins, plus que toute autre sorte de remède. Lui seul fait plus qu’une boutique tout entière et bien fournie de toutes les drogues qu’on nous apporte du Midi ou du Levant. Il purge aisément et en toute assurance toute sorte de gens, jeunes et vieux, pauvres et riches, bilieux [6] et pituiteux, [7] mélancoliques [8] et sanguins. [9] Il fait ce qu’il doit et ce que peut requérir de son usage le prudent médecin, tant à purger les princes et grands seigneurs, que les hommes du commun et de la lie du peuple. Il n’y a partie au corps humain à laquelle le séné, pour ses diverses vertus, ne fasse bien, et de laquelle il ne tire de mauvaises humeurs, tôt ou tard, ou tout seul, par consécution, [2] ou poussé et aidé par quelque autre remède, comme rhubarbe, [10] sirop de roses pâles [11] ou de fleurs de pêcher. [12] C’est celui de tous les remèdes qui se prend avec le plus d’assurance et de facilité, qui convient à toutes sortes de maladies, et même en celles qui se font par abondance d’humeurs séreuses, en ce qu’il ôte les obstructions qui empêchent que les autres remèdes ne passent, et qui traite le plus innocemment tous ceux qui en usent.

Les anciens Grecs ne l’ont point connu, et plût à Dieu qu’ils en eussent parlé ! Leur autorité nous servirait bien aujourd’hui à rembarrer la médisance de ceux qui le blâment et le méprisent. Et néanmoins, la nécessité l’a mis en crédit et l’a établi par-dessus tous les autres remèdes, de sorte que le séné fait aujourd’hui, lui tout seul, plus de miracles en médecine que toute la chimie [13] ensemble et tous les fourneaux des paracelsistes. [14] Il a commencé d’entrer en usage sous les postérieurs grecs, et principalement par Actuarius, [15] et même Aétius, [16] qui vivait dans le temps d’Arcadius et d’Honorius, [17][18] tous deux fils du grand Théodose, [19] sur la fin du troisième siècle, environ l’an 395, l’a assez clairement décrit. [3] Après ces derniers Grecs, les Arabes [20] sont venus qui, par la commodité des navigations et du commerce de leur pays, qu’ils ont eu avec les Persans et les Indiens, ont hautement et dignement loué le séné comme le plus excellent de tous les purgatifs, et en toutes sortes de maladies. Mésué, [21] qui a été le plus grand praticien entre les Arabes et qu’on a dit avoir vécu plus de cent ans, en a dit tant de bien que je ne puis en dire davantage. [4]

Nous en avons de deux sortes : l’une vient d’Orient, et l’autre croît en Europe, dans le duché de Toscane et en quelques autres endroits d’Italie. [22] Le séné de Levant est tout autrement meilleur et plus fort que celui qui vient en Europe. Il purge toutes sortes d’humeurs visqueuses, crasses, épaisses, mélancoliques, brûlées, adustes, [5] bilieuses et pituiteuses, et laisse aux parties internes une astriction [23] médiocre qui les fortifie après le travail qu’elles ont eu d’une purgation. Les Indiens ne se servent que des follicules du séné ; [24] mais les follicules nous manquant, nous sommes obligés de nous passer de ses feuilles, [6] lesquelles sont très bonnes lorsqu’elles sont grandes, pleines et encore verdâtres (car pour être toutes vertes, cela ne se peut, elles vivent trop loin et perdent leur première verdeur dans la longueur du chemin). Ses feuilles qui sont blanchâtres, desséchées et non entières, ou petites, doivent être rejetées comme de nulle valeur. Jean Fernel, docteur régent de la Faculté de médecine à Paris et premier médecin du roi très-chrétien Henri ii [25][26] ou, pour dire mieux et plus hardiment, le premier médecin de l’Europe depuis Galien, [27] et à qui la médecine a plus d’obligation qu’à tous les premiers médecins des rois précédents, de ceux qui sont et qui seront, et par conséquent, très capable d’être cru, a si dignement, si éloquemment et si généreusement loué le séné au liv. 5 de sa Méthode, ch. 10, que je ne puis rien ajouter à ses louanges. [7][28] Tous les autres médecins de la Chrétienté l’ont imité et en ont, par leurs doctes écrits, conseillé l’usage comme du meilleur remède du monde, du plus utile et du plus innocent. Il purge, ce disent-ils (et il est vrai), le cerveau et tous les organes des sens, le cœur, le poumon, le foie, la rate ; il ôte et emporte les obstructions des viscères ; il décharge le ventricule, [8][29] le pancréas et le mésentère, les hypocondres, les intestins, les reins et la vessie ; il décharge particulièrement tout le bas-ventre ; fait du bien aux femmes grosses, aux vieillards, aux enfants et à toute sorte d’âge ; est très bon aux fièvres continues, [30] quand il est donné à propos et que le temps est venu de purger. Bref, le séné est comme la manne du Ciel [31] entre les remèdes qui purgent, le secours des pauvres, le soulagement des riches et le triomphe de la vraie médecine ; du grand et familier usage duquel toute la France se sert aujourd’hui très heureusement, dont elle a l’obligation particulièrement aux médecins de Paris qui l’ont exalté partout pour ses excellentes et presque divines vertus. Après notre grand Fernel, le séné a été prisé dignement, et selon son mérite, par Jean Tagault, [32] Sylvius, [33] Matthiole, [34] Heurnius, [35] Daniel Sennert, [36] Caspar Hofmann, [37] Massaria, [38] Bauhin, [39] Dodoens, [40] Lobel [41] et Pena, [42] Daléchamps, [43] et autres savants modernes ; et même Antoine Mizaud, [44] natif de Molusson en Dauphiné, [45] en a fait un traité exprès, qui se trouve traduit en français. [9] Je puis hardiment et saintement jurer que le séné est le meilleur remède entre tous les bons qui sont aujourd’hui en usage ; et qu’Hippocrate [46] et Galien [47] l’eussent fortement recommandé s’ils l’eussent connu, et s’en fussent tout autrement mieux servi qu’ils ne faisaient de leur scammonée, [48] ellébore, [49] peplis, [50] espurge, [51] coloquinte, [52] suc de concombre sauvage, [53] tithymales [54] et hermodactes ; [10][55] lesquels tous ensemble ne valent pas et ne peuvent tant faire de bien à quelque malade que ce soit qu’une once de séné, quand elle est bien employée. Je ne parle point de ceux qui, par un esprit de contradiction et pour l’intérêt qu’ils prétendent au débit de leurs autres drogues, tâchent de décrier le séné dans l’esprit du peuple, disant qu’il est chaud, qu’il brûle et dessèche les entrailles, qu’il les excorie, et qu’il donne des vents et des tranchées. [56] Ces faussetés et ces mensonges ne méritent pas que je m’amuse à les réfuter. Le vrai, seul et unique moyen de n’être point trompé en telles occasions est de voir et de reconnaître de quel esprit est poussé celui qui parle, savoir : si c’est en intention de contredire les sages et les experts, et les grands personnages, pensant par ce moyen paraître plus habile homme et plus entendu ; ou si c’est son intérêt et son profit qui lui fasse proférer des discours si peu raisonnables ou véritables. Mais laissons là ces médisants qui blâment ce qu’ils ne connaissent pas, et ajoutons seulement à sa louange qu’étant naturellement le meilleur et le plus sûr en son usage, entre tous les purgatifs, il est aussi le plus facile à préparer : soit qu’on le prenne en substance, tout fraîchement pulvérisé (et en ce cas-là, il est bien fort) ; soit que l’on mette cette poudre dans de la casse mondée [57] pour, après, être prise par morceaux ; [11][58] soit qu’on le prenne en infusion dans un bouillon et, en ce cas-là, il ne faut qu’un quart d’heure pour faire une bonne médecine, juste, loyale et à vil prix, même à un prince ou à un pape, ou dans un verre de tisane commune, [59] ou d’eau froide, ou de limonade, [60] ou d’un jus de pruneaux ; [61] soit qu’on y ajoute de la rhubarbe ou quelque sirop purgatif.

Bref, tout ainsi que Platon confesse que la Nature n’a donné aux hommes aucune liqueur qui soit meilleure que le vin, [12][62] de même, j’avoue ingénument que Dieu n’a donné ni fait connaître aux hommes aucun médicament qui approche en bonté, en facilité et assurance d’être pris, pour ses singulières et divines vertus, ni rien de si excellent comme le séné, sans lequel une bonne médecine ne saurait être entière ni parfaite ; quoi qu’en disent, à l’encontre, ceux qui ont grand regret de le voir si prisé, si commun et à si bon marché, si usité, reconnu si bon, si innocent et si utile à toutes sortes de maladies. Les chimistes mêmes s’en servent, mais ils font semblant de le mépriser, tant à cause qu’on le prépare trop facilement qu’afin d’introduire et de mettre en usage des drogues plus chères, de faire valoir leurs préparations et de mettre en crédit leur idole commune, qui est l’antimoine, [63] duquel je vais parler aussi succinctement que véritablement, et sans aucune passion que la vérité.

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(Consulté le 25/04/2024)

 

De l’antimoine [a][1][2]

Voici l’idole des chimistes [3] et de tous les souffleurs qui se mêlent de la médecine. Le savant Mercurial[4] qui fut en son temps l’honneur des médecins d’Italie, a nommé l’antimoine un médicament diabolique, de l’invention de Paracelse, [5] qui le mit au jour non pas pour purger, mais plutôt pour égorger les malades. [1] Assurément, les chimistes d’aujourd’hui ne sont pas plus fins ni plus habiles que ceux qui vivaient il y a soixante ans, qui est à peu près le temps auquel Mercurial écrivait et enseignait à Padoue [6] ces vérités importantes ; tellement que l’antimoine dont on use à présent, quelque subtile préparation qu’en puissent faire ces nouveaux et prétendus philosophes, est aussi bien poison qu’il fût jamais. Il y a 82 ans que la très illustre Faculté de médecine de Paris fut assemblée, l’an 1566, par l’autorité de Messieurs du Parlement, pour donner son avis sur l’antimoine, qui fut déclaré poison par un décret solennel. [2][7] Aussi l’est-il en effet, et je ne pense pas qu’il me soit difficile de le prouver ici, comme je me le propose, pour montrer combien il est dangereux de s’en servir en la médecine, puisque nous avons tant d’autres remèdes excellents, et qui sont tenus pour infaillibles contre toute sorte de maladies.

Premièrement donc, je tiens pour certain que les anciens Grecs n’ont point connu l’antimoine pour être purgatif[8] et que le tetragonum d’Hippocrate, [9] lib. de Morbis internis[10] ne fut jamais l’antimoine des chimistes d’aujourd’hui. Pour Galien, lib. 9 de Simpl. medic. facult., il se peut faire qu’il l’ait connu sous le nom de stimmi, ou stibium ; [11] mais il ne lui attribue qu’une faculté astringente, rafraîchissante et desséchante. Dioscoride, [12] cap. 59, lib. 5, ne reconnaît l’usage de l’antimoine qu’en tant que l’on s’en sert aux remèdes externes, à cause de son astriction ; [13] outre la propriété qu’il a d’empêcher les excroissances de la chair, de nettoyer les ordures des plaies et d’en procurer la cicatrice ; ce qui est encore le sentiment de Pline. [3][14] D’où je tire cette conséquence que pas un des Anciens n’a connu la faculté purgative de l’antimoine et qu’aucun d’eux, aussi, ne s’en est servi pour en purger les malades, car ils en ont tous usé tantôt comme d’un remède externe, tantôt comme d’un fard, et quelquefois même, ils l’ont pris pour un poison.

Les Grecs et les Arabes [15] lui ont donné divers noms qu’il n’est pas besoin que je rapporte ici. J’aime mieux parler de son essence, et dire que c’est un fossile ou, si vous voulez, un suc congelé, tel à peu près que la marcassite ou que la pierre de plomb. [4][16] Thomas Erastus l’appelle un mixte, participant de la nature du verre, et qui reluit comme lui. [17] Fallope le met au rang des fossiles, [18] qui tiennent de la nature du métal et de la pierre : du métal à cause qu’il se fond ; et de la pierre pource qu’il est friable et qu’il se peut mettre en poudre. À quoi j’ajoute que Cesalpinus, très docte Italien, [19] le séparant des métaux, le nomme une pierre semblable au plomb. [5] Que si quelqu’un me demande de quels lieux on tire l’antimoine, je lui répondrai : avec Pline, qu’il se trouve d’ordinaire dans les mines d’argent ; avec Matthiole[20] qu’il y en a en divers endroits d’Italie, surtout au territoire de Sienne, [21] outre qu’on en apporte beaucoup d’Allemagne à Venise, après avoir été fondu dans les forges et réduit en masses ; [6] avec Fallope, qu’on le tire quelquefois des mines d’argent et que, souvent même, dans sa veine propre, il ne se rencontre que de l’antimoine ; avec Ramnusius, dans sa Relation du voyage d’Afrique, qu’il s’en trouve abondamment au pied du mont Atlas, [22] du côté qui regarde le midi ; [7][23][24] et avec plusieurs autres auteurs, qu’en divers lieux d’Afrique, il y en a beaucoup dans les minières de plomb, d’avec lequel il est distingué par le moyen du soufre. Quant aux espèces d’antimoine, l’on en met de deux sortes, à savoir le mâle et la femelle, dont la dernière est préférable à l’autre, pour être plus luisante, plus friable et plus rayée. Les plus experts et les mieux versés dans les matières métalliques tiennent qu’il n’est point de meilleur antimoine que celui qui brille davantage, qui paraît le plus croûteux, quand il est rompu, qui n’a ni terre ni ordure quelconque et que l’on met aisément en pièces. [8][25][26] Pour ce qui est de l’ancienne façon de le préparer, elle n’est aujourd’hui en usage que parmi les orfèvres, les fondeurs, les potiers d’étain, les faiseurs de miroirs, et chez tels autres ouvriers qui, selon que leurs desseins sont divers, le préparent diversement aussi ; de quoi je donnerais des exemples s’ils n’étaient fréquents dans les écrits de plusieurs auteurs, principalement de Dioscoride et de Pline.

Depuis que l’antimoine a été introduit dans la médecine par les souffleurs de la damnable secte de Paracelse, [27] il n’est pas à croire en combien de façons ces maîtres fourbes l’ont accommodé ; car il se voit tous les jours que, pour le bien préparer, à ce qu’ils disent, ils font des efforts pour en tirer les fleurs, [28] le verre, [29][30] le régule, [31] le soufre, [32] et ainsi du reste. Tantôt ils le calcinent diversement ; tantôt ils en font ce qu’ils appellent en leur jargon Crocus metallorum, ou foie d’antimoine ; [9][33][34] tantôt ils en tirent le régule, tantôt ils le rendent diaphorétique, [35] tantôt ils en font un bézoard minéral, [10][36] et tantôt ils le déguisent en d’autres façons étranges, dont les exemples se peuvent voir dans les écrits de Béguin[37] de Quercetanus[38] de Crollius [39] et de semblables architectes du plus pernicieux de tous les métiers. Mais quelque teinture que s’étudient de lui donner les plus célèbres chimistes d’Allemagne, d’Italie et d’Angleterre, toutes les préparations qu’ils font de cette drogue, enchérissant à l’envi les uns sur les autres, sont très dangereuses, puisque la mort s’en ensuit en la plupart de ceux qui en prennent. [40] Eux-mêmes aussi ne peuvent s’empêcher d’avouer que l’antimoine donné en substance, quelque bien préparé qu’il soit, est toujours pernicieux et nuisible, pour la vénénosité qu’il retient, sans qu’il leur soit possible de l’effacer par les degrés mystérieux de leur feu chimique. Je dirai bien plus encore : c’est que l’usage de la seule infusion qui s’en fait n’est non plus assuré que le reste, puisque partout où l’antimoine se mêle, il y a qualités vénéneuses, et du poison même.

D’alléguer au reste qu’il y ait en lui quelque faculté purgatrice, c’est vouloir démentir les plus célèbres auteurs. Dioscoride, lib. 5 cap. 83, Pline et Galien, lib. 6 de San. tuen.[3] n’en parlent que comme d’un remède altératif, et Mercurial, lib. 2 de Compos. medic., cap. 8[1] avoue que les Anciens n’usaient du tout point d’antimoine à purger les corps, mais seulement pour embellir les yeux et pour noircir les soucils. Depuis ce temps-là, les orfèvres et les fondeurs de métaux l’ont employé dans leurs ouvrages, ayant reconnu qu’il se pouvait fondre par la force du feu, comme, en effet, il contient en soi quelque partie sulfurée ; d’où vient qu’il sent le soufre, principalement quand il est brûlé. En lui se cachent encore je ne sais quels atomes d’argent, qui sont comme imperceptibles et que le feu est seulement capable de séparer. Davantage, il participe fort de la nature du mercure ou du vif-argent en diverses choses, [41] et particulièrement en ce qu’il arrache de tout le corps, avec une prompte violence, quantité d’humeurs différentes, crasses, visqueuses, lentes, séreuses, et liquides, tant par en haut que par en bas. Lui seul aussi purge tous les métaux ensemble de toute sorte d’ordures ; principalement l’or, dont il sépare le cuivre, et qu’il purifie sans aucun déchet et sans l’altérer en rien ; au lieu qu’il corrompt et détruit tous les autres métaux. Mais il ne faut pas oublier surtout qu’il a une merveilleuse affinité avec le plomb, et même qu’apparemment, il en est la matière car il se convertit en lui, dont il semble faire une quatrième espèce, comme Cardan le remarque, lib. 5 de Subt. ; [11][42] ce qu’on reconnaît visiblement quand on le cuit dans un vaisseau de terre. À raison de quoi, Grévin, savant médecin de Paris, lib. 2 de Venenis, cap. ult. quod est de Stibio, tient que l’antimoine étant de la nature du plomb, en qui il se transforme, ayant même faculté que lui, doit par conséquent être mis au rang des venins et des poisons mortifères. [12] Ceux qui font des cloches, pour leur donner un son plus retentissant et plus agréable à l’ouïe, ont accoutumé, durant la fonte, d’y mêler quelque portion d’antimoine ; comme encore les miroitiers ou polisseurs de miroirs. À quoi j’ajoute que, par ce mélange, les potiers d’étain trouvent que leur vaisselle approche du son de celle d’argent. Ces ouvriers-là demeurent d’accord que l’antimoine hâte la fonte de tous les métaux quand il y est mêlé ; d’où vient que ceux qui font des boulets pour le canon et pour les autres armes à feu y ajoutent de l’antimoine, sans lequel ils ne pourraient fondre le fer, selon le rapport de Matthiole. [13] De toutes lesquelles propriétés et de ces effets que je viens d’alléguer, Messieurs les chimistes tirent cette belle conséquence que l’antimoine servant à nettoyer, à déterger et à purger les métaux, principalement l’or, peut servir de même à purifier le sang, ainsi qu’ils parlent en leur jargon, et à purger les humeurs de notre corps ; comme s’il y avait une vraie et légitime proportion entre l’épurement des métaux et la purgation du corps humain ; ou comme si ce qui purge l’un devait être employé à purger l’autre. De même, ces nouveaux naturalistes, toujours enfumés, pour n’avoir jamais étudié que sur leur creuset, à la vapeur du charbon, et qui, bien souvent, à force de le souffler, ont réduit en cendre le patrimoine d’autrui et le leur propre, s’ils en ont jamais eu, se font accroire, tant ils sont vains, d’être les seuls philosophes qui, d’un esprit clairvoyant, pénètrent jusque dans les plus secrets mystères de la Nature. Mais jugez un peu, je vous prie, s’ils ne raisonnent pas bien, si leur conclusion est en bonne forme et si elle n’est pas appuyée des fondements d’une logique préférable à celle d’Aristote : [43] l’antimoine, disent-ils, purge l’or, purifie les autres métaux, sert à les fondre, donne un son retentissant aux cloches, aide à la fonte du fer et à faire des boulets de canon ; donc, il est bon et fort propre à purifier les humeurs du corps humain ; donc, il mérite d’être appelé cette médecine universelle et ce grand secret de la Nature, en vain jusques ici recherché par tant de monde, pour purger avec assurance toute sorte de mauvaises humeurs en toutes les maladies, et quelque endroit du corps qu’elles se rencontrent. Ne voilà pas bien débuter [14] pour des gens si raffinés, qui enchérissent, à ce qu’ils disent, sur toute la philosophie des Anciens, et qui veulent impudemment faire passer Hippocrate, [44] Platon, [45] Aristote et Galien [46] pour des rêveurs, à cause qu’ils n’ont pas été, comme eux, alchimistes, c’est-à-dire vendeurs de fumée ?

Or, sans m’amuser à considérer ici l’antimoine comme cru et tel qu’il a été connu des Anciens, il me suffit de le prendre au sens des chimistes, contre lesquels je soutiens que ce qu’ils appellent antimoine préparé est un vrai poison dont il ne faut nullement user en médecine pour la guérison des maladies. Il n’en est pas de même de l’antimoine cru, qui n’empoisonne jamais personne ; de sorte que nous appelons seulement poison et prétendons être tel celui que les chimistes préparent et dont ils se servent tous les jours, après qu’il a passé par leurs fourneaux, pour en tuer inhumainement les pauvres malades qui leur demandent secours. Le docte Mercurial, lib. 2 de comp. medic. cap. 8, dit qu’il y a environ cent ans que Paracelse commença d’user de ce médicament diabolique, non pas pour purger les corps, mais pour égorger les hommes. La dose en laquelle ils le donnent est depuis deux grains jusqu’à quatre ; Mais je vous conseille, conclut-il, de n’user jamais de cette drogue pource que, encore qu’elle semble servir quelquefois, on voit néanmoins fort peu souvent ceux qui en réchappent, dont le nombre est fort petit, parvenir à une première vieillesse. Ce que démontre encore Thomas Erastus par divers exemples produits en termes exprès contre Paracelse ; outre que j’ai vu moi-même plusieurs fois mourir misérablement ceux qui en avaient usé ; et voilà ce qu’en écrit Mercurial. [15] Ioannes Crato[47] qui a eu l’honneur d’être premier médecin de trois empereurs qui ont régné tout de suite en Allemagne, pays natal de Paracelse et de la plupart des chimistes qui l’ont suivi, au conseil qu’il donne pour se garantir de la peste[48] parle ainsi de l’antimoine : [16] Puisqu’il est certain que les corps diffèrent extrêmement les uns des autres, soit en leur tempérament, soit en leurs propriétés individues, je désire qu’un chacun soit averti que, pour se préserver de la peste, il faut avoir recours aux plus habiles médecins, tant sur le fait de la saignée que de la purgation, et non pas à ceux qui, non moins imprudemment que témérairement, donnent en tel cas de l’antimoine et du précipité, [17][49] sous prétexte qu’ils purgent tout le corps et que, même, ils en tirent toute sorte d’impuretés. Je sais bien que quelques-uns se persuadent que l’antimoine est un singulier alexipharmaque contre la peste ; mais d’autant qu’il ne diffère pas beaucoup de l’arsenic, [50] que la Nature l’abhorre comme un poison et qu’il tire les bonnes humeurs autant que les mauvaises, il se peut faire que, dans une si violente agitation de tout le corps, et une si grande évacuation que fait l’antimoine par haut et par bas, la Nature soit quelquefois soulagée jusque là-même que la pourriture qui cause la peste diminue par le fort desséchement que tout le corps en reçoit. Mais, pour tout cela, je ne croirai jamais que ce remède ne soit extrêmement dangereux ni qu’il se puisse donner à tout le monde avec assurance, étant véritable et très certain que l’antimoine et le précipité sont deux poisons pestilents et tout à fait dommageables. Que si l’on m’allègue que quelques-uns (bien qu’en fort petit nombre), pour en avoir pris, n’en sont pas toutefois morts, il ne s’ensuit pas de là pourtant qu’il en faille donner à tout le monde. C’est tout ce que j’ai à dire là-dessus en faveur de ceux qui sont dignes de cet avertissement, pour en faire leur profit. Et voilà ce qu’est l’avis de Craton.

Henricus Smetius in Miscell. medic. [51] reconnaît en l’antimoine une qualité violente, vénéneuse, et si ennemie de l’estomac que ce n’est pas sans danger qu’il vide par haut et par bas tout ce qui est dans le ventricule, [52] ou qui joint les parties voisines, étant le plus pernicieux de tous les vomitifs, après le précipité. [18]

Thomas Erastus, premier professeur en médecine à Heidelberg, lib. de occult. phar. Potest. cap. 65 et 66[5] dit que l’antimoine lui est d’autant plus suspect qu’il semble approcher de la nature du verre et que, provoquant le vomissement avec violence, il purge indifféremment toute sorte d’humeurs, bonnes et mauvaises ; qu’ainsi agissant par une qualité vénéneuse, commune et maligne, plutôt que par aucune vertu particulière, ses effets sont vénéneux et tellement ennemis de nos corps que, pour en troubler toute l’économie, il ne faut qu’une petite quantité de cette drogue homicide. Le même auteur ajoute à cela que les plus fins d’entre les chimistes n’attribuent cette malignité qu’à ce qu’ils appellent verre d’antimoine, sans avouer le même des autres préparations, qu’il soutient néanmoins être naturellement mauvaises, comme tirées d’une très mauvaise cause ; d’où il conclut que ceux-là ne sont point médecins, mais cruels et impitoyables bourreaux, qui donnent à leurs malades de l’antimoine, de quelque façon qu’il soit préparé.

Jacques Grévin, lib. 2 de venen. cap. ult., cité ci-dessus, après avoir prouvé clairement que l’antimoine est un venin, avertit les magistrats de prendre bien garde à ceux qui en donnent, n’y ayant point de poison avec lequel on puisse plus finement et plus couvertement tuer une personne, soit en quantité, soit en qualité, puisqu’il n’en faut que la grosseur d’un pois pour lui ôter la vie, et que d’ailleurs, pour être insipide et sans odeur, il peut être mêlé facilement dans un bouillon ou dans du vin et des confitures. [19]

Notre grand Fernel, honneur de la Faculté de Paris et premier médecin du roi Henri ii[53][54] lib. 5 meth. med., cap. 14[55] après avoir rapporté plusieurs remèdes purgatifs qu’il dit avoir été abolis, ou comme superflus, ou comme nuisibles, met l’antimoine au nombre de ceux qui mettent la Nature en désordre. [20] Louis Duret[56] à bon droit nommé le Génie d’Hippocrate, pour avoir été, comme il est encore, une des plus vives lumières de l’École de Paris, nomme l’antimoine des chimistes un remède pernicieux et pestilent ; de quoi demeurent d’accord encore les plus savants hommes des autres écoles, et particulièrement M. Ranchin[57] médecin de Montpellier, en son traité de la lèpre, Opusc. pag. 473, où il avoue que l’antimoine est un médicament violent, délétère et vénéneux ; ce qu’il confirme aussi dans sa Pharmacie, pag. 937[21] Petrus Monavius, Ep. Medic. pag. 312, est encore de ce même avis en ses Épîtres médicinales où, parlant de l’antimoine : C’est, dit-il, un médicament purgatif, venimeux, malin et mortel ennemi de la Nature, à quoi sert de preuve cette violente émotion de tout le corps avec laquelle il purge par haut et par bas, bien qu’on n’en ait pris qu’en fort petite quantité. J’omets les accidents très cruels qui s’en ensuivent, comme la subversion du ventricule, la perte de l’appétit, la diminution des forces ; le mauvais pouls, les éblouissements, la surdité, l’aveuglement, les tranchées insupportables, et autres événements pareils ; d’où il se voit que, de quelque façon qu’il soit préparé, il n’est aucunement à propos d’en user, vu que telles préparations ne diminuent en rien sa malignité, et qu’au contraire, elles l’augmentent encore davantage par le feu dont se servent ordinairement ceux qui le préparent[22][58] Ferdinandus Epiphanius[59] savant médecin italien, in Theor. med. et philos. pag. 270, après avoir bien examiné la nature et les qualités de l’antimoine, conclut que toutes les préparations des chimistes ne sauraient empêcher que ce soit un poison très dommageable ; sur quoi, il rapporte que les médecins de Naples l’appellent Antimonium plusquam Dæmonium, c’est-à-dire une drogue plus dangereuse et plus maligne qu’un démon, pour les cruels accidents qui en arrivent ; d’où il conclut qu’un médecin sage et craignant Dieu ne s’en doit jamais servir pour six raisons qu’il allègue, qui me semblent ne pouvoir être réfutées. [23]

Caspar Hofmannus[60] médecin des plus savants d’Allemagne et premier professeur en l’Université de Messieurs de Nuremberg, qui est à Alrdorf[61] soutient dans un livre qu’il a fait, de Medicam. Officin. cap. 90 lib. 3 de Stibio, que l’antimoine est toujours poison, de quelque sorte qu’on le prépare, et que l’infusion même en est vénéneuse. Il en dit autant en un autre endroit, cap. 18, lib. 1 eiusd. op. p. 42, où il l’appelle le Crocus Metallorum, qui est l’antimoine préparé, un venin minéral, plus dangereux, de beaucoup, que les purgatifs qui sont tirés des végétaux. Outre ceci, dans la préface de ce même livre, pleine d’invectives très justes contre les remèdes métalliques des chimistes et contre leurs diverses préparations, qu’ils fortifient de termes nouveaux pour mettre à couvert leur ignorance, il appelle leur mercure de vie, mercure de mort, et le safran des métaux, safran diabolique. En suite de quoi, il réfute judicieusement les grands abus que commettent les chimistes lorsqu’ils se servent d’une médecine toute métallique, au mépris des végétaux ; en cela, certes, d’autant plus malicieux qu’ils ne peuvent ignorer que leur usage ne soit très innocent, très utile au public et incomparablement plus assuré que les faux remèdes de tous ces ouvriers de mort, qui les composent de vif-argent, de vitriol [62] ou d’antimoine, suivant les préparations diverses que Paracelse, Crollius, Quercetanus, Turneiserus, [63] Béguin et autres souffleurs très ignorants ont enseignées. [24]

Après de si puissantes autorités que je viens de rapporter contre l’antimoine, n’est-il pas à croire que si quelqu’un en évite la malignité, il en doit plutôt remercier la Fortune [64] que l’art ou l’adresse des charlatans qui le distribuent ? Ainsi le reconnaît, avec les auteurs déjà cités, le savant Cornelius Gemma, professeur de médecine à Louvain ; [25][65] et ainsi l’avouent plusieurs plusieurs chimistes mêmes, tels que sont Duncanus Bornettus, de Præparat. medicam. chym. p. 89 ; [66] Josephus Quercetanus, lib. de Medic. spag. præp. cap. 10 ; [26] Angelus Sala, de Anatomia antimonii, cap. 3 ; [27][67] Alexander à Suchten, [68] de Secret. antim., cap. 2 ; [28] Hieronymus Reusnerus, [69] de Scorbuto, exercit. 7 ; [29] et infinis autres dont je ne parle point ici pour n’être ennuyeux.

Mais à tant de témoignages irréprochables, tirés des meilleurs auteurs, je veux ajouter de fortes preuves et des raisons invincibles pour montrer que cette drogue ou, pour mieux dire, ce poison est nuisible au dernier point et inutile, par conséquent, pour être fait médicament purgatif. Les raisons que j’ai à produire sont les suivantes.

i. L’antimoine des chimistes est un nouveau remède que Paracelse a mis en usage au dernier siècle ; tellement qu’il ne faut pas douter qu’on ne le doive tenir pour suspect, soit pour sa nouveauté, soit pour ses mauvais effets, que je ne répète point, pour en avoir amplement parlé ci-dessus.

ii. L’expérience fait voir que ceux qui en usent hâtent leur mort par la violence de ce poison, qui agit rarement sans qu’il y ait ou rupture de quelques vaisseaux, ou exulcérations des intestins ou du ventricule. [30] Qui peut donc douter qu’il ne soit vénéneux et nuisible ?

iii. L’antimoine tient de la nature du plomb et en est aussi une espèce, qui a la même force que lui quand on le brûle ; d’où il faut conclure, avec Grévin, qu’il doit être mis au nombre des poisons. [31] Comme en effet, en le cuisant, il se convertit en plomb, il s’ensuit de là qu’il est plus vénéneux que le plomb même, pour être d’une matière plus inégale et moins compacte, ainsi qu’il se prouve facilement par la vilaine senteur et la puante fumée qui s’en exhale lorsqu’on le brûle, de laquelle il faut bien se prendre garde, comme remarque Béguin, lib. 2 de Calcinat. Antimon. ; [32] et partant, il est effectivement poison.

iiii. Nous appelons poison tout ce qui, étant une fois entré dans le corps, force à tel point la Nature qu’il la surmonte et la détruit enfin, tant par la dissipation de la chaleur naturelle que par la consomption [70] des esprits. Or est-il que l’antimoine fait tout cela et que, par ses opérations contagieuses, il se découvre mortel ennemi des principes de la vie. Donc il est poison, et très dommageable.

v. Dioscoride, Pline et tous les autres bons auteurs demeurent d’accord que c’est un poison que l’argent-vif, de la nature duquel l’antimoine approche tout à fait et, par conséquent, de ses qualités naturelles ; ce qu’on reconnaît à cause qu’il gagne le haut comme lui, [33] qu’il produit les mêmes effets en beaucoup de choses et que, d’ailleurs, s’il n’avait les qualités de l’argent-vif, il ne purgerait point, comme il fait, avec précipitation et violence, par haut et par bas, tant de sortes d’humeurs différentes, crasses, lentes, visqueuses et séreuses. L’antimoine est donc venin ou, du moins, une drogue vénéneuse.

vi. Bien que l’antimoine ne soit point exactement rendu verre par les souffleurs, si est-ce [34] qu’on ne peut nier qu’après qu’il est préparé par eux, il n’ait une grande affinité avec le verre. Comment donc la chaleur naturelle du corps humain peut-elle délayer et dissoudre cette dureté du verre et la siccité qui lui est naturelle ? Il faut néanmoins que cela se fasse en chaque médicament avant qu’il attaque les mauvaises humeurs pour les chasser ; autrement, il dégénérerait en venin. Que si cette raison, bien que certaine et indubitable, ne peut satisfaire à l’obstination des chimistes qui, de peur d’en être convaincus, ne la veulent pas comprendre, qu’ils cèdent au moins au jugement des sens et que l’expérience l’emporte. Pour la rendre indubitable, l’on n’a qu’à faire avaler à un chien du verre subtilement broyé, qui produira dans le corps de cet animal les mêmes effets que l’antimoine préparé produit d’ordinaire ; d’où vient que Thomas Erastus n’assure pas sans raison que l’antimoine lui est très suspect, pour être participant de la nature du verre. [5]

vii. De dire que l’opération de l’antimoine se fait avec trop de précipitation et de violence, ce n’est nullement en faire accroire, puisqu’il se voit par épreuve que, dans une demi-heure ou environ, il tire du corps une grande quantité de sérosités et cause, en même temps, d’horribles symptômes, voire plus étranges, que ne fait aucune autre sorte de poison, quand même il serait pris en grande quantité, et qu’il y aurait aussi du mercure mêlé parmi.

viii. L’antimoine évacue, indifféremment et sans aucun triage, toute sorte d’humeurs, bonnes et mauvaises ; mais il fait vider surtout par haut et par bas beaucoup de sérosités, par un effort excessif et qui fatigue cruellement le malade ; tellement que, pour empêcher un si mauvais effet, aucun chimiste jusques ici n’a pu, avec toute son industrie, réduire ce beau remède à suivre le mouvement ou de la Nature, ou des humeurs, ou de la maladie. Car, étant donné sans distinction en toutes sortes de maladies, en tout temps, en tout âge et en tout sexe, il déploie incontinent ses forces, attaque sans aucun choix toutes les humeurs et agit si rudement sur les séreuses qu’il les tire aussi tôt d’un corps tabide [71] que d’un hydropique, [72] d’un sain que d’un malade, et d’un bilieux [73] que d’un mélancolique [74] ou d’un pituiteux, [75] s’attachant toujours aux sérosités, sans tirer l’humeur la plus aisée à vider. Comment donc les chimistes osent-ils impudemment assurer qu’il tire et purge l’humeur peccante ? La santé ne consiste-t-elle pas en un parfait tempérament des humeurs ? Cela étant, est-il possible que l’antimoine ne renverse pas cette symétrie naturelle lorsque, avec autant de précipitation que de violence, il fait sortir et vider, avec l’humeur peccante, toutes les autres humeurs qu’il rencontre ?

ix. Un médecin, s’il est sage, ne se doit servir, à purger ses malades, d’aucun remède dont il ne soit maître. Or est-il que personne ne peut maîtriser ni retenir l’antimoine depuis qu’une fois il est entré dans le corps ; car il est de lui comme d’un torrent impétueux à qui l’on oppose en vain quelque digue, puisqu’il l’emporte aussitôt par violence et par la rapidité de son cours.

x. La dernière raison que j’ai à produire est que les fondements des chimistes ne sont pas moins faibles que leurs défenses car, en premier lieu, ils disent que les Anciens, parlant des venins, n’ont fait aucune mention de l’antimoine, bien qu’après tout, pour le soutenir, ils n’apportent aucune autorité qui soit valable. Ils ajoutent à cela l’expérience de quelques particuliers qui sont réchappés d’en avoir pris et à qui ce poison a fait grâce de la vie ; mais tous ces fondements sont ruinés par Jacques Grévin, médecin fameux, lib. 2 de Venen. ca. ult. quod est de Antim.[35] dont j’ai parlé ci-devant. Que les chimistes cessent donc de vanter un si malheureux remède s’ils ne désirent pas que l’on croie qu’en faisant l’éloge de l’antimoine (quoiqu’il ne serve qu’à tuer le monde), comme quelques peuples l’ont fait autre fois de la fièvre quarte, jusques à lui dresser des autels, [36][76] ils veulent que l’on loue aussi la surdité, l’aveuglement, le rhumatisme, le crachement de sang, la paralysie, la goutte, et tels autres accidents funestes que ce poison cause et qui, par des sentiers effroyables, conduit à la mort ceux qui en usent.

Je sais bien, Messieurs les empiriques, [77] que, suivant votre coutume, vous alléguez pour réponse à ce que je viens de mettre en avant certaines raisons frivoles, et qui ne sont pas moins impertinentes que vous êtes ridicules et dignes de pitié tout ensemble. Je sais, dis-je, qu’à la fin vous m’avouerez que l’antimoine est un poison de soi, que les préparations qui en ont été faites jusques ici n’ont pu détruire ses qualités vénéneuses ; que peu de gens sont capables de les corriger, et même de le donner comme il faut, peu de malades propres à le prendre et peu de maladies convenables aux effets qui s’en ensuivent ; qu’avec tout cela, néanmoins, vous ne laisserez pas d’assurer que (et voici l’écueil où vous faites naufrage) c’est un excellent remède quand il est préparé d’une certaine façon particulière, que le commun des chimistes n’entend pas et qui est comme une connaissance infuse d’en haut aux véritables artistes. Mais, ô les plus fourbes de tous les hommes ! êtes-vous donc si peu charitables que de vouloir tenir cachée une chose que vous croyez devoir être si salutaire à tout le public ? D’où vient que vous l’en frustrez inhumainement et que, la médecine étant un don de Dieu, vous ne daignez en faire part à ses créatures ? Hippocrate et Galien, bien que païens, en ont-ils usé de cette sorte ? Nenni sans doute, et votre silence m’oblige à dire que vous ne pouvez comme eux faire des largesses de science ni donner, encore moins, ce que vous n’avez pas et ce que vous n’eûtes jamais. Car, de nous vouloir persuader que, par une particulière révélation, vous possédez le mystérieux secret de préparer l’antimoine, dont vous faites votre grand œuvre, de vouloir, dis-je, nous faire accroire que vous avez apprivoisé ce Lion furieux (terme dont vous usez ordinairement), c’est n’être pas moins visionnaires que vos confrères les chercheurs de la pierre philosophale ; [78] ou si vous voulez encore, c’est imiter leur beau jargon, quand ils se vantent d’avoir dompté le lion vert par une force extraordinaire, qui n’est donnée qu’aux seuls enfants de la science. [37] Mais à Dieu ne plaise que nous soyons si fous que d’ajouter foi à toutes ces belles fables, ni que vous soyez si éloquents aussi que de nous les faire prendre pour des vérités indubitables. Que ne dites-vous plutôt (et vous ne mentirez pas) qu’il n’y a que fourberies et qu’impostures en tout ce que vous contez de votre antimoine ? qu’assurément vous n’en avez point d’autre préparation que celle de Crollius ou de Béguin et de Semini, [38][79] qui ont dupé tant de monde, et sur l’adresse desquels vous enchérissez par une tromperie qu’on peut nommer salutaire ? Car ceux d’entre vous qui ont quelque étincelle de jugement ou tant soit peu de conscience, ayant à traiter des corps qu’ils jugent trop faibles pour être à l’épreuve de leur remède, et qu’ils ne veulent pas tuer, leur donnent de la poudre Cornacchini[39][80] ou telle autre drogue, qu’ils font passer néanmoins pour antimoine, afin que l’on croie, tant ils sont vains, qu’ils ont en effet apprivoisé cette bête enragée.

Ce sont les beaux tours de souplesse et les secrets stratagèmes dont vous avez accoutumé d’user méchamment, pernicieux empiriques, afin qu’avec une malice aussi noire qu’elle est insupportable, pour la vanité qui s’y trouve jointe, vous persuadiez aux esprits crédules que, du plus contagieux de tous les poisons, vous en tirez le plus excellent de tous les remèdes. Mais si vous prenez bien garde au mal que vous faites, vous trouverez qu’il est du nombre des plus grands crimes que vous sauriez jamais commettre, car vous êtes cause qu’à votre exemple, les autres charlatans, [81] vos semblables, donnent impunément de l’antimoine aux pauvres malades, et qu’avec ce poison, ils font une infinité d’homicides, dont vous répondrez un jour devant Dieu. Amendez-vous donc, si vous me voulez croire ; sinon, assurez-vous qu’avec toutes vos finesses, quand bien < même > elles seraient capables de vous garantir des châtiments d’ici-bas, vous ne pourrez éviter les foudres vengeurs de la justice divine. [40][82][83]

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(Consulté le 25/04/2024)

 

Des remèdes cardiaques [a][1][2]

Nous appelons remèdes cardiaques ceux qui fortifient le cœur et qui repoussent quelque malignité loin de ses approches ; [1][3][4][5] ou bien ceux qui restaurent la chaleur et les forces du cœur en lui donnant de la vigueur et lui fournissant quantité d’esprits bien épurés ; et qui, en même temps, dissipent la malignité des humeurs qui y abordent et résistent à leur pourriture quand il s’y en rencontre. Et, à proprement parler, ces remèdes cardiaques ne sont que d’une sorte, savoir les aliments, vu qu’il n’y a, en toute la Nature créée, que ce qui nourrit qui puisse produire tel effet. Et néanmoins, sous ombre qu’on a mal entendu ce mot, il s’en est ensuivi un grand abus. Les Anciens, qui nous ont laissé la médecine par écrit, n’ont fait aucune mention des cardiaques, vu qu’ils ne les distinguaient point des aliments. Hippocrate, [6] Aristote [7] ni Galien [8] n’ont point connu cette espèce de remèdes que l’on nomme aujourd’hui ainsi dans les boutiques des apothicaires, par une particulière et quasi nouvelle dénomination. Ce spécieux nom de cardiaque est une invention des Arabes [9] et de leurs sectateurs, qui n’ont rien épargné et se sont tout exprès efforcés afin d’introduire en médecine de nouvelles sortes et inouïes nomenclatures de remèdes, la plupart inutiles ; < ce > dont ils ne sont venus que trop aisément à bout par le moyen de leur tyrannie et de la barbarie qui a régné dans les écoles depuis leur temps jusqu’à celui de nos aïeuls, c’est-à-dire plus de 400 ans, et depuis le xe ou xie siècle de notre Sauveur jusques au xve. Laquelle barbarie a été si grande, si forte et si violente dans les esprits des hommes de ce temps-là qu’elle a eu du crédit jusques à aujourd’hui dans l’esprit de la plupart des hommes, < ce > dont la plus sainte et la plus pure médecine est encore aujourd’hui presque accablée ; de sorte que qui dit aujourd’hui un julep cordial [10] dit une drogue et une bagatelle de l’invention des Arabes, dont l’apothicaire fait son profit et qui coûte si cher au malade : [11] jusque-là qu’il s’est vu dans les parties des apothicaires qu’ils ont fait monter les deux prises jusques à six écus, sans en avoir reçu le moindre soulagement, si ce n’est par la bonne opinion qu’il a conçue d’un nom si agréable et d’un prétexte si spécieux.

Les cardiaques donc, à proprement parler, sont les médicaments qui augmentent les forces du cœur, et qui le fortifient et le récréent, tels que sont les aliments, en tant qu’ils fournissent au cœur du sang et des esprits en telle quantité qu’il a besoin pour faire ses fonctions ; et par conséquent, à proprement parler, il n’y a que les aliments qui méritent d’être nommés cardiaques : ce que je prouve par l’autorité de Galien, [12] qui dit, en son Comment. 3 sur le livre d’Hippocrate de Ratione victus in acutis[13] que l’eau ne robore ni fortifie en aucune façon le cœur parce qu’elle ne nourrit point. [2] Et néanmoins, l’eau fraîche pourrait être en quelque façon nommée cordiale et réputée médicament cardiaque, mais par accident seulement, en tant que, par le rafraîchissement qu’elle cause, elle récrée et soulage le cœur en quelque façon : étant, par exemple, donnée à un voyageur échauffé, auquel elle arrête la dissipation des esprits qu’il s’est procurée en s’échauffant à cheminer. Et, de ce passage de Galien, j’infère qu’il n’y a dans la Nature de vrais cardiaques que les aliments, lesquels, en tant que tels, fournissent au cœur des humeurs louables, et des esprits tempérés et proportionnés. On peut aussi appeler cardiaques les remèdes qui empêchent la trop grande évacuation et dissipation des esprits qui se fait par la douleur ou par quelque évacuation insigne, comme par une perte de sang par le nez, ou par le ventre, [14] ou par une plaie ; ce qui arrivera à arrêter le sang pourra être nommé cardiaque, combien qu’il n’aille pas jusqu’au cœur, mais en tant seulement qu’il retient les esprits et les forces du malade qui se dissipaient par trop en cette évacuation. [3][15] Ainsi, ce qui ôte ou diminue la lassitude d’un malade peut être dit cardiaque, sans toucher au cœur, combien qu’improprement. Et en ce sens : tout ce qui retient les esprits, tels que sont les astringents ; [16] tout ce qui vide et fait sortir du corps la pourriture et la matière à laquelle elle est attachée, comme sont la saignée et les purgatifs ; [17] tout ce qui empêche l’abord des vapeurs malignes, comme l’eau fraîche, et tout ce qui rafraîchit ; tout ce qui empêche la pourriture, comme les choses acides ; tout ce qui ouvre les pores et les méats de l’habitude du corps pour faire évaporer quantité d’excréments fuligineux qui nuisent à la chaleur naturelle, tels que sont les sudorifiques, diaphorétiques, [18] les frictions dures, les bains [19] et les étuves ; [20] bref, tout ce qui fait du bien au corps en quelque façon (ôté la nourriture) peut être dit médicament cardiaque ; mais improprement seulement, vu qu’il n’y a que les aliments seuls qui méritent proprement ce titre et que tous les anciens Grecs, Hippocrate, Galien et autres, qui ont été les plus savants hommes du monde, n’en ont jamais connu d’autre. D’où s’ensuit, par conséquence nécessaire, que les Arabes n’ont nulle raison de mettre les perles, [21] l’alkermès, [22] les fragments précieux, [4][23] la corne de licorne, [24] le bézoard, [25] l’or [26] et autres telles bagatelles au rang des médicaments cardiaques, vu qu’ils ne nourrissent nullement, et même qu’ils n’admettent nulle coction dans l’estomac, ni qu’ils ne sont point distribués, mais au contraire, qu’ils se vident et sortent du corps comme ils y sont entrés. Arrière donc toute cette forfanterie des cardiaques arabesques qui ne servent qu’à enrichir les apothicaires, et à échauffer et ruiner les pauvres malades. [5]

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(Consulté le 25/04/2024)

 

De l’os du cœur d’un cerf et de la corne de licorne [a][1][2][3]

Nous ne nions point que les Anciens aient connu cet os, ou tout au moins, un cartilage endurci en guise d’os, dans le cœur d’un cerf et d’autres animaux. Aristote dit qu’il en a vu un en certains bœufs, en des chevaux aussi ; [1][4] Galien écrit aussi l’avoir vu en un éléphant ; [2][5][6] mais nous nions que ces os aient aucune vertu particulière. Ceux qui lui attribuent une faculté admirable pour fortifier le cœur [7] se trompent lourdement et n’en allèguent nulle raison ; en quoi ils ont grand tort, mais croient que c’est assez de le dire après les Arabes ; [8] et néanmoins, l’expérience n’en montre rien de pareil. Pour moi, je le dis en un mot : c’est un os qui ressemble à tous les autres os et qui n’a aucune autre vertu ni faculté que les os communs. [3]

La corne de licorne est une autre imposture descendue des Arabes en ce qui concerne les vertus qu’elle a en la médecine. Tout ce qu’ils en ont dit est fabuleux et ce sont fables ceux-mêmes qui en ordonnent. Je pourrais nier qu’elle fût en la nature des choses, vu que personne ne l’a jamais vue, n’était que la Sainte Écriture en fait mention dans les Nombres, [9] dans Job, [10] dans les Psaumes, [11] dans le prophète Isaïe[4][12][13][14] Plusieurs auteurs en ont parlé, mais il n’y a rien de si incertain que ce qu’ils en disent, et ont tous pris les uns sur les autres. Olaüs Wormius, professeur en médecine du roi de Danemark, à Copenhague, en ses Institutions de médecine[15] assure, comme témoin oculaire, que ce qu’on appelle aujourd’hui par toute l’Europe corne de licorne n’est autre chose qu’une dent ou qu’un os de la bouche d’une espèce de baleine, que ceux de l’île d’Islande appellent vulgairement narhual[16] que lui-même en a vu un crâne entier auquel était encore attachée une assez grande portion de cet os ; et avoue que, comme il a de la ressemblance avec les dents d’éléphant, de baleines et d’autres animaux, ainsi n’a-t-il aucune autre qualité que des dents et des os vulgaires. Les médecins de Danemark et de la Russie, qui souvent ont vu de ces poissons avec leurs dents, se moquent des médecins d’Allemagne et d’Italie qui se servent de ces prétendues cornes, comme si elles contenaient quelque mystère cardiaque et quelque insigne vertu miraculeuse. [5] C’est pourquoi nous conclurons avec le docte Rondelet, [17] médecin de Montpellier, que la corne de licorne et les cornes de quelque animal que ce soit ne peuvent avoir en médecine aucune faculté particulière, si ce n’est de dessécher par leur qualité matérielle. [6] Il n’y a donc que les charlatans qui font semblant d’y croire, afin de tromper les plus crédules de cette inutile, malheureuse, mais très chère marchandise, de laquelle, dorénavant, se gardera quiconque ne voudra plus être trompé.

Pour montrer qu’elle a quelque vertu, disent-ils, c’est qu’elle fait bouillir l’eau dans laquelle on la met tremper. [7] Je réponds que les autres cornes en font tout autant, et même celles de mouton à à cause qu’elles sont poreuses ; et à tout cela, il n’y a aucun miracle.

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(Consulté le 25/04/2024)

 

Des perles [a][1][2]

La poudre de perles, et comme quoi que [1] les perles soient préparées ou données, n’ont aucune vertu particulière en la médecine et ne méritent pas qu’on en parle du tout. J’en ai néanmoins fait mention à cause du diamargariton que les apothicaires vendent comme une poudre fort cordiale parce qu’ils la vendent bien cher, et à cause du sucre perlé qu’ils extollent si haut qu’ils osent bien, avec autant d’impiété que d’impudence, l’appeler la main de Jésus-Christ[2][3][4] J’en dis autant de tous les autres remèdes où il entre des perles.

Mais je ne puis omettre ce qu’ils disent pour montrer que les perles ont grandes vertus en la médecine, à savoir que le vinaigre [5] le plus fort dissout les perles et, à même instant, il est adouci et perd toute son acrimonie, ainsi que, dans les fièvres, le sang, étant échauffé et rendu âcre, et même presque converti en bile [6] par la chaleur étrangère, sera adouci et recevra sa première température par l’usage des perles. Bien que telle objection soit impertinente et plus digne de pitié que de réponse, pour détromper le peuple à qui de telles apparences peuvent faire quelque impression, je dis qu’il n’<en> est pas du sang comme du vinaigre et que les perles ne peuvent être surmontées par la chaleur naturelle, pour participer de la nature de la pierre. [3][7][8][9] Et, de plus, quand je leur accorderais ce qu’ils disent, voyez<-vous>, en une fièvre maligne, [10] où toute la masse du sang est corrompue, la quantité qu’il faudrait de perles pour l’adoucir ? Tous les beaux colliers de perles des dames de Paris ne suffiraient pas pour adoucir six poêlettes [11] de sang dans une fièvre continue ; [12] ce que la pointe d’une lancette [13] fait en même instant.

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(Consulté le 25/04/2024)

 

Des pierres précieuses [a][1][2]

J’entends les escarboucles, [3] les grenats [4], les hyacinthes, [5] les rubis, les saphirs, [6] les émeraudes [7] et autres drogues, dont je parlerai en gros, [1][8] vu qu’il faudrait faire un gros livre s’il m’en fallait traiter d’un chacun en particulier. Je dis seulement, en général, de toutes ces pierres que ce sont des pierres, et rien de plus ; qui, pour être un peu plus fines et plus déliées que n’est la meule du moulin, laquelle écache [2] le blé (combien que celle-ci soit extrêmement nécessaire à la vie des hommes), ont été introduites en la médecine par les Arabes, [9] qui ont voulu tout mettre en œuvre et leur ont attribué des facultés merveilleuses, dont ils n’eurent jamais l’ombre et que l’expérience n’a jamais confirmées ; joint que ces fragments qu’ils appellent précieux et toutes ces poudres si artificiellement préparées ne peuvent en aucune façon être digérées par la chaleur naturelle, non plus que des cailloux ou de la pierre-ponce pulvérisée. Elles ont leurs qualités matérielles, qui est de dessécher, et rien de plus. Dans les fièvres malignes [10] et pestilentes, [11] elles n’ont non plus de pouvoir sur la pourriture qui les produit que de la craie ou du plâtre. C’est folie d’en attendre aucun secours. Et ce qui est vrai de la peste [12] est vrai pareillement en toutes les maladies dans la guérison desquelles les Arabes recommandent telles bagatelles.

Mais, me dira quelqu’un, ces fragments précieux, étant pulvérisés, boivent comme une éponge les sérosités malignes qui regorgent du foie [13] ou de la rate [14] dans l’estomac, et qui y abondent ordinairement dans les fièvres pestilentes et pourprées. [15] À quoi je réponds que ce dégorgement de sérosités dans le fond du ventricule, [16] qui est le plus souvent imaginaire, n’est, tout au pis aller, qu’un simple symptôme qui n’a besoin d’aucun remède particulier ; ou même, quand il lui en faudrait, au moins ne faudrait-il point aller dans les Indes Orientales, [17] ni passer le cap de Bonne-Espérance ou la mer Rouge pour en apporter des remèdes si chers et de si peu de profit. Outre qu’il en faudrait prendre beaucoup pour boire cette sérosité maligne, et s’ensuivrait que cela ferait un mortier dans l’estomac, qui ferait obstruction, boucherait les orifices des veines, si bien qu’empêchant la transpiration, [18] cela augmenterait la pourriture et, par conséquent, la maladie ; vu qu’un bouillon, [19] un verre de tisane commune, [20] un quartier de pomme cuite, un verre de limonade bien faite, [21] voire même un verre d’eau fraîche, y valent mieux que tous ces fragments qui ne sont précieux qu’aux apothicaires [22] qui les vendent, et qui peuvent être nommés fragments pernicieux aux malades qui se fient à ces remèdes de coupe-bourses, au lieu de servir des grands remèdes, de l’usage desquels la vraie médecine nous promet du secours, qui croissent chez nous et que nous avons en main, tels que sont la saignée, [23] la purgation[24] le régime de vivre, [25] les citrons, les oranges, [26] les grenades, [27] l’épine-vinette, [3][28] le verjus et autres rafraîchissements acides qui résistent à la pourriture.

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