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Observations de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648) : iii  >

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Observations de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648) : III

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8156

(Consulté le 20/04/2024)

 

Des remèdes cardiaques [a][1][2]

Nous appelons remèdes cardiaques ceux qui fortifient le cœur et qui repoussent quelque malignité loin de ses approches ; [1][3][4][5] ou bien ceux qui restaurent la chaleur et les forces du cœur en lui donnant de la vigueur et lui fournissant quantité d’esprits bien épurés ; et qui, en même temps, dissipent la malignité des humeurs qui y abordent et résistent à leur pourriture quand il s’y en rencontre. Et, à proprement parler, ces remèdes cardiaques ne sont que d’une sorte, savoir les aliments, vu qu’il n’y a, en toute la Nature créée, que ce qui nourrit qui puisse produire tel effet. Et néanmoins, sous ombre qu’on a mal entendu ce mot, il s’en est ensuivi un grand abus. Les Anciens, qui nous ont laissé la médecine par écrit, n’ont fait aucune mention des cardiaques, vu qu’ils ne les distinguaient point des aliments. Hippocrate, [6] Aristote [7] ni Galien [8] n’ont point connu cette espèce de remèdes que l’on nomme aujourd’hui ainsi dans les boutiques des apothicaires, par une particulière et quasi nouvelle dénomination. Ce spécieux nom de cardiaque est une invention des Arabes [9] et de leurs sectateurs, qui n’ont rien épargné et se sont tout exprès efforcés afin d’introduire en médecine de nouvelles sortes et inouïes nomenclatures de remèdes, la plupart inutiles ; < ce > dont ils ne sont venus que trop aisément à bout par le moyen de leur tyrannie et de la barbarie qui a régné dans les écoles depuis leur temps jusqu’à celui de nos aïeuls, c’est-à-dire plus de 400 ans, et depuis le xe ou xie siècle de notre Sauveur jusques au xve. Laquelle barbarie a été si grande, si forte et si violente dans les esprits des hommes de ce temps-là qu’elle a eu du crédit jusques à aujourd’hui dans l’esprit de la plupart des hommes, < ce > dont la plus sainte et la plus pure médecine est encore aujourd’hui presque accablée ; de sorte que qui dit aujourd’hui un julep cordial [10] dit une drogue et une bagatelle de l’invention des Arabes, dont l’apothicaire fait son profit et qui coûte si cher au malade : [11] jusque-là qu’il s’est vu dans les parties des apothicaires qu’ils ont fait monter les deux prises jusques à six écus, sans en avoir reçu le moindre soulagement, si ce n’est par la bonne opinion qu’il a conçue d’un nom si agréable et d’un prétexte si spécieux.

Les cardiaques donc, à proprement parler, sont les médicaments qui augmentent les forces du cœur, et qui le fortifient et le récréent, tels que sont les aliments, en tant qu’ils fournissent au cœur du sang et des esprits en telle quantité qu’il a besoin pour faire ses fonctions ; et par conséquent, à proprement parler, il n’y a que les aliments qui méritent d’être nommés cardiaques : ce que je prouve par l’autorité de Galien, [12] qui dit, en son Comment. 3 sur le livre d’Hippocrate de Ratione victus in acutis[13] que l’eau ne robore ni fortifie en aucune façon le cœur parce qu’elle ne nourrit point. [2] Et néanmoins, l’eau fraîche pourrait être en quelque façon nommée cordiale et réputée médicament cardiaque, mais par accident seulement, en tant que, par le rafraîchissement qu’elle cause, elle récrée et soulage le cœur en quelque façon : étant, par exemple, donnée à un voyageur échauffé, auquel elle arrête la dissipation des esprits qu’il s’est procurée en s’échauffant à cheminer. Et, de ce passage de Galien, j’infère qu’il n’y a dans la Nature de vrais cardiaques que les aliments, lesquels, en tant que tels, fournissent au cœur des humeurs louables, et des esprits tempérés et proportionnés. On peut aussi appeler cardiaques les remèdes qui empêchent la trop grande évacuation et dissipation des esprits qui se fait par la douleur ou par quelque évacuation insigne, comme par une perte de sang par le nez, ou par le ventre, [14] ou par une plaie ; ce qui arrivera à arrêter le sang pourra être nommé cardiaque, combien qu’il n’aille pas jusqu’au cœur, mais en tant seulement qu’il retient les esprits et les forces du malade qui se dissipaient par trop en cette évacuation. [3][15] Ainsi, ce qui ôte ou diminue la lassitude d’un malade peut être dit cardiaque, sans toucher au cœur, combien qu’improprement. Et en ce sens : tout ce qui retient les esprits, tels que sont les astringents ; [16] tout ce qui vide et fait sortir du corps la pourriture et la matière à laquelle elle est attachée, comme sont la saignée et les purgatifs ; [17] tout ce qui empêche l’abord des vapeurs malignes, comme l’eau fraîche, et tout ce qui rafraîchit ; tout ce qui empêche la pourriture, comme les choses acides ; tout ce qui ouvre les pores et les méats de l’habitude du corps pour faire évaporer quantité d’excréments fuligineux qui nuisent à la chaleur naturelle, tels que sont les sudorifiques, diaphorétiques, [18] les frictions dures, les bains [19] et les étuves ; [20] bref, tout ce qui fait du bien au corps en quelque façon (ôté la nourriture) peut être dit médicament cardiaque ; mais improprement seulement, vu qu’il n’y a que les aliments seuls qui méritent proprement ce titre et que tous les anciens Grecs, Hippocrate, Galien et autres, qui ont été les plus savants hommes du monde, n’en ont jamais connu d’autre. D’où s’ensuit, par conséquence nécessaire, que les Arabes n’ont nulle raison de mettre les perles, [21] l’alkermès, [22] les fragments précieux, [4][23] la corne de licorne, [24] le bézoard, [25] l’or [26] et autres telles bagatelles au rang des médicaments cardiaques, vu qu’ils ne nourrissent nullement, et même qu’ils n’admettent nulle coction dans l’estomac, ni qu’ils ne sont point distribués, mais au contraire, qu’ils se vident et sortent du corps comme ils y sont entrés. Arrière donc toute cette forfanterie des cardiaques arabesques qui ne servent qu’à enrichir les apothicaires, et à échauffer et ruiner les pauvres malades. [5]

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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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