À Claude II Belin, le 24 mai 1642, note 1.
Note [1]

Du buveur d’eau de la Foire Saint-Germain est le titre de la conférence qui s’était tenue au Bureau d’adresse de Théophraste Renaudot (v. note [15], lettre 324), le lundi 5 mars 1640. C’est aussi le titre de la réédition qu’en a donné et publié Jeanne Mauret (Angers, Librairie ancienne, 1931), en même temps que deux autres conférences : Si les grosses têtes ont plus d’esprit que les autres, et De la mandragore (v. note [85], lettre latine 351).

Voici l’exposé des faits sur le buveur d’eau :

« Puisque la pluralité {a} des voix nous a donné pour tâche à traiter de ce célèbre buveur d’eau qui s’est fait admirer des grands et des petits presque par toute la chrétienté, et naguère en notre cour et durant tout le cours de la foire Saint-Germain, il est à propos de commencer par le fait avant d’en rechercher les causes. Ce personnage, de médiocre stature, ayant la poitrine fort large, comme aussi le visage et particulièrement le front, les yeux fort grands, se dit être âgé de 60 ans, bien qu’il n’en paraisse avoir qu’environ 40. Natif de la ville de Note, au territoire de Malte, il se fait nommer Blaise Manfredé. Ceux qui l’ont observé dans les maisons particulières et sur le théâtre ont remarqué qu’il fait son expérience, non seulement tous les jours, mais souvent deux fois en une après-dînée. {b} Aussi, vomissant si librement comme il fait, il est toujours à jeun quand il veut. Sa pratique est fort éloignée de ses affiches, par lesquelles il promet de boire cent pintes {c} d’eau, et il n’en boit que quatre {d} sans la rendre ; ce qu’il fait en cette sorte : il se fait apporter un seau presque plein d’eau tiède, et 15 ou 20 petits verres ou fioles ayant l’ouverture fort large et en forme de ventouses aplanies en sorte qu’elles se peuvent tenir renversées ; il boit ordinairement d’abord deux ou trois de ces verres pleins d’eau qu’il puise dans ce seau, s’étant lavé la bouche pour montrer qu’il n’a rien entre les dents, puis se met à discourir en italien quelque demi-quart d’heure ; lequel temps passé, il boit 23 ou 24 de ces verres, qu’il puise dans le même seau ; après quoi, il rejette impétueusement une eau rouge et qui semble du vin, mais n’en a que la couleur. Cette eau paraît rouge au sortir de sa bouche, et néanmoins la soufflant en deux de ses bouteilles, elle se trouve rouge en une et rousse en l’autre ; et changeant la situation de ses bouteilles du côté gauche de sa bouche au droit, et du droit au gauche, ces couleurs paraissent toujours différentes dans la bouteille ; à savoir l’une rouge et l’autre citrine ou rousse. Il s’en trouve aussi de couleur de vin paillé et d’œil de perdrix ; et plus il vomit, plus aussi l’eau qu’il rejette se trouve claire et moins colorée. Il a promis plusieurs fois de rendre de l’huile et du lait ; mais je n’ai rien vu de pareil, ni entendu dire à aucun qu’il l’eût vu. Il met ensuite sur un banc ses bouteilles exposées à la vue d’un chacun, au nombre de 15 ou 16. Ce fait, il plonge d’autres bouteilles dans son seau, en boit quelques-unes et les rend en eau claire, en eau de fleur d’oranger, eau rose, et enfin eau-de-vie, qui se manifestent par leurs odeurs et par le feu que l’eau-de-vie conçoit après en avoir mouillé un mouchoir ; ayant été remarqué avoir toujours gardé cet ordre dans l’effusion de ses liqueurs que l’eau rouge sort la première, et l’eau-de-vie la dernière. Il ferme cette action par 30 ou 40 demi-verres d’eau qu’il puise dans le même seau et qui ne peuvent revenir qu’à trois ou quatre pintes au plus. Puis, ayant fait entendre au peuple que son estomac, bien que ce ne soit pas un muscle qui est l’instrument du mouvement volontaire, lui obéit, jette cette eau en l’air avec sa couleur naturelle, de telle impétuosité, qu’il imite le jet d’eau des fontaines qui saillent contre haut, ce qui ravit encore en plus grande admiration que tout le reste le peuple, lequel y est accouru en telle foule qu’il ne s’est passé jour depuis six semaines qu’il ne s’y soit trouvé plus de 400 personnes. »


  1. Majorité.

  2. Après-midi.

  3. 93 litres.

  4. 3,7 litres.

Après l’exposé des huit disputants anonymes, le compte rendu s’achève sur ces mots :

« de quoi la vérité se saurait en l’enfermant quelques jours en lieu où il n’eût de quoi déguiser l’eau qu’il prend, et on verrait sans doute qu’il la rendrait telle qu’il l’aurait prise. »

Imprimer cette note
Citer cette note
x
Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 24 mai 1642, note 1.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0064&cln=1

(Consulté le 06/12/2024)

Licence Creative Commons