À Charles Spon, le 16 avril 1649, note 1.
Note [1]

Étant donné la longueur exceptionnelle de ce passage latin, Patin ne l’a pas souligné (c’est-à-dire mis en italique suivant la règle de l’imprimerie), mais placé entre guillemets avec rappel au début de chaque ligne, en y soulignant seulement quelques mots, mis en italique dans la traduction que voici :

« Dans toute épilepsie nous reconnaissons l’atteinte de deux parties, savoir celle qui exécute, qui est toujours le cerveau, et celle qui donne l’ordre, qui n’est d’ordinaire pas unique. Si un souffle malfaisant, une funete flatulence, {a} une vapeur néfaste frappent le cerveau par leur acrimonie ou leur malignité, alors s’y produit une vibration, un mouvement convulsif et parfois même une convulsion vraie. Il s’agit alors de la véritable épilepsie, typique et proprement dite ; mais il est nécessaire qu’une partie du corps, précise et bien définie, soit à l’origine de cette vapeur. Si le médecin ne la discerne pas, il ne progressera qu’à grand-peine dans la recherche de la guérison. {b} On peut même dire qu’il agira à la manière des empiriques, sans rames, sans voiles, jusqu’à aboutir au naufrage ; et de fait, le cerveau ne sera pas libéré de cette vapeur maligne si elle n’est interceptée à sa source même. Or cette source peut être l’estomac corrompu et {c} déréglé, comme il arrive chez les enfants par la voracité et la gloutonnerie ; chez les ivrognes, par le vin frelaté et consommé en excès ; chez les mélancoliques, si un suc excrémentiel, âcre, acide, putride, atrabilaire s’épanche par un vaisseau court depuis la rate jusque dans le fond de l’estomac. Ce peut être le foie enflammé et engorgé par un flux excessif. Ce peuvent être les intestins {d} remplis par une pituite visqueuse et putride, ou des vers qu’ils contiennent. Ce peut être l’utérus parce qu’il est lui-même bloqué et déréglé, avec parfois des menstrues retenues et pourrissantes, ou parce qu’il est engorgé par quelque cacochymie {e} particulière qu’il est facile d’expulser, si nous nous rappelons que dans le corps féminin cette partie a la fonction de sentine et d’égout. Ce peut-être la rate si elle est trop paresseuse, c’est-à-dire obstruée ou déréglée, incapable d’accomplir sa fonction propre : qu’il s’agisse de l’hématose, {f} comme on a vu Aristote le vouloir et après lui, Hofmann, Riolan et d’autres ; ou qu’il s’agisse de l’épuration de la portion grossière et la plus épaisse du chyle lui-même, comme l’a voulu Galien, avec le commun des médecins. Ce peut être le pancréas ou le mésentère rempli par un écoulement trop abondant, épais et visqueux, et en certains cas, par le pus abondant d’un abcès caché, quelquefois très volumineux. Ce peut aussi être du pus enfermé dans quelque autre partie, telle que la cuisse, le pied, etc. Si cette secousse du cerveau provient d’un pus retenu dans une partie quelconque, il est nécessaire de l’évacuer, sans quoi la maladie ne cessera pas. De ce fait nous disposons d’une infinité d’exemples. Ainsi ai-je vu très souvent une épilepsie infantile provoquée par une nouvelle nourrice qui engloutissait du vin pur en cachette. Par conséquent, pour guérir l’épilepsie il est nécessaire de découvrir la partie qui est affectée, celle qui envoie vers le cerveau, et d’évacuer la matière qu’elle contient ; sinon, tout effort entrepris pour la guérir sera sans effet. Il faut donc prendre cette partie en compte et y porter remède selon la cause en jeu, c’est-à-dire qu’il faut ou bien en éliminer l’intempérie, ou bien à tout le moins, la diminuer ou en détourner l’obstruction, etc., au moyen de remèdes propres et adaptés. On doit cependant toujours commencer par des remèdes généraux, etc. Je me rappelle avoir soigné une très noble jeune fille, qui n’avait pas encore 18 ans, chez qui la jalousie {g} déclenchait un très violent mal de tête, d’où elle tombait en épilepsie. Aussitôt qu’on me fit venir, il m’apparut qu’elle était sujette à de telles convulsions dix fois et plus par jour. Comme elle était pléthorique, son mal se dissipa sur-le-champ en délivrant cette plénitude par cinq saignées. Néanmoins, dans la crainte d’une probable récidive, elle fut purgée et baignée dans l’eau tiède à trois ou quatre reprises pour corriger l’intempérie excessive des intestins. La puissance d’une si grande maladie est vraiment étonnante, pour sa capacité à remuer un corps pléthorique et à secouer le cerveau lui-même. Jamais sa maladie ne récidiva ; cependant, voici un an, cette jeune femme est morte ici, emportée par un accouchement laborieux. Quand je dis remèdes propres et adaptés, je n’entends rien d’autre que ceux qui vident, évacuent, détournent, refroidissent et désobstruent, avec le choix convenable et judicieux des aliments, où le plus important est l’abstinence du vin, qui est tout à fait nécessaire dans ce genre de maladies cérébrales. La préparation même et la coction des humeurs sont l’œuvre de la nature plutôt que de l’art ; au moins dépendent-elles bien plus du régime et de la saignée que de ces apozèmes, qui semblent n’avoir été inventés que pour le profit des pharmaciens. La digestion même de la matière morbifique n’est en effet rien d’autre que le refoulement et l’empêchement de la putréfaction, et la suppression ou la diminution de l’intempérie, comme l’enseigne si bien Fernel. Quant à cet antiépileptique tant recommandé par les chimistes, tout comme leurs spécifiques, je ne me les approprie ni ne m’en sers. Ce sont fables d’hommes oisifs et remèdes sans effet, que les Grecs n’ont ni connus, ni mentionnés. Cette matière visqueuse que vomit votre malade indique clairement que les parties affectées responsables ont été soit l’estomac lui-même, soit des parties qui en sont voisines, et on a dû très souvent purger l’estomac lui-même à cause des matières qu’il contient au fond de lui. »


  1. V. note [19] de l’Autobiographie de Charles Patin pour ma traduction du mot anathymiasis, hellénisme fort peu courant dans la langue médicale.

  2. Guy Patin a corrigé purgationis, purgation, en curationis.

  3. vel, ou, corrigé par Patin en et.

  4. V. note [6], lettre 558.

  5. Rétention d’humeur.

  6. Sanguification, transformation du chyle alimentaire en sang.

  7. zêlotupia en grec.

Voilà un précieux exemple du raisonnement médical de Patin, et le fond n’en est pas entièrement mauvais : l’épilepsie est ici considérée comme un symptôme de souffrance cérébrale ; c’est le transport au cerveau d’une perturbation qui affecte une autre partie du corps ; le médecin doit s’attacher à identifier cette cause pour en entreprendre la correction thérapeutique. Les mécanismes incriminés sont ceux, vagues et fort embrouillés, qu’on concevait de ce temps-là. La responsabilité très commune de l’alcool est bien mise en exergue, mais il est surprenant que les maladies du cerveau lui-même ne soient pas explicitement prises en compte, alors qu’elles sont au premier rang des causes de l’épilepsie. Un épileptique qui vomit est aujourd’hui bien plus suspect d’avoir une tumeur du cerveau qu’une maladie de l’estomac.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 16 avril 1649, note 1.

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(Consulté le 25/04/2024)

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