À Christiaen Utenbogard, le 12 juin 1664, note 1.
Note [1]

Guy Patin revenait sur la réhabilitation d’Alexandre More pour dire à Christiaen Utenbogard que Louis xiv y avait personnellement contribué avec un bon mot sur la débauche des religieux.

Depuis des années, synode après synode, les ministres calvinistes français avaient convié More (Morus) à justifier sa conduite jugée libertine et débauchée (v. note [7], lettre 783). Sans doute y avait-il du vrai dans leurs griefs, mais le principal moteur de leur acharnement contre More était l’envie qu’inspiraient ses immenses succès de prédicateur (La France protestante…, volume 7, pages 545‑547) :

« Ce qui charmait son auditoire, c’était la grâce, la chaleur de son débit, et surtout les allusions piquantes, les traits satiriques, les bons mots, dont il semait ses discours. Comme à Genève, ses étonnants succès excitèrent la jalousie, {a} et son orgueil, son humeur caustique froissèrent les susceptibilités de plusieurs membres du consistoire. Il se forma contre lui une cabale […]. On chercha d’abord à l’éloigner sans bruit et on lui conseilla, sous main, de faire un voyage en Angleterre. Ses partisans prétendent que ses adversaires voulaient se donner le temps de dresser leurs batteries, et que Morus tombât dans le piège. Ce qui est certain, c’est que le consistoire lui accorda avec une grande facilité un congé et que, pendant son absence, de sourdes rumeurs se répandirent sur son compte. À son retour, craignant apparemment de voir se renouveler ce qui s’était passé en Hollande, il voulut donner sa démission ; mais un grand nombre de chefs de famille l’ayant supplié de rester, il céda à leurs instances. Déçue dans son espoir, la cabale changea de tactique. Massanes et Le Coq {b} ne rougirent pas de descendre au vil rôle d’espions. Ils s’attachèrent aux pas de Morus, afin de surveiller ses démarches, et il faut avouer que la conduite du pasteur ne prêta que trop aux plus fâcheuses interprétations. Peu habitué à un travail suivi et à une vie sédentaire, il avait pris l’habitude de courir les rues, accompagné de Chapuzeau, {c} qui, sans être “ un homme infâme, un insigne scélérat ”, comme le prétendirent plus tard les défenseurs de Morus, était au moins une espèce d’aventurier d’une moralité fort suspecte. Dans ces courses journalières, il se plaisait à mugueter les jolies femmes qu’il rencontrait. Il leur donnait des rendez-vous, il les suivait même jusque dans des lieux où la présence d’un homme de sa profession ne pouvait être qu’un scandale. Telles sont au moins les accusations formulées contre lui par Chapuzeau, qui, probablement gagné à prix d’argent, finit, au bout de quelques mois, par le trahir. […] Le consistoire […] suspendit le ministre le lundi 10 juillet 1661. {d} […] Le dimanche suivant, 16 juillet, l’église de Charenton fut envahie de bonne heure par quelques mousquetaires de la Religion et une foule de peuple. Daillé fils, {e} qui devait prêcher, fut repoussé avec violence, et Morus porté comme en triomphe dans la chaire. Ce scandale inouï cessa sur les représentations de personnages influents ; mais la cour en prit prétexte pour exclure tous les mousquetaires protestants de ce corps d’élite. »


  1. En France.

  2. Théodore Le Coq, sieur de Saint-Léger, et Antoine de Massanes furent deux des 24 membres du consistoire au moment de la révocation de l’édit de Nantes (1685).

  3. Samuel Chapuzeau, v. note [15], lettre 442.

  4. Dans le calendrier grégorien, le 10 juillet 1661 était un dimanche (remarque de Marie-France Claerebout, relectrice de notre édition) ; ou un mercredi dans le calendrier julien (20 juillet grégorien), mais les calvinistes français ne poussaient pas le zèle antipapiste jusqu’à s’y référer.

  5. Hadrien Daillé, fils de Jean (v. notule {b}, note [7], lettre 783).

Élie Benoist a relaté la suite dans son Histoire de l’édit de Nantes… (tome troisième, première partie, Delft, Adrien Beman, 1695, in‑4o, année 1662, pages 455‑457) :

« Mais quelques-uns des plus déterminés partisans de Morus, voyant que la violence ne leur avait pas réussi ; qu’au contraire elle avait empiré l’affaire de leur ami, qu’on rendait responsable de ce scandale et qu’on soupçonnait d’avoir eu quelque intelligence avec les auteurs, ils crurent le mettre à couvert en s’adressant à la justice, et présentèrent requête à la Chambre de l’Édit, où se faisant forts de cinq cent personnes qui les autorisaient, ils demandaient la cassation des procédures du consistoire et le rétablissement de Morus. Leurs moyens étaient que le consistoire n’avait pas observé les formalités et qu’il avait excédé son pouvoir en prononçant une suspension du ministère. Talon, avocat général, {a} après le plaidoyer des avocats des parties, fit un long discours sur l’affaire. Il récita en abrégé l’histoire de ce procès ; après quoi, il soutint que les consistoires n’étaient point assujettis dans leurs procédures aux formalités de la justice ordinaire ; qu’ils n’étaient point tenus d’en garder d’autres que celles de leur discipline ; qu’ils étaient des compagnies légitimement appelées, pour avoir l’œil sur les scandales qui pouvaient arriver entre les personnes de leur religion ; que les ministres qui les composent, avec les personnes qui les assistent dans les fonctions ecclésiastiques, étaient comme des pères dans leur famille, qui pouvaient aviser ce qu’ils avaient à faire sur la conduite de leurs enfants, qu’ils avaient le droit de suspension et de privation des sacrements sur les particuliers, et par conséquent aussi sur ceux de leurs confrères qui tombaient en faute ; d’autant plus qu’ils étaient plus étroitement obligés à mener une vie exemplaire que les autres ; que quand ils renonçaient à cette obligation, ils étaient bien plutôt sous la correction de la discipline que les particuliers ; qu’il fallait distinguer une suspension définitive et une suspension provisionnelle, qui n’était qu’une espèce d’exhortation et d’avertissement d’éviter la confusion et le scandale ; ce qu’il compara aux ajournements personnels décernés contre quelque officier de justice, qui emportaient interdiction de l’exercice de sa charge jusqu’à ce qu’il eût comparu ; que la suspension de Morus était en ce cas ; qu’il aurait été de sa pudeur et de sa prudence d’y déférer ; qu’il était à présumer que le consistoire ne se serait pas porté à cette extrémité sans de grandes considérations ; que quand le consistoire aurait failli, Morus ne devait pas laisser d’obéir, parce qu’on pouvait tenir un colloque pour revoir le jugement du consistoire ; qu’encore que les synodes ne se tinssent que de deux ans en deux ans, il y avait moins d’inconvénient à tenir un homme suspect éloigné des fonctions du ministère pendant ce temps-là qu’à le rétablir avant qu’il eût détruit les soupçons qu’on avait de sa conduite. Il appela les ministres dans ce discours Ministres de la parole de Dieu, et dit qu’ils étaient constitués dans une fonction pure et sainte. Ses conclusions furent qu’il y avait lieu de mettre, sur la requête, les parties hors de Cour et de procès. Il y eut arrêt en conséquence qui renvoyait l’affaire à un colloque, qu’on assemblerait dans trois semaines et où il assisterait {b} un ministre et un ancien du consistoire de Charenton, non suspects. Et le discours de l’avocat général, et l’arrêt de la Cour étaient également équitables ; et si on avait fait la même justice aux réformés en toute autre chose, leurs églises auraient joui en France d’une longue tranquillité. Mais c’est une chose digne de remarque qu’on a gardé à la Cour, jusqu’à la fin, les mêmes sentiments sur l’observation de la discipline ; et que deux ans avant la révocation de l’édit, des brouillons {c} ayant voulu porter aux parlements ou au Conseil des plaintes contre les censures des consistoires ou des synodes, on ne voulut pas les écouter. Ce qu’il y a de plus admirable est que les mêmes juges qui refusaient de prendre connaissance de ces plaintes, ne laissaient pas de dire que les consistoires et les synodes n’avaient pas le droit de flétrir par leurs censures les sujets du roi ; mais le motif secret de cette conduite n’était pas tant de maintenir la discipline des réformés que d’aigrir les particuliers contre les censures, et de leur faire voir qu’ils obtiendraient en se faisant catholiques la décharge de cette peine qu’ils ne pouvaient éviter en demeurant dans la Religion réformée.

Au reste, puisque j’ai été obligé de parler de cette affaire de Morus, j’ajouterai, pour instruire le lecteur de la manière dont elle fut terminée, que le roi permit de tenir un colloque, où néanmoins elle ne finit pas ; qu’elle fut portée au synode suivant, où Morus succomba ; {d} qu’ayant eu le choix de se pourvoir provisionnellement au synode de Normandie ou à celui de Berri, il choisit celui-ci ; que les commissaires de ce synode le réconcilièrent avec le consistoire de Charenton, où il a depuis exercé paisiblement son ministère jusqu’à sa mort. » {e}


  1. Denis Talon, v. note [10], lettre 358.

  2. Et où assisteraient.

  3. Personne remuante qui tâche de brouiller les affaires.

  4. Cessa de résister.

  5. V. note [5], lettre latine 257, pour le rétablissement de More à Charenton en août 1663.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Christiaen Utenbogard, le 12 juin 1664, note 1.

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(Consulté le 25/04/2024)

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