À Charles Spon, le 10 août 1657, note 10.
Note [10]

V. note [20], lettre de Charles Spon, datée du 28 août 1657, pour le Celse de Johannes Antonides Vander Linden (Leyde, 1657).

Nicolas de Nancel (Nicolaus Nancelius, Tracy-le-Mont, près de Noyon 1539-1610), brillant élève de Ramus au Collège de Presles, avait été maître ès arts à 13 ans, et régenté le latin et le grec à 18. Il étudia ensuite la médecine, passa en Flandre lors des troubles religieux et enseigna les humanités à Douai. De retour à Paris il reçut le bonnet de docteur en médecine, alla exercer à Soissons puis à Tours et devint, en 1587, médecin de la princesse Éléonore de Bourbon, abbesse de Fontevraud (v. note [42] du Borboniana 3 manuscrit).

Nancel a laissé de nombreux ouvrages philologiques, philosophiques et médicaux. Il ne figure pas dans la liste des bacheliers, licenciés et docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris établie par Baron (qui comporte des lacunes au xvie s.).

Nancel a aussi revu et copieusement annoté un exemplaire du recueil de 13 ouvrages médicaux latins anciens, paru à Venise en 1547, incluant ceux de Celse et de Cælius Aurelianus (v. note [2], lettre latine 44). L’analyse de ce livre conclut qu’on doit à Nancel le Cælius Aurelianus qui a paru à Lyon en 1567 (v. note [5], lettre de Charles Spon datée du  5 mars 1658). Bien qu’entièrement prêt à la publication en 1600, le reste de son travail sur tous ces textes n’a encore jamais vu le jour. La notule {b} de ladite note [2], lettre latine 44, établit néanmoins que Johannes Antonides Vander Linden en a disposé pour établir sa propre édition de Celse, parue à Leyde en 1657 (v. note [20], lettre de Charles Spon datée du 28 août 1657).

Qui plus est, M. Jean-François Vincent, chef du service d’histoire de la santé de la BIU Santé et enthousiaste rédacteur en chef de notre édition, a découvert que la première page d’un exemplaire de la Practica [Pratique] d’Alexandre de Tralles, dans l’édition latine de Venise, 1522, {a} porte une longue inscription manuscrite intitulée Nic. Nancelius Noviodunensis medicus Lectori S. {b}

  • Nancel commence par parler de tout autre chose que de la Practica :

    Priscianus hic, non ille (opinor) Cæsariensis Grammaticus, sed Medicus sane illustris, quisquis fuit, ex his aliquot libris extitisse dignoscitur, quem postremum haud scio an ætas fecerit ; certe eruditio et doctrina inter primos iure numerandum suadeat ac iubeat. Græcus fuerit an Latinus, nondum ex scripto certum potui dignoscere ; ita verba temperat, et indicia miscet, ut modo Græcum agnosces, modo Latinum civem iudicare possis. Utriusque enim idiomatis fuit apprime doctus et narus, ita ut in Græcis bene restitutis, hallucinante nondum acriter persecutatus, deprehenderim : Latine loquentem purissime interdum, raro inquinate vel impure βαρβαριζοντα offenderim. Non nego tamen, Græcorum scripta et verba illustria, Latino sermone incompto et horrido sæpe exprimere : ut mihi scilicet et cuivis in utraque lingua non instrenue versato, facilius sit Græca αρχετυπα assequi, quam inculta Latina eadem conversa, vix interdum coniectura venari. […]

    [Ce Priscian n’est pas (je pense) le grammairien de Césarée, {c} mais un médecin fort illustre ; quel qu’il ait été, il s’est fait connaître par ces quelques livres, {d} dont j’ignore finalement en quel siècle il les a faits. Son érudition et sa science persuadent et commandent assurément de le compter légitimement parmi les premiers de son temps. Ce qu’il a écrit ne m’a pas encore permis de connaître s’il était grec ou latin : il combine les mots et mêle les indices de sorte que vous le tenez tantôt pour grec, mais pourriez tantôt juger qu’il était citoyen latin. Il fut en effet fort instruit et si fin connaisseur des deux langues que, dans les passages grecs qui ont été bien rétablis, je ne l’ai encore jamais trouvé en faute, malgré tout le zèle que j’y ai appliqué. Le latin qu’il emploie parfois est d’une extrême pureté, et j’y ai rarement été offensé par l’emploi incorrect ou impur de barbarismes. Je ne nie pourtant pas que les écrits et les paroles illustres des Grecs soient souvent traduits dans un latin négligé et rugueux ; si bien qu’il est sûrement plus facile pour moi, comme pour quiconque n’est pas faiblement familier des deux langues, de se conformer aux sources plutôt qu’aux traductions latines grossières, en cherchant parfois difficilement à y trouver un sens. (…)]


    1. Practica Alexandri Iatros Illustris. Grecorum Medici approbatissima : cum optimis declarationibus Jacobi de partibus et Simonis Januensis in margine condecenter situatis : noviter i< m>pressa et ab omni errore purgata. Ad laudem altissimi qui in omnibus sit benedictus. Amen.

      [Pratique parfaitement établie d’Alexander Iatros, {i} très illustre médecin de Grèce. Avec les commentaires de Jacobus de Partibus {ii} et de Simo Januensis {iii} qu’on a commodément placés dans les marges. Nouvellement imprimée et purgée de toute faute. À la louange du Très-Haut, qui soit béni en toutes choses, Amen]. {iv}

      1. « Alexandre Médecin », avec cette note manuscrite de Nancel :

        Hic est Trallianus, nunc multo emaculatior,
        opera Andernaci Latinus factus
        .

        [C’est celui de Tralles, {1} maintenant fort purifié de ses taches,
        mis en latin par les soins d’Andernacus]. {2}

        1. Alexandre de Tralles, médecin grec du vie s. de l’ère chrétienne, est auteur de 12 livres de thérapeutique.

        2. Jean Gonthier d’Andernach (v. note [4], lettre 840) a édité les Alexandri Tralliani Medici libri duodecim, Græci et Latini, multo quam antea auctiores et integriores… [Douze livres du médecin Alexandre de Tralles, grecs et latins, bien plus complets et fidèles qu’ils n’étaient auparavant…] (Bâle, Henricus Petrus, 1556, in‑8o, grec et latin juxtalinéaires).
      2. Jacques Despars (vers 1380-1458), médecin français d’origine flamande, docteur de l’Université de Montpellier et commentateur d’Avicenne.

      3. Simon de Gênes, chanoine et médecin de Rome au xiiie s.

      4. Venise, héritiers d’Octavianus Scotus, 1522, in‑8o de 111 pages ; cette édition est entièrement rédigée en latin et ne contient que trois des 12 livres ordinairement attribués à Alexandre de Tralles ; ils portent le titre de leur premier chapitre :

        • De Allopecia [L’Alopécie] (1er livre d’Alexandre) ;

        • De Tussi [La Toux] (5e livre d’Alexandre) ;

        • De Effimeris febribus [Les Fièvres éphémères] (12e livre d’Alexandre).

    2. « Nicolas de Nancel, médecin natif du Noyonnais, salue le Lecteur » ; les autres pages de cet exemplaire sont vierges de toute annotation de Nancel.

      J’ai entièrement transcrit et traduit sa « préface », mais pour en faciliter la lecture, je l’ai scindée en trois parties.

    3. V. première notule {a}, note [4], lettre 137, pour Priscian de Césarée, grammairien latin du vie s. de l’ère chrétienne.

    4. V. note [1], lettre de Charles Spon, datée du 13 août 1657, pour Théodore Priscian, médecin grec du ive s. de l’ère chrétienne, dont Nancel allongeait ici allègrement la liste des ouvrages connus.

  • Nancel continue d’éreinter sans pitié l’ouvrage qu’il présente au lecteur :

    […] Opus aureum hoc varium, fœcundum, ac multiplex, varijs ab authoribus, ut Hippocrate, Diocle, Galeno, Asclepiade, Erasistrato, Sorano, Archigene, et Græcis aliis (quemvis unum propre Hipp. et Dioclem raro citet, Galenum vero nunquam) depromptum apparet ; ut Priscianum potius interpretem et compilatorem agnoscas, quam primarium et genuinum totius tractationis inventorem. Apud quem tres primi libri, doctrinæ ac methodi gloriam non parum merentur : quartus ita αμεθοδως congestus, ut mera farrago indigesta dici possit ; nihilque contineat, quam quod titulus ipse præ se ferre videbatur. Ut suspicio sit, ab ipso authore non fuisse recognitum, nec certum in ordinem digestum : cum et ipsa verba ultima adhuc velut ab uda penna, seu stylo, imperfecta pendeant ; et plura dictur<um > seu potius ad verbum de Græco et docto medico interpretaturum, turbo nescio quis, aut oborta procella correptum sustulerit. Ut de toto hoc opere dici possit Homerico versu, Προσθε λεων, οπιθεν δε δρακων, μεσση δε Χιμαιρα. id est ut Lucretius alio versu reddidit, Prima leo, postrema draco, media ipsa Chimæra.

    Quo tamen in monstro domando, et ab innumeris mendis, quibus corruptissimum exemplar scatebat, vindicando (citra tamen alterius cuisquam exemplaris subsidium) non minus videor elaborasse, quam olim Bellrophontes ille in Chimera profliganda. Atque hic demum verum esse comperio quod vulgato fertur proverbio, Caudam deglubitu difficilimam. Turpe tamen videbatur, ut altera fert paroemia, Bove devorato in cauda deficere ac substitere. […]

    [(…) Cet ouvrage est d’or, varié, fertile et multiple, mais paraît tiré d’auteurs tels Hippocrate, Dioclès, Galien, Asclépiade, Érasistrate, Soranos, Archigène, et d’autres Grecs (néanmoins, il cite presque uniquement Hippocrate, mais rarement Dioclès et jamais Galien) : {a} en sorte, diriez-vous, que Priscian a été un interprète et un compilateur plutôt que le créateur premier et original de toute une pratique. Ses trois premiers livres honorent grandement les mérites de sa doctrine et de sa méthode. Le quatrième est si désordonné qu’on peut le qualifier de fatras mal digéré, et qu’il ne contient rien de ce que semble annoncer le titre du recueil ; {b} on soupçonnerait que l’auteur lui-même ne l’a pas revu et ne lui a pas donné d’ordre bien établi. En outre, sa fin est tronquée, comme si les mots étaient restés suspendus à la plume encore humide ou au stylet de l’auteur, que je ne sais quel tourbillon ou quelle arrivée de tempête a saisi et interrompu quand il s’apprêtait à en dire plus, ou plutôt à interpréter un propos tiré d’un savant médecin grec. En sorte qu’à propos de tout cet ouvrage on peut citer le vers homérique, Προσθε λεων, οπιθεν δε δρακων, μεσση δε Χιμαιρα, que Lucrèce a traduit par : Prima leo, postrema draco, media ipsa Chimæra. {c}

    Néanmoins, pour dompter ce monstre et pour débarrasser son édition fort corrompue des innombrables fautes qui y pullulaient (mais non sans le secours d’une autre édition), je crois avoir accompli une tâche qui n’est pas moindre que celle de Bellérophon, qui terrassa jadis la Chimère. {d} Et voici finalement que je trouve vrai ce que dit le proverbe commun : Caudam deglubitu difficilimam. {e} Ce que veut dire un autre adage me semblait vilain : Bove devorato in cauda deficere ac substistere. (…)] {f}


    1. Dioclès de Caryste est un médecin grec du ive s. av. J.‑C., que les Athéniens ont surnommé le nouvel Hippocrate. Tous les autres sont cités ailleurs dans notre édition. Ils ont vécu entre le ve s. av. J.‑C. (Hippocrate) et le iie s. de notre ère (Soranos d’Éphèse et Galien).

      Il est intéressant de noter que, selon Nancel, Priscian, qui écrivait au ive s., aurait cité les idées de Galien, mais sans le nommer : le contraire eût été une fracassante découverte pour ceux qui s’interrogent sur la réalité historique de Galien (v. note [6], lettre 6).

    2. Il n’y a pas de 4e livre dans la Practica Alexandri Iatros. Je ne sais dire quel est celui des neuf autres livres d’Alexandre de Tralles que Nancel tenait pour le quatrième. Les 12 livres de son œuvre sont tous réputés pour la clarté de leur organisation en chapitres traitant chacun d’un sujet distinct.

    3. « Lion par la tête, dragon par la queue, chimère entre les deux » (Lucrèce La Nature des choses livre v, vers 905). Sans mentionner cette traduction latine, Érasme a commenté la version grecque dans son adage no 4041 intitulé Chimæra :

      Hominem inconstantem ac variis moribus, aut opus sibi non cohærens, M. Tulius designat festiviter illo versu Homerico : “ Quod de Quinti, inquit, fratris epistola scribis, ad me quoque fuit Προαθε λεων, οπ θεν δε δρακων, μεσση δε Χιμαιρα. Quid dicam nescio, nam ita deplorat primis versibus mansionem suam, ut quemvis movere possit : ita rursus remittit, ut me roget, ut annales suos emendem atque edam. ” Epistolam sibi inæqualem appellat Chimæram.

      [Cicéron désigne un homme inconstant et de mœurs changeantes, ou un ouvrage incohérent, par ce vers homérique : {i} « Quant ce que tu m’écris de la lettre de Quintus, {ii} dit-il, il a aussi été à mon égard Προσθε λεων, οπιθεν δε δρακων, μεσση δε Χιμαιρα. Je ne sais quoi en dire : dans les premières lignes, capables d’émouvoir n’importe qui, il se lamente sur sa résidence ; et puis il écarte cette idée pour me demander de corriger et publier ses mémoires. » {iii} Ainsi appelle-t-il chimère une lettre qui passe du coq à l’âne]. {iv}

      1. Ce vers n’est pas dans Homère, mais dans la Théogonie (vers 323) de son contemporain Hésiode.

      2. Quintus Cicéron, frère de Marcus Tullius, V. note [4], lettre 324.

      3. Lettres à Atticus, livre ii, épître xvi ; mais dans les éditions que j’ai consultées, la citation grecque est réduite à ses quatre premiers mots (et donc dénuée de signification).

      4. Les lettres de Guy Patin en tirent une part de leur charme.

    4. « La Chimère succomba sous Pégase et sous le brave Bellérophon » (Hésiode, ibid. vers 325) : dans le mythe, Bellérophon (v. notule {c}, note [37], lettre 99), monté sur le cheval ailé Pégase (v. note [5], lettre de Reiner von Neuhaus, datée du 1er juin 1673), triompha de la Chimère, hideux monstre dont le corps combinait ceux d’un lion, d’une chèvre et d’un serpent.

    5. « La queue est la plus difficile à écorcher » (sans source que j’aie trouvée).

    6. Érasme en a fait son adage no 2268, Toto devorato bove, in cauda defecit [Une fois qu’il eut dévoré le bœuf entier, il renonça à en avaler la queue], avec cette explication :

      Reliquo negotio peracto, in extremo fine delassatus est. Videtur esse senarius, sed depravatus. Sapit tamen vulgi fæcem et hoc.

      [Parvenu au bout d’une longue négociation, il l’abandonne de guerre lasse. Cela semble être un vers de six iambes, mais corrompu, et sent la lie du peuple].

      Avec toutes ces allusions caudales, Nancel me semble vouloir se justifier de n’avoir pas édité ce qu’il appelait le 4e livre de Priscian, qu’il jugeait n’en pas valoir la peine.


  • Nancel conclut en annonçant une nouvelle édition de l’ouvrage dont il a parlé, qu’il a lui-même soigneusement revue et corrigée :

    […] Itaque collectis viribus ingenioli mei, magno nisu, has difficultates eluctatus tandem vici ; et velut Augiæ stabulum, id est, Medicorum Latinorum veterum omnium inquinatissima mendis scripta, tum iniuria temporum tum incuria hominum, tum Medicorum indiligentia et contemptu, tum librariorum describentium ignorantia, tum demum typographorum socordia conniventiaque, irrependo cumulatis, συν Θεω perpurgavi. Turonibus, 6 Cal. Decembr. 1577.

    [(…) Ayant rassemblé les ressources de mon modeste talent, je suis donc enfin parvenu, au prix d’un grand effort, à surmonter ces difficultés. Comme j’ai fait pour l’étable d’Augias {a} qu’étaient les écrits de tous les anciens médecins latins, tout souillés de fautes, {b} j’ai entièrement purgé celui-ci, où s’étaient sournoisement conjugués l’injure des siècles, tout autant que l’incurie des hommes, l’insouciance et le mépris des médecins, l’ignorance des copistes, et la stupide connivence des imprimeurs. À Tours, le 26 novembre 1577]. {c}


    1. V. note [22], lettre 318.

    2. Le recueil paru à Venise en 1547, mentionné dans le paragraphe précédent, que Nancel a entièrement annoté, mais sans être parvenu à en obtenir la réédition.

    3. Assez bizarrement, Nancel a daté ses autres manuscrits d’édition du même 26 novembre : v. 4e notule {a}, note [2], lettre latine 44.

  • En somme, mon avis sur la surprenante découverte de M. Vincent est que Nancel :

    • attribuait curieusement, mais sans hésitation, à Théodore Priscian (v. supra première notule {d}) les trois livres d’Alexandre de Tralles qui sont contenus dans la Practica Alexandri Iatros publiée à Venise en 1522 (v. supra première notule {a‑iv}) ;

    • avait l’intention, en 1577, de les rééditer, non pas à partir de cette édition latine, mais à partir de celle, bilingue, donnée par Gonthier d’Andernach à Bâle en 1556 (v. supra première notule {a‑i‑2}), qu’il trouvait pleine de fautes, et en grand besoin d’être sérieusement revue et corrigée ;

    • n’a jamais publié son ouvrage ; il n’en reste que cet intrigant Lectori S. [Salut au lecteur], car les catalogues que j’ai consultés ne recensent aucune édition d’Alexandre de Tralles parue entre celles de 1567 (Genève, Henri ii Estienne, v. note [10], lettre latine 61) et de 1769 (Lausanne, Albrecht von Haller).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 10 août 1657, note 10.

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(Consulté le 28/03/2024)

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