- Aristote a notamment loué l’habitude (éxis) dans l’Éthique à Nicomaque, livre ii, chapitre i, La vertu, résultat de l’habitude s’ajoutant à la nature :
« La vertu apparaît sous un double aspect, l’un intellectuel, l’autre moral ; la vertu intellectuelle provient en majeure partie de l’instruction, dont elle a besoin pour se manifester et se développer ; aussi exige-t-elle de la pratique et du temps, tandis que la vertu morale est fille des bonnes habitudes ; de là vient que, par un léger changement, du terme mœurs sort le terme moral. Cette constatation montre clairement qu’aucune des vertus morales ne naît naturellement en nous ; en effet, rien ne peut modifier l’habitude donnée par la nature ; par exemple, la pierre qu’entraîne la pesanteur ne peut contracter l’habitude contraire, même si, un nombre incalculable de fois, on la jette en l’air ; le feu monte et ne saurait descendre ; et il en va de même pour tous les corps, qui ne peuvent modifier leur habitude originelle. Ce n’est donc ni par un effet de la nature, ni contrairement à la nature que les vertus naissent en nous ; nous sommes naturellement prédisposés à les acquérir, à condition de les perfectionner par l’habitude. […] Aussi faut-il exercer nos activités d’une manière déterminée, car les différences de conduite engendrent des habitudes différentes. La façon dont on est élevé dès l’enfance n’a pas, dans ces conditions, une mince importance. Que dis-je ? Cette importance est extrême, elle est tout à fait essentielle. »
- Galien a laissé un court livre de Consuetudinibus [sur les Habitudes] ; ni René Chartier (1639-1689) ni Karl Gottlob Kühn (1821-1833) ne l’ont inclus dans leurs éditions, mais il se trouve dans le volume 3 des Galeni omnia quæ extant opera [Toutes les œuvres existantes de Galien] (Venise, 1565, v. note [1], lettre 716), pages 59 vo‑62 ro. Consuetudinum vires, et causæ explicantur [Expliquer les pouvoirs et les causes des habitudes] est l’argument de ce traité, composé de cinq chapitres :
- Improbatur eorum opinio, qui scopum a consuetudine sumptum abrogare conabantur : probaturque quantum consuetudo possit, addito etiam Hippocratis, et Erasistrati testimonio [Rejet de l’opinion de ceux qui entreprennent de supprimer le dessein que s’est fixé l’habitude, et approbation de tout ce dont l’habitude est capable ; avec aussi le témoignage d’Hippocrate et d’Érasistrate] ;
- Causa cur multum possit consuetudo in iis, quæ comeduntur, et bibuntur, ubi pulcherrima de concoctione ciborum, et de familiaritate corporis nutriendi cum nutriente traduntur [Raison pour laquelle l’habitude peut exercer un grand pouvoir sur ce qu’on mange et boit, où sont relatées de très belles choses sur la digestion des aliments et sur la familiarité du corps avec les aliments dont il doit se nourrir] ;
- De vi consuedutinis ex alteratione externa [Du pouvoir exercé par l’habitude venant de l’influence extérieure] ;
- De vi consuedutinis exercitationum corporis, et animi, ex Platone et Hippocrate [Du pouvoir exercé par l’habitude des exercices du corps et de l’esprit, d’après Platon et Hippocrate] ;
- Quod corpus evacuationibus assuetum evacuationes non requirat ob consuetudinem, ut volebat Erasistratus, sed ob multitudinem, vel cacohymiam in corpore aceruatam. Et quo modo consuetudo illi innoxie mutari possit [Le fait que le corps accoutumé à des évacuations ne cherche pas à s’évacuer en raison de son habitude, comme le voulait Érasistrate, mais en raison de l’abondance ou cacochymie (surcharge) de ce qui s’est accumulé dans le corps. Et de quelle manière cette habitude peut être modifiée sans lui nuire].
Galien a parlé des habitudes en plusieurs de ses autres ouvrages, notamment dans son deuxième commentaire sur les Aphorismes d’Hippocrate, chapitre l (Kühn, vol. 17b, pages 553‑554, traduit du grec) :
Consueta longo tempore, etiamsi deteriora sint, insuetis molesta minus esse solent. Quare ad insueta etiam mutatio facienda.
Non de solis exercitationibus, ut superiore, verum absolute de omnibus consuetis hoc aphorismus enunciat, esculentis, poculentis, balneis, illotionibus, vigiliis, somno, calefactione, refrigeratione, curis ac studiis. Hæc enim singula quæ consueta sunt minus iis nocent, quæ sua quidem natura innocientiora, nunquam in consuetudinem pervenerunt. Quod igitur ita se res habeat in exercitationibus ad partium agentium robur refertur, prout ante dictum est ; in reliquis vero quomodo fiat jam dicemus. Cibi ac potus cum aliis in partibus tum maxime in ventriculo adscititiam naturam efficiunt. Etenim etiamsi a corpore quam maxime vincantur et transmutentur, ipsam tamen quodammodo pro sui natura ita afficiunt, ut processu temporis multa fiat immutatio atque nutriendis cum nutrientibus similitudo concilietur. Id enim a nobis in libro de consuetudinibus demonstratum est. Demonstratum vero est etiam unumquodque a similibus promtius alterari ac immutari. Ea re igitur quum similius immutando corpori immutans fuerit, celerius ipsum alterat ac immutat.
[Les choses auxquelles on est accoutumé depuis longtemps, lors même qu’elles sont moins bonnes que les choses inaccoutumées, nuisent moins d’ordinaire ; mais il faut aussi passer aux choses inaccoutumées. {a}
À la différence des deux précédents, {b} cet aphorisme n’invoque pas seulement les exercices physiques, mais absolument toutes les habitudes : aliments, boissons, veilles, sommeil, manières de s’échauffer et de se rafraîchir, soins et études. L’homme adopte les habitudes qui sont naturellement inoffensives plus volontiers que celles qui nuisent ; celles-là ne deviendront jamais ses pratiques coutumières. Ainsi donc, ayant précédemment énoncé l’intérêt des exercices pour procurer de la force aux parties motrices, nous dirons maintenant ce qu’il en est du reste des habitudes. Le manger et le boire, avec les autres, apportent aux parties du corps, et surtout à l’estomac, ce qui a été emprunté à la nature. Même si le corps assimile ces emprunts et les digère très intimement, leur nature propre affecte le corps de telle manière qu’une grande transformation s’y opère au fil du temps et qu’une similitude s’établit entre ce qui est nourri et ce qui nourrit, comme nous l’avons démontré dans le livre de Consuetudinibus ; où il est aussi prouvé que chaque chose est plus promptement modifiée et transformée par ce qui lui est semblable. Le fait est que plus une influence ressemble au corps qu’elle veut influencer, plus elle le modifiera et transformera rapidement]. {c}
- Hippocrate, aphorisme no 50, 2e section (Littré Hip, volume 4, page 485).
- Aphorismes (ibid.) :
- no 48, « Dans tout mouvement du corps, se reposer aussitôt que l’on commence à souffrir dissipe la souffrance » ;
- no 49, « Les personnes faites à supporter des travaux journaliers les tolèrent, quoique faibles ou âgées, mieux que des gens forts et jeunes qui n’y sont pas faits. »
- Pour les précautions à prendre quand on veut changer les habitudes, dans son 2e commentaire sur le livre « du régime alimentaire dans les maladies aiguës » (Kühn, volume 15, § xxii, pages 552‑556), Galien a approuvé et longuement développé ce passage d’Hippocrate (Littré Hip volume 2, page 283) :
« En effet, soit qu’on ait l’habitude de faire deux repas par jour, soit qu’on n’en fasse qu’un, les changements soudains causent souffrance et faiblesse. Qu’un homme, qui n’est pas dans l’usage de déjeuner, vienne à faire un repas le matin, aussitôt il en souffre, il devient pesant de tout le corps, faible et inactif ; si, dans cet état, il se met à dîner, il a des rapports aigres, quelquefois il survient de la diarrhée, parce que les voies digestives ont été surchargées d’un poids extraordinaire, habituées qu’elles étaient à avoir un intervalle de sécheresse, à ne pas recevoir deux fois un fardeau, à ne pas digérer deux fois des aliments. »
|