À Charles Spon, le 25 octobre 1652, note 11.
Note [11]

Léon Bouthillier, comte de Chavigny, fut inhumé dans l’église Saint-Paul à Paris. Sa mort eut un grand retentissement et les témoignages des contemporains confirment celui de Guy Patin.

Mme de Motteville (Mémoires, page 440) :

« Dans ce même temps, M. le Prince tomba malade d’une fièvre continue. Sur la fin de sa maladie, Chavigny l’ayant été voir, ce prince, sur quelques dégoûts qu’il avait eus de sa conduite, s’aigrit contre lui et lui dit quelques paroles fâcheuses, dont Chavigny fut si touché que, revenant chez lui, il tomba malade et mourut de rage. M. le Prince, qui se portait mieux alors, l’étant allé voir comme il était à l’extrémité, parut le regretter ; et une personne qui était présente à cette visite m’a dit que les yeux lui rougirent et qu’il voulut, par une manière de désespoir, s’arracher les cheveux ; mais après l’avoir regardé, il dit en s’en allant et se moquant de son agonie, “ qu’il était laid en diable ”. »

Journal de la Fronde (volume ii, fo 161 vo, 11 octobre 1652) :

« M. de Chavigny fut si fâché de ce qu’on l’accusât la semaine passée d’avoir voulu trahir S.A.R. {a} et M. le Prince, qu’il en tomba malade et est mort ce matin à quatre heures. M. le Prince ne le voyait plus et le duc de Lorraine avait remontré à S.A.R. qu’elle ne devait plus se servir de ses conseils, ni de ceux de MM. de Rohan et Goulas. »


  1. Son Altesse Royale, Gaston d’Orléans.

Retz (Mémoires, pages 1055-1056) a fait état d’une conversation qu’il eut avec Gaston d’Orléans :

« “ Vous m’avez tantôt dit que le premier pas qu’il fallait que je fisse, en cas que je me résolusse à la continuation de la guerre, serait de m’assurer de M. le Prince : comment diable le puis-je faire ? – Vous savez, Monsieur, lui répondis-je, que je ne suis pas avec lui en état de vous répondre sur cela ; c’est à Votre Altesse Royale à savoir ce qu’elle y peut et ce qu’elle n’y peut pas. – Comment voulez-vous que je le sache ? reprit-il, Chavigny a un traité presque conclu avec l’abbé Fouquet. {a} Vous souvient-il de l’avis que Mme de Choisy me donna dernièrement assez en général ? J’en viens d’apprendre tout le détail. M. le Prince jure qu’il n’est point de tout cela et que Chavigny est un traître ; mais qui le sait ? ” Ce détail était que Chavigny traitait avec l’abbé Fouquet et qu’il promettait à la cour de faire tous ses efforts pour obliger M. le Prince à s’accommoder, à des conditions raisonnables, avec M. le cardinal Mazarin. Une lettre de l’abbé Fouquet à M. Le Tellier, qui fut prise par un parti allemand et qui fut apportée à Tavannes, justifia parfaitement M. le Prince de cette négociation car elle portait, en termes formels, qu’en cas que M. le Prince ne se voulût pas mettre à la raison, lui, Chavigny, s’engageait à la reine à ne rien oublier pour le brouiller avec Monsieur. M. le Prince, qui eut en main l’original de cette lettre, s’emporta contre lui au dernier point, il le traita de perfide en parlant à lui-même. M. de Chavigny, outré de ce traitement, se mit au lit et ne se releva pas. »


  1. Basile Fouquet, agent de Mazarin.

La mort de Chavigny fournit l’occasion d’une mauvaise querelle contre les jansénistes (Raoul Allier, La Cabale des dévots, pages 85‑86) :

« Chavigny, meurt le 11 octobre. Il avait une jolie réputation de concussionnaire. Dans les derniers temps de sa vie, il avait été troublé par quelques coversations avec plusieurs des Messieurs de Port-Royal. À son lit de mort, il avait chargé Singlin et du Gué de Bagnols {a} de faire en son nom d’importantes restitutions ; il y avait pour près d’un million de “ pots-de-vin ” dont le souvenir avait importuné la conscience du mourant. Par délicatesse, les deux dépositaires du secret en parlent à la veuve et consultent pour se mettre en règle avec lelle. L’affaire transpire. M. de Morangis, M. de Lamoignon sont au courant et donnent des conseils. Ils en parlent sans doute à d’autres, mais probablement sans mauvaise intention. Aussitôt des racontars étranges commencent à cheminer. Au bout de quinze jours, les ennemis des jansénistes ont mis en circulation tout un roman qui accuse Singlin de captation d’héritage et représente de Bagnols comme son complice. On en cause au Conseil du roi et quelqu’un en prend occasion pour y déclarer, à propos des jansénistes, “ qu’il fallait empêcher l’établissement de cette maison et qu’il serait peut-être nécessaire d’interposer l’autorité du roi pour arrêter le progrès de leurs desseins ”. Du Gué de Bagnols se dépense en efforts pour enrayer la calomnie ; on devine pourtant le bien qu’elle fait à la charité de Port-Royal. » {b}


  1. Antoine Singlin (1607-1674), prêtre janséniste et disciple de l’abbé de Saint-Cyran, lui succéda comme confesseur de Port-Royal ; v. note [2], lettre 481, pour Guillaume du Gué de Bagnols.

  2. Une féroce compétition de zèle charitable opposait alors ceux de Port-Royal et ceux de la Compagnie du Saint-Sacrement ; un million de livres était une aumône qui méritait qu’on sortît les grifffes.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 25 octobre 1652, note 11.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0294&cln=11

(Consulté le 19/04/2024)

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