À Charles Spon, le 22 février 1656, note 13.
Note [13]

« parce que “ les raretés ne constituent pas le fond de l’art ” et ne concourent guère à mieux remédier. dest»

Rara non sunt artis est un heureux adage latin qui a été souvent réemployé après Guy Patin. {a} Je ne l’ai trouvé que dans deux textes médicaux qu’il pouvait avoir lus.

  • Jean i Riolan {b} en est probablement l’inventeur car il l’a employée deux fois dans ses In Libros Fernelii partim Physiologicos, partim Therapeuticos Commentarii… [Commentaires sur des livres de Fernel, tant physiologiques que thérapeutiques…] (Montbéliard, Iacobus Foyllet, 1588, in‑8o).

    • Page 112 du Commentarius de Facultatibus animæ [Commentaire sur les facultés de l’âme], chapitre 3, Animæ vegetantis facultates explicantur [Explication des facultés de l’âme végétante (des plantes)] :

      Quod vero scribunt Germani, non ita pridem a mille millibus hominum visam esse Spiræ mulierem quæ per multos annos non comederit, pie credo, sed rara non sunt artis.

      [Je crois religieusement ce qu’écrivent les Allemands : des millions d’hommes ont vu une femme de Spire qui n’aurait rien mangé pendant maintes années, mais les raretés ne constituent pas le fond de l’art].

    • Page 249 du Ad Librum Fernelii de Procreatione hominis commentarius [Commentaire sur le livre de Fernel touchant à la procréation humaine], chapitre 8, De seminis conceptione, et prima hominis constitutione [Conception de la semence et première formation de l’homme] :

      Ad conceptionem hæc requiruntur : penis iustæ magnitudinis, longiore enim tractu semen refigeratur, brevior non potest ad internum os uteri semen iniicere : visi sunt tamen, qui propter cancrum, resecto ad tres digitos pudendo, prolem susceperunt, uteri valida attractice, quin Avenrois autor est, quasdam a viro in balneo emissum semen utero traxisse, et concepisse : Sed rara non sunt artis, eiaculandi enim facultas tam necessaria est ad conceptionem, ut semen pudendo veluti lachrymante, haud confertim, emissum, non comprehendatur, multo minus concipitaur.

      [Un pénis de taille convenable est requis pour la conception, car une trop longue course refroidit la semence, et si la verge est trop courte, le sperme ne peut pénétrer le col de l’utérus. On voit pourtant des hommes à qui, en raison d’un chancre, on a réduit le pénis à une longueur de trois travers de doigt, avoir des enfants, et ce grâce à l’attraction exercée par la matrice. Averroès {c} écrit même que certaines femmes ont été fécondées par la semence qu’un homme avait éjaculée dans l’eau d’un bain ; {d} mais les raretés ne constituent pas le fond de l’art, car la fonction éjaculatrice et si indispensable à la procréation que du sperme s’écoulant en larmes des génitoires, sans expulsion massive, est incapable d’atteindre sa cible, et bien moins encore de féconder].

  • L’adage a été curieusement repris dans l’Historia vesicæ monstrosæ, magni Casauboni [Histoire de la prodigieuse vessie du grand Casaubon] écrite par un dénommé Brovardus, {e} imprimée dans l’Exercitatio in Hippocratis aphorismum de calculo [Essai sur l’aphorisme d’Hippocrate à propos du calcul urinaire] de Johannes Beverovicius {f} (pages 271‑272) :

    Fatendum ignotam fuisse tot malorum caussam, et deceptos medicos omnes, quorum alii calculum prægrandem adesse, alii ulcus in vesica, quidam tumorem aquosum, partim inter musculos, et peritonæum existentem, occupare autumabant. Rara non sunt artis, et in conjecturis, quantumvis artificialibus, parum est fiduciæ. Errorem suum confiteri ingenui est. In rebus inauditis, et nulli visis decipi non turpe. Observata (licet prognosi potius, quam therapiæ idonea) posteris pandere non inglorium.

    [Il faut avouer que la cause de tant de maux est demeurée inexpliquée et que tous les médecins s’y sont trompés : les uns pensaient qu’il y avait un énorme calcul ou un ulcère dans la vessie, et les autres, qu’il s’agissait d’une collection liquide infiltrée entre les muscles de la paroi abdominale et le péritoine. Les raretés ne constituent pas le fond de l’art et il ne faut guère se fier aux conjectures, si habiles puissent-elles être. Confesser son erreur est le propre de l’homme bien né. Il n’y a pas de honte à être abusé par les choses inouïes et que nul n’a jamais vues. Il n’est pas déshonorant de transmettre son observation à la postérité (bien qu’elle puisse plutôt concerner le pronostic que la thérapeutique)].


    1. Par exemple, dans L’Encyclopédie (définition du mot Feu, sur la mesure de la chaleur) : « les cas où il serait nécessaire de recourir à ces expédients sont très rares, si même ils ne sont pas de pure spéculation, et par conséquent ils ne constituent pas le fond de l’art, rara non sunt artis » ; c’est la traduction française qui m’a semblé le mieux convenir.

    2. V. note [9], lettre 22.

    3. Médecin et philosophe arabo-andalou du xiie s., v. note [51] du Naudæana 1.

    4. V. notule {c}, note [4], lettre 721, pour une autre mention de cette relation. Elle est accompagnée d’une épître de Raphael Thorius, médecin flamand de Londres (v. note [31], lettre 1019), datée du 15 juillet 1614 (sans destinataire identifiable), qui décrit la maladie et l’autopsie de Casaubon, sans mentionner quelque autre de ses confrères.

    5. Ce texte non daté, signé tuo Brovardo [de votre cher Brovardus], a indubitablement été écrit par un médecin qui semble avoir soigné Isaac Casaubon (mort à Londres le 1er juillet 1614, v. note [7], lettre 36). Je ne parviens pas à me convaincre que Brovardus soit le facétieux chanoine François Béroalde de Verville (François Brouard, mort en 1626, v. note [4], lettre 436), même s’il savait une peu de médecine. Je me demande s’il ne s’agit pas plutôt d’une coquille typographique : Brovardo pour Buvardo, soit Charles i Bouvard (v. note [15], lettre 17), docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1607 et gendre de Jean i Riolan, à qui il aurait pu emprunter l’adage peu commun dont je m’échine à connaître la source.

      Je n’en ai pourtant pas trouvé confirmation dans les Lettres de Casaubon et dans sa Vie qui les précède (édition de Rotterdam, 1709, v. note [16] du Borboniana 1 manuscrit). On y trouve la narration de Brovardus précédée de ces deux mentions (pages 59‑60) : {i}

      • Redux ex Aula paucis post diebus sentit corporis exhausti atque emaciati languorem summum, prout conjectura assequi poterat experientissimus Medicus, Theodorus Mayerne, exortum, quamquam id pro certo affirmare nec posset, nec auderet.

        [Quelques jours après son retour de la cour, il {ii} ressentit l’immense lassitude d’un corps épuisé et émacié, conformément à ce qu’avait pu présager le très habile médecin Théodore Mayerne, {iii} bien qu’il soit impossible de tenir cela pour certain, ni même de s’y hasarder].

      • Accuratam postremæ valetudinis Historiam a viro clarissimo, D. Brovardo, posteris traditam.

        [Histoire soigneuse de sa dernière maladie par le très distingué M. Brovardus, {iv} transmise par ses descendants].

        1. Cette relation est aussi mentionnée dans la notule {c} de la note [23], lettre latine 154.

        2. Casaubon.

        3. Théodore Turquet de Mayerne, premier médecin du roi Jacques ier d’Angleterre et filleul de Théodore de Bèze : v. note [22], lettre 79.

        4. La même nouvelle coquille d’imprimerie ?

    6. Leyde, 1641, v. Beverwijk a dans notre Bibliographie : seule source que je connaisse du récit de Brouard.

V. infra note [15] pour une interprétation médicale moderne de l’observation que rapportait Patin.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 22 février 1656, note 13.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0433&cln=13

(Consulté le 25/04/2024)

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