À André Falconet, le 23 mai 1670, note 14.
Note [14]

Louis Dorléans a disserté sur la fécondité de Catherine de Médicis dans sa Plante humaine, {a} (pages 148 ro‑150 vo) :

« C’est que la feu reine votre tante, {b} que Dieu absolve, mariée au roi Henri ii de bonne mémoire, fut longtemps en mariage sans avoir enfants. Le roi, beau, grand et jeune, s’ennuya de n’avoir ce soulagement de nature, et fut fort conseillé de la répudier et épouser une princesse qui vivait alors, et dont il pourrait tirer de grands avantages pour le repos de la chrétienté et le bien particulier de son État. {c} Toutefois, ce prince, qui l’aimait et honorait, délibéra tenter tous les moyens auparavant que d’en venir à ce point. On chercha donc des médecins, et à Paris principalement, où il y en avait lors un bon nombre de doctes et expérimentés, afin de voir s’il y aurait moyen que la reine eût lignée du roi son mari. Ceux de Paris ne voulaient pas laisser leurs maisons et leur repos, et leurs gains ordinaires qui sont grands, et le plaisir de leurs amis et de leurs possessions, pour être en une suite de cour, qui a des mésaises aussi bien que des contentements. Finalement, quelque gentilhomme s’avisa de M. Fernel, qui a été de son temps l’Hippocrate et le Galenus des Français, et le plus relevé et illustre en la médecine que médecin ait été de jamais en la France, où lors la médecine était en grand prix. […] Or Fernel lors vivait inconnu, avec sa femme et ses enfants, et avec quelques difficultés, et ne savait-on pas qu’il fût médecin, même qu’il fût en la nature. Car son beau-père, homme d’honneur et de moyen, portait les frais de son ménage ; lequel, à ce qu’on dit, se plaignait qu’il ne gagnait rien, bien que ce fût un des plus signalés et honnêtes hommes qui fût à Paris, et que sa fille n’eût pu rencontrer personne qui eût de meilleures mœurs et plus de savoir. {d} Le roi donc l’envoya quérir et en la présence de la reine, lui demanda en riant s’il pourrait bien faire des enfants à la reine sa femme. Il répondit que c’était à Dieu à les donner et à Sa Majesté les faire, et à lui de lui donner les préceptes de l’art par lesquels on pourrait y parvenir. Le roi, satisfait de cette sage réponse, l’invite ardemment de l’entreprendre et le reçoit gracieusement en sa maison, et le gratifie libéralement. Somme que {e} quelque temps après la reine se sent grosse, de quoi elle fut si aise qu’ayant senti le fruit qu’elle portait, elle lui envoya dix mille écus ; et quand elle accoucha, encore autant, et un buffet d’argent davantage. Autant en fit-elle à toutes ses couches. Et de là vinrent tant de rois et tant de princes et de princesses, dont la France a heureusement joui depuis. {f} Et fut connu être vraies deux maximes : la première, que Dieu et, après Dieu, les rois peuvent de rien faire quelque chose, car la reine rendit en peu de temps et par ses libéralités ledit Fernel de pauvre riche et de mal aisé bien heureux ; la seconde, être vrai ce que dit Homère en ces vers,

Le sage médecin vaut mieux en une ville,
Quand il serait lui seul, que d’hommes plusieurs mille
. » {g}


  1. Discours adressé au tout jeune roi Louis xiii, Paris, 1612, v. note [7], lettre 128.

  2. Terme contestable car il n’y avait pas de lignage direct entre Catherine Médicis et Louis xiii : elle était la mère de Marguerite (la reine Margot), première épouse de Henri iv, père du jeune roi, et cousine très éloignée de sa mère, Marie de Médicis.

  3. Le roi Henri ii, né en 1519, épousa Catherine de Médicis en 1533, devint dauphin en 1536, puis roi en 1547. Son fils aîné, le futur roi François ii, naquit en 1544. Neuf enfants le suivirent, dont deux autres qui devinrent rois de France (Charles ix et Henri iii), et une fille, Marguerite.

    Je n’ai pas identifié la princesse (semble-t-il favorable à la Réforme) avec qui Henri aurait pu se marier s’il avait répudié Catherine.

  4. En 1531, Jean Fernel (v. note [4], lettre 2) avait épousé Madeleine Tournebulle, fille d’un conseiller au Parlement de Paris (v. note [29] du Faux Patiniana II‑3).

  5. Tant et si bien que.

  6. V. note [8] du Borboniana 2 manuscrit, pour les spéculations médicales sur la stérilité du couple royal.

  7. Annotation marginale : « Homerus Ill. 11. Ητρος γαρ ανηρ », qui renvoie au vers 514 du chant xi de L’Iliade, ιητρος γαρ ανηρ πολλων ανταξιος αλλων… [car le médecin vaut bien d’autres hommes…] (v. deuxième notule {a}, note [16], lettre 126).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 23 mai 1670, note 14.

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(Consulté le 19/04/2024)

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