À Charles Spon, le 28 mai 1652, note 16.
Note [16]

Le bel ouvrage de Samuel Bochart « sur les animaux de la Sainte Écriture » ne parut qu’en 1663 sous le titre de Hierozoïcon… (v. note [14], lettre 585) ; v. note [34], lettre 237, pour sa Geographia sacra (ou Phaleg).

Dans ses Mémoires, traduits du latin en français par Charles Nisard (Paris, L. Hachette, 1853), Pierre-Daniel Huet {a} a relaté son voyage à Stockholm avec Samuel Bochart. On y lit ce récit désenchanté de leur premier contact avec la cour savante de la souveraine (livre ii, pages 65‑68) :

« Arrivés à Stockholm, notre premier soin fut de saluer la reine. Son favori était alors Bourdelot, médecin français né en Bourgogne […]. {b} La reine, à la recommandation de Saumaise, {c} aussi Bourguignon, lui avait confié le soin de sa santé délicate et chancelante, et Michon, {b} quoiqu’il ne manquât pas de connaissance en son art, en avait plus encore dans l’art du courtisan, qu’il avait pratiqué longtemps avec la médecine auprès de femmes de qualité. Il était dépourvu d’ailleurs de toute espèce d’érudition. Les excès de l’étude ayant fait tomber la reine dans un état de langueur accompagné d’une fièvre intermittente, Bourdelot commença par lui ôter tous ses livres ; en quoi il montrait bien le souci qu’il avait de sa place et de sa réputation ; il lui déclara ensuite qu’il y allait de sa vie, si elle persistait à étudier. Dans les conversations qu’il avait avec elle, il affectait de lui rappeler le ridicule dont les belles dames de la cour de France frappaient les personnes du sexe qui se piquaient de science ; il l’égayait de plus par des plaisanteries et des bons mots. Par là, il prit peu à peu un tel ascendant sur l’esprit de la jeune reine qu’il la dégoûta presque de ses doctes études. Christine était d’un caractère faible et inconstant. Elle adoptait sans examen les jugements d’autrui, de ceux surtout qui avaient su gagner son estime par la seule apparence du mérite. Pendant que, emportée par sa passion pour les lettres, elle étudiait avec Saumaise ou Vossius, {d} elle acceptait si docilement leurs opinions qu’elle invitait à veni à sa cour tous ceux dont ils lui avaient dit du bien. C’est ce qui eut lieu pour Bochart, le très ancien ami de Vossius. Ayant donc sur l’avis de Bourdelot, secoué le joug de l’étude, et cherché le repos et la distraction, elle commença de se mieux porter, et dit à tout le monde qu’elle devait à son médecin non seulement la santé, mais la vie. Tout cela troubla un peu l’agrément de notre voyage et fut cause que Bochart, appelé d’abord avec autant d’insistance que s’il eût été un homme de l’autre monde, ne fut pas reçu avec les égards qu’il méritait. Nous ne doutions pas qu’il ne fallût en imputer la honte à Bourdelot, auquel il importait, selon lui d’éloigner les savants, de peur que l’ignorance dont il se savait atteint ne devînt plus sensible par la comparaison. Ce fut là probablement le seul motif du renvoi sauvage de Vossius. […]

Nonobstant ce désolant abandon des lettres de la part de la reine, sa bibliothèque ne laissait pas de s’augmenter d’un nombre considérable d’excellents livres qui y affluaient de toutes parts ; car à ceux que Gustave Adolphe {e} avait apportés en Suède, parmi les dépouilles enlevées à l’Allemagne, étaient venus se joindre ceux achetés à la vente de la Bibliothèque mazarine, {f} ainsi que la bibliothèque même de Jean-Gérard Vossius, {d} payée fort cher à son fils Isaac. Il y avait de plus la bibliothèque de Petau, formée tout entière de manuscrits grecs et latins ; celle de Gaulmin, {g} toute composée de livres hébreux, arabes et d’autres langues de ce genre, laquelle fut pourtant renvoyée depuis à Gaulmin, qui en voulait un prix fou. Isaac Vossius y avait apporté aussi plusieurs bons manuscrits qu’il avait recueillis dans divers pays de l’Europe avec le plus grand soin. » {h}


  1. Pierre-Daniel Huet (Caen 1630-Paris 1721) avait appris la philosophie et la théologie auprès des jésuites et de Bochart. Connu pour son érudition philologique et pour sson opposition au cartésianisme, il fut évêque d’Avranches en 1692.

  2. Pierre Michon, dit l’abbé Bourdelot, était arrivé en Suède au début de 1652.

  3. Claude i Saumaise a séjourné à Stockholm de 1650 à 1653.

  4. Isaac Vossius (v. note [19], lettre 220), fils de Geradus Johannes (v. note [3], lettre 53), était bibliothécaire de la reine Christine depuis 1649, mais fut disgracié en 1652.

  5. Gustave ii Adolphe, roi de Suède et père de Christine, mort en 1632 (v. note [23], lettre 209).

  6. Vendue en janvier 1652 par les frondeurs (v. note [22], lettre 279).

  7. Gilbert Gaulmin, mort en 1665, v. note [15], lettre 282.

  8. Samuel Bochart revint en France en juin 1653 avec Gabriel Naudé ; v. note [13], lettre 432, pour un point de vue complémentaire sur son séjour en Suède.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 28 mai 1652, note 16.

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(Consulté le 19/04/2024)

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