Autres écrits : Thomas Diafoirus (1673) et sa thèse (1670), note 17.
Note [17]

L’embarras de Jean ii Riolan sur la circulation est patent dans l’explication confuse qu’il en a fournie dans l’Additamentum in quo declaratur Riolani iudicium generale, de motu sanguinis in brutis et homine [Supplément exposant le jugement général de Riolan sur le mouvement du sang chez les bêtes et chez l’homme], qui est dans la 4e édition de son Encheiridium anatomicum et pathologicum… (1658, pages 504-565 ; v. supra note [12]), traduit en français sous le titre de Discours contenant le jugement du Sieur Riolan touchant le mouvement du sang, tant aux brutes qu’aux hommes, tiré de la Réponse qu’il a faite à Schlegel ; et les utilités de la circulation (Manuel anatomique et pathologique…, 1672, pages 711‑716) :

« Il n’y a personne de bon sens qui veuille soutenir que le sang soit immobile et se repose dedans les vaisseaux ; mais aussi, plusieurs sont en doute, et non pas sans raison, s’il a un mouvement perpétuel et circulaire. Car on n’a pas encore assez visiblement reconnu ni décidé de quelle façon il se meut dans nos corps : si c’est par un flux ou reflux continuel, parcourant toujours les mêmes vaisseaux, qui lui sont propres, de sorte que le sang artériel vienne et revienne dans les artères seulement ; le sang veineux de même, par ses propres vaisseaux, comme un Méandre […]. {a}

On a aussi sujet de douter si le sang passe des artères dans les veines, et réciproquement des veines dans les artères, par leurs anastomoses naturelles, ainsi qu’a cru l’Antiquité ; ou bien s’il a un mouvement circulaire continuel, qui dure jour et nuit par tout le corps ; car on est encore incertain comment ce mouvement se fait. Au rapport d’Hippocrate, il y a deux formes de sang, le veineux et l’artériel, qui se meuvent circulairement tout le long du corps, passant d’un vaisseau à l’autre, à savoir des artères dans les veines, pouvant toutefois repasser des veines dans les artères.

Depuis vingt-sept ans, le sieur Harveus, médecin et anatomiste très savant, a mis au jour un livre {b} par lequel il montre assez subtilement et artificieusement que le mouvement du sang se fait autrement. Il a trouvé des approbateurs et défenseurs de son opinion, et d’autres qui la repoussent.

Je me suis interposé entre les deux parties, suivant une opinion mitoyenne entre ceux qui l’affirment et les autres qui la nient. J’ai montré que véritablement il y a une circulation ; mais je l’ai expliquée à mon sens, et voici mon avis touchant cette controverse. Suivant Aristote, aux livres de la Physique, il y a cinq choses requises à la perfection du mouvement, à savoir : le mouvant, le mobile, les deux extrémités, de l’une desquelles le mobile passe à l’autre par un milieu, et le temps, qui mesure le mouvement. Il faut observer les mêmes choses au mouvement du sang pour en faire une démonstration parfaite.

Il est certain que le premier mouvant du sang est le cœur, lequel de soi-même a bien un mouvement naturel ; mais pour le continuer, il a besoin de quelque matière, à l’entour de laquelle il soit occupé, la recevant incessamment dans ses cavités et la chassant à mesure. C’est pourquoi le mobile est le sang veineux, que le cœur reçoit pour le convertir en artériel ; puis en un moment, le pousse dehors et le répand par tout le corps, afin de restaurer la chaleur naturelle qu’il distribue à toutes les parties du corps. Les deux extrémités, entre lesquelles le sang fait son mouvement, sont les vaisseaux circulaires, les veines et les artères, à savoir la veine cave et la grande artère, {c} avec leurs productions qui vont depuis les extrémités des pieds et des mains, par le milieu du tronc du corps. Le temps, qui mesure le mouvement de la circulation du sang, est cet espace de temps durant lequel le sang passe au travers des ventricules du cœur, et parfois à travers les poumons. Le sang artériel sortant de ce centre, je veux dire du cœur, se répandant jusques aux extrémités du corps, retourne par les veines au cœur, repassant des bouts des petites veines dedans le tronc de la veine cave.

Le sang, en faisant son chemin, est en partie attiré par les chairs des muscles et des viscères, pour leur nourriture, si par hasard elles en ont besoin, parce que l’impulsion ou mouvement impétueux du sang artériel se termine dans les artères mêmes. En partie il retourne dedans le tronc de la veine cave, pour y remplir le vide qui s’y rencontre toujours, le cœur en attirant continuellement le sang.

Or le sang allant et venant, et faisant le même chemin d’un mouvement continuel, deux ou trois fois en un jour naturel, l’espace du temps qu’il faut pour achever la circulation de ce sang peut être de douze heures, quelquefois plus bref, parfois plus long, suivant que le sang fait son mouvement plus vite ou plus lentement. Aux brutes, {d} le sang desquelles est plus grossier, la circulation d’une partie de leur sang, et même de tout, peut se faire aussi à travers des poumons. Mais en l’homme, qui a besoin d’un sang très pur, pour la génération des esprits vitaux et animaux, et pour la nourriture d’un cerveau très ample, tel qu’est le sien, la portion du sang la plus pure était nécessaire à ces usages. Or les esprits animaux de l’homme ne sont pas seulement contenus dans le cerveau, mais se distribuent aussi par toutes les chairs musculeuses. Aux bêtes brutes, l’esprit vital peut servir à cela, pourvu qu’il soit accompagné de quelque peu d’esprit animal.

Encore que tout le sang, qui se prépare dedans le foie, soit propre de soi-même et suffisant pour nourrir le corps, si est-ce {e} qu’une portion d’icelui était nécessaire pour la préparation du sang artériel, destinée à la conservation de l’humide radical {f} situé au cœur, et à la conservation du mouvement perpétuel du cœur. Car toutes les parties du corps sont fomentées, {g} ranimées et réchauffées par l’affluence continuelle de ce sang artériel, qu’elles reçoivent du cœur, duquel aussi elles se peuvent nourrir et accroître leur substance. Néanmoins, il n’est pas naturellement destiné à nourrir tandis qu’il est dans les artères, mais bien à restaurer les esprits ; et avec sa partie la plus subtile, à conserver l’humide radical, inné et enraciné en toutes les parties du corps.

Que si la masse du sang a été beaucoup épuisée par une longue famine ou par de longues et copieuses hémorragies, ou flux d’humeurs, faite par artifice ou naturellement, non seulement cette portion du sang la plus pure se circule, mais aussi tout le sang de la veine porte, {h} et celui qui est contenu dans l’habitude et circonférence du corps, afin de fournir au cœur quelque matière pour la continuation de son mouvement et la conservation de la chaleur naturelle qui, autrement, s’éteindrait en son foyer si elle n’était ressuscitée et conservée par l’affluence perpétuelle du sang. Mais nous nions que tout le sang se doive circuler par le cœur et les poumons pour acquérir la vertu non seulement vitale, mais aussi alimentaire ; celle-ci lui étant donnée non pas du cœur, mais bien du foie.

J’avoue bien que le mouvement du sang est nécessaire par tout le corps, < par > crainte qu’il ne se putréfie et corrompe, et qu’une portion d’icelui ne monte au cœur pour les usages que je viens de dire ; mais je soutiens que la circulation et passage du sang au travers du cœur et des poumons n’est pas absolument nécessaire, suivant le cours ordinaire de la Nature. Or quant à l’utilité de la circulation du sang, il y en a de deux sortes : l’une qu’en peuvent tirer les physiciens, {i} l’autre, les médecins. Considérant la circulation du sang comme physicien, je trouve qu’elle était nécessaire pour fomenter et conserver la chaleur naturelle du cœur et autres parties de tout le corps ; d’autant que la chaleur ne se peut conserver sans mouvement. Il fallait donc que le cœur fût en mouvement perpétuel ; mais il ne peut pas conserver longtemps son mouvement s’il ne lui arrive quelque matière chaude et remplie d’esprits, telle qu’est le sang. Or le sang se porte au cœur par le tronc de la veine cave ; et étant reçu ou plutôt attiré dedans la cavité droite du cœur, il passe à travers le Septum medium {j} dans la cavité gauche, où en un moment, il se change en sang artériel, beaucoup plus chaud et plus spirituel que le veineux, car il est subtilisé et épuré dans les ventricules du cœur, comme l’or mêlé se raffine dans le dernier fourneau de la coupelle. De là, il se distribue jour et nuit, par les artères, à tout le corps, pour conserver la chaleur des autres parties et les nourrir. »


  1. V. supra note [6].

  2. Exercitatio anatomica de motu cordis… [Essai anatomique sur le mouvement du cœur…] de William Harvey (Harveus), paru en 1628 (v. supra note [9]).

  3. L’aorte.

  4. Animaux privés de raison.

  5. Si ce n’est.

  6. V. note [8], lettre 544.

  7. Adoucies.

  8. V. infra notule {b}, note [18], pour la distinction entre veine cave et veine porte.

  9. Les naturalistes, ceux qui étudient les productions de la nature.

  10. Cloison médiane du cœur séparant le ventricule droit du gauche, le septum medium est ordinairement imperméable après la naissance ; mais disséquant de travers, les anatomistes anciens croyaient qu’il y subsistait un orifice de communication permettant au sang de court-circuiter les poumons (v. note [28], lettre 152, pour ce qu’en a naïvement cru Pierre Gassendi).

Le raisonnement de Riolan est tortueux et se contredit en partie ; mais tout compte fait (et en y mettant de la bienveillance), il ne s’oppose plus à Harvey que sur deux points :

  1. la grande circulation, du ventricule gauche au ventricule droit, par les artères et les veines périphériques, se ferait beaucoup plus lentement (deux ou trois fois par jour) que ne disait Harvey (autour d’une fois par minute, au repos) ;

  2. la petite circulation, du ventricule droit au ventricule gauche, par les artères et les veines pulmonaires, serait facultative, car l’essentiel du sang passerait directement des cavités droites aux cavités gauches du cœur, à travers la cloison qui les sépare.

Sans le dire clairement, Riolan avait renoncé au va-et-vient du sang dans les veines. Guy Patin, lui, y croyait encore dur comme fer en 1670. L’aveuglement de l’élève avait surpassé celui du maître !

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Thomas Diafoirus (1673) et sa thèse (1670), note 17.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8009&cln=17

(Consulté le 28/03/2024)

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