À André Falconet, le 4 mai 1663, note 20.
Note [20]

La maladie d’Anne d’Autriche allait être pour l’antimoine l’occasion d’un nouveau triomphe à la cour (Mme de Motteville, Mémoires, pages 531‑532) :

« Le carême […] fut religieusement observé par la reine mère : elle le jeûna même avec plus d’austérité que les autres, quoique déjà son âge la dispensât de cette obligation. Elle en fut incommodée et à Pâques {a} elle fut contrainte d’avouer qu’elle n’en pouvait plus. Aussitôt après les fêtes, elle reprit son bon visage et parut dans le meilleur état du monde. Le 10 d’avril, elle commença de se trouver mal ; elle eut de grandes lassitudes aux bras, mal aux jambes, mal au cœur et la fièvre. Le lendemain, se moquant de son mal, elle nous assura qu’elle se portait mieux, et se contenta seulement de garder la chambre ; mais elle eut tout le jour mauvais visage.

Le lendemain, la reine mère eut la fièvre tout le jour et fut saignée sur le soir. Le second jour d’après, la fièvre se réglant en tierce, elle eut un grand accès accompagné de rêveries, d’oppression et de mal de tête. La famille royale fut aussitôt troublée de cet accident ; le roi en parut inquiété, Monsieur eut le cœur touché de crainte, la reine {b} eut recours aux larmes, Madame parut moins gaie et toute la cour fut abattue de tristesse. Au neuvième jour de la maladie de cette princesse, elle fut saignée pour la cinquième fois ; et cette quantité de sang tiré de ses veines, qui avait diminué ses forces, fit que ce même jour, ayant voulu se lever pour faire son lit, {c} elle se trouva mal. […]

Les accès de sa fièvre continuèrent et devinrent enfin si violents que les médecins crurent qu’elle deviendrait continue ; mais elle se fit double-tierce et dura longtemps. Son mal demeura dans cette force jusqu’aux fêtes de la Pentecôte [13 mai], sans empirer ni diminuer. Alors, le 13 mai, on proposa de lui donner de l’émétique, mais elle y résista fortement. […] Quand ensuite les médecins, pour la seconde fois, voulurent presser la reine mère de prendre de l’émétique, elle leur répondit que puisque son mal durait, et que les prières publiques qu’on avait faites pour elle et pour sa santé ne l’avaient point obtenue, il fallait croire que Dieu la voulait malade, qu’elle consentait qu’on lui fît des remèdes ordinaires, mais qu’elle n’en voulait point d’autres et qu’elle souhaitait de souffrir son mal autant qu’il plairait à Dieu de le lui laisser. […]

Le quarantième jour de la maladie de la reine mère, les médecins, pressés par ses serviteurs, qui ne cessaient de leur représenter que d’autres personnes avaient été guéries d’un même mal par de la poudre de vipère, parurent vouloir lui en donner ; mais comme ils sont gens qui pour l’ordinaire désapprouvent ce qu’ils ne pratiquent pas, ils lui donnèrent enfin du quinquina. Ce remède lui ôta la fièvre, c’est-à-dire la firent cesser pour quelque temps en arrêtant l’humeur, mais lui laissa l’esprit rempli de vapeurs avec une manière d’assoupissement qui paraissait fâcheux. Elle demeura par leur ordre seize jours en cet état, sans être purgée parce qu’ils craignaient de faire revenir la fièvre par l’émotion de la médecine. {d} […]

Les médecins ayant purgé la reine mère, sa fièvre revint avec plus de violence que jamais, et cette rechute les fit résoudre de lui donner de l’émétique. Le roi […] la pria instamment de prendre ce remède, pour lequel elle paraissait avoir grande aversion. Son confesseur lui dit aussi qu’il le fallait faire, que non seulement elle ne s’opposerait point en cela à la Providence divine sur elle, mais que, le faisant pour l’amour de Dieu, son action serait louable ; si bien qu’elle s’y résolut aussitôt. Elle en prit deux fois et guérit entièrement par ce dernier remède.

La joie fut grande dans la cour par le retour de cette précieuse santé. La crainte de perdre la reine mère avait glacé les cœurs de tous les gens de bien : les pauvres la regardaient comme leur mère et les affligés, comme leur protectrice. Dans les jours qu’elle avait été en péril, les églises furent toujours remplies de toutes sortes de personnes qui demandaient à Dieu la vie de cette vertueuse reine. Les fêtes et les dimanches, la salle de ses gardes et son antichambre étaient pleines d’artisans qui, au lieu d’aller se promener selon leur coutume, venaient en foule savoir comment elle se portait ; et dans les rues, ils demandaient tout haut de ses nouvelles avec empressement et tendresse ; Dieu le permettant ainsi, sans doute pour lui faire recevoir de ce même peuple, dont elle avait autrefois été injustement outragée, une réparation publique de leur faute passée, que leur affection présente et leur véritable repentir effaçaient d’une manière bien glorieuse pour elle. » {e}


  1. Le 25 mars 1663.

  2. Marie-Thérèse.

  3. Pour qu’on lui fît son lit.

  4. Le mouvement produit par le purgatif.

  5. Cette fièvre et fatigue opiniâtres de la reine mère pouvait être le préambule du cancer du sein (v. note [4], lettre latine 244) qui allait devenir patent à la fin de l’année suivante.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 4 mai 1663, note 20.

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(Consulté le 18/04/2024)

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