V. note [9], lettre 91, pour Jean de Launoy.
L’Université saluait la conduite exemplaire de Jean Béchefer (mort en 1654), substitut du procureur général depuis 1612, lors des troubles qui venaient alors d’agiter le Parlement. Isabelle Storez-Brancourt, en son chapitre intitulé Dans l’ombre de Messieurs les gens du roi : le monde des substituts (Jean-Marie Cabasse, Histoire du parquet, Presses universitaires de France et GIP Justice, 2000, pages 157‑204), a expliqué ses mérites (pages 3‑5) :
« […] pendant la Fronde, en 1652, le premier substitut Béchefer fut conduit à assurer presque seul le service des gens du roi : {a} “ M. Béchefer est entré au second barreau ”, écrit le conseiller Le Boindre dans ses Mémoires, {b} à la date du 7 juillet 1652, “ et a rapporté l’état auquel il avait laissé MM. Talon et Bignon, qui les empêchait de rendre le service qu’ils doivent à la Compagnie, ne pouvant rien assurer de M. le procureur général, lequel il n’avait pu trouver chez lui, ce qui n’a pas empêché M. le duc d’Orléans de proposer quatre choses… ”. Les événements avaient atteint l’exceptionnel : le tragique le disputait à la confusion depuis que, dans un Paris à feu et à sang, le massacre de l’Hôtel de Ville du 4 juillet précédent avait frappé de plein fouet les autorités frondeuses de la ville et du Parlement. Le récit de Le Boindre révèle le rôle de “ substitution ” immédiatement assuré par Béchefer après la défaillance des gens du roi. Il souligne aussi la valeur de sa présence à l’assemblée des chambres du Parlement, essentielle aux yeux des conseillers pour les obliger à venir effectivement au Palais malgré leurs craintes, suffisante, aussi, aux yeux de Gaston d’Orléans pour proposer à l’approbation du Parlement des mesures de police pour le rétablissement du calme dans Paris.
Les substituts pouvaient ainsi être conduits à user de la plume comme de la parole, ce qui en faisait aussi, à l’occasion, les suppléants des avocats généraux. Ils “ plaideront ”, prescrivait l’édit, si les événements les y obligeaient. Le récit de Le Boindre est très intéressant pour comprendre les contours approximatifs des attributions d’un substitut lorsque les procureur et avocats généraux sont absents : Béchefer est appelé à la Grand’Chambre comme à l’assemblée des chambres ; il demande à entrer à l’audience, au nom du roi ; dans les péripéties de la Fronde, il intervient systématiquement pour dire ses conclusions dès que le Parlement s’apprête à délibérer ou à rendre un arrêt. Cela le conduit d’ailleurs à prendre des positions importantes dans les conflits qui opposent alors non seulement le roi, son gouvernement, d’une part, le Parlement, Paris et les princes, d’autre part, mais aussi, de plus en plus, les différents protagonistes de l’union frondeuse devenue si tumultueuse. Ses paroles, dont Le Boindre nous transmet les échos, ont la liberté de l’avocat général et, prenant parti dans le débat politique, expriment sans contrainte son hostilité à Mazarin ; mais, dès que des mesures de droit et de police sont en cause, Béchefer retrouve la retenue du procureur général. On attend de lui qu’il soit l’interprète de la volonté royale auprès de la Cour et il transmet, sans commentaire, les courriers en provenance du gouvernement, ce qui permet à Le Boindre de dire que M. Béchefer avait “ pris ses conclusions contre le cardinal Mazarin et respectueuses pour la parole du roi portée par M. Servien ”. {c} “ La parole est libre, mais la plume est serve ” ! {d} Le substitut unissait exceptionnellement les contraires, et avec un talent qui fit l’admiration des magistrats, “ un chacun publiant que ce personnage remplissait dignement le parquet et quelques-uns que, s’il fallait faire un procureur général, il n’en faudrait point nommer d’autre que M. Béchefer ”. Certaines précautions s’imposaient cependant : alors que le duc d’Orléans proposait au Parlement de régler dans l’urgence, et pêle-mêle, la police des vivres, la sécurité de Paris, l’interdiction du nouveau parlement que le roi était en train d’établir à Compiègne, etc., le doyen des substituts “ a remontré fort sagement que le pouvoir de sa charge ne s’étendait pas à des matières si relevées, vu même qu’il n’était pas encore assuré de l’absence de M. le procureur général et qu’il n’était hors d’espérance que si MM. les avocats du roi ne pouvaient se trouver tous deux au Palais, au moins M. Bignon, l’un d’eux, y pourrait venir au premier jour. C’est pourquoi il suppliait la Cour de lui donner quelque temps afin de les avertir ”. Excuse adroite d’un homme prudent qui avait parfaitement saisi l’énorme charge politique des mesures que le “ lieutenant général du royaume ” de la Fronde {e} proposait sous couvert d’un arrêt de règlement de police générale. L’épisode prouve néanmoins la dépendance dans laquelle les substituts se trouvaient par rapport aux gens du roi. »
- C’est-à-dire le parquet du Parlement de Paris : le procureur général, Nicolas Fouquet (v. note [7], lettre 253), et les deux avocats généraux, Omer ii Talon (v. note [55], lettre 101), et Jérôme i Bignon (v. note [12], lettre 164).
- Débats du Parlement pendant sa tenue de 1652, commençant à la St Martin 1651. Mémoires de M. Le Boindre (Manuscrit Egerton 1682 de la British Library). Jean Le Boindre, alors conseiller en la troisième des Enquêtes (v. note [3], lettre 310), était le gendre de Béchefer (Popoff, no 640 et Isabelle Brancourt, Le Parlement de Paris au risque des archives. Le parquet, le greffe, la Cour, Université Panthéon-Sorbonne, Paris i, 2005).
- V. note [19], lettre 93, pour Abel Servien.
- Maxime judiciaire des gens du roi, qui pouvaient s’exprimer librement lors des audiences, mais devaient suivre à l’écrit les instructions du roi.
- Le duc Gaston d’Orléans.
Nicolas Acard était l’autre substitut du procureur général que l’Université voulait honorer d’un cadeau. Son fils, Auguste-René, puis son petit-fils, René-Oudart, occupèrent après lui la même charge. |