Les deux vers latins ne sont pas de Martial. Ils concluent la curieuse épigramme lxviiii d’Ausone intitulée Quæ sexum mutarint [Les créatures qui auraient changé de sexe], page [D5] vo, repère 38 de ses Opera) : {a}
Vallebanæ res nota, et vix credenda poetis :
Sed quæ de vera promitur historia.
Femineam in speciem convertit masculus ales :
Pavaque de pavo constitit ante oculos.
Cuncti admirantur monstrum : sed mollior agna
Astitit in tenerum de grege versa marem.
Quid stolidi ad speciem notæ novitatis hebetis ?
An vos Nasonis carmina non legitis ?
Cænea convertit proles Saturnia Consus.
Ambiguoque fuit corpore Tiresias.
Vidit semivirum fons Salmacis Hermaphroditum.
Vidit nubentem Plinius androgynum.
Nec satis antiquum, quod Campana in Benevento
Unus epheborum virgo repente fuit.
Nolo tamen veteris documenta arcessere famæ :
Ecce ego sum factus femina de puero.
[Voici une histoire connue, mais que les poètes peinent à croire, bien qu’elle soit tirée d’un récit authentique : à Vallebana {b} un oiseau mâle se changea en femelle, et, au lieu d’un paon, on vit une paonne. Tous admirent le prodige, mais une tendre brebis est bel et bien sortie d’un troupeau changée en jeune agneau. Pourquoi donc, sots que vous êtes, vous ébahir devant une nouveauté si banale ? Ne lisez-vous pas les chants d’Ovide ? Consus, fils de Saturne, fit changer le sexe de Cænis. {c} Tiresias eut un corps ambigu. La fontaine Salmacis a vu Hermaphrodite, mi-homme et mi-femme. {d} Pline a vu une jeune mariée androgyne. {e} Naguère, à Bénévent, en Campanie, une vierge se transforma soudain en un bel éphèbe. Je ne veux pourtant pas aller chercher mes preuves si loin dans le temps : de petit garçon, je suis moi-même devenu femme]. {f}
- Ausonii Burdigalensis, Viri Consularis, omnia, quæ adhuc in veteribus bibliothecis inveniri potuerunt Opera. Ad hæc Symmachi, et Pontii Paulini litteræ ad Ausonium scriptæ, tum Ciceronis, Sulpiciæ, aliorumque quorundam veterum carmina nonnulla, cuncta ad varia, vetera, novaque exemplaria, hac secunda editione emendata, commentariisque auctioribus illustrata, per Eliam Vinetum, Iosephum Scaligerum, et alios, quos pagina tertia ab hac inidcat. Indices duo subiuncti præfationi, scriptorum hic contentorum, rerum et verborum.
[Toutes les Œuvres d’Ausone {i} de Bordeaux, ancien consul, qu’on a pu trouver dans les vieilles bibliothèques, avec les lettres que Symmaque {ii} et Pontius Paulinus ont écrites à Ausone, ainsi que quelques poèmes de Cicéron, {iii} Sulpicia et certains autres anciens. Tous les textes de cette seconde édition ont été corrigés en les comparant à celles qui ont anciennenment et récemment paru, et éclairés de commentaires enrichis par Élie Vinet, Joseph Scaliger {iv} et d’autres, dont la troisième page qui suit procure les noms. Deux index des matières et des mots suivent la préface].
- V. note [9], lettre 335.
- V. note [11], lettre 407
- Deux petites pièces en vers de Quintus Cicéron, v. note [4], lettre 324.
- V. notes [61] du Borboniana 2 manuscrit pour Élie Vinet, et [5], lettre 34, pour Joseph Scaliger (qui n’a commenté que les deux livres des leçons d’Ausone).
- Bordeaux, S. Millange, 1590, in‑4o non paginé, dont la partie principale compte 598 paragraphes.
- Perplexe sur ce lieu, Vinet a proposé Vallaibana en Espagne ou Vallis bona (Valbonne) dans les Alpes (près de Nice).
- Consus est l’autre nom de Neptune (v. note [6] du Faux Patiniana II‑7), fils de Saturne (v. note [317] des Deux Vies latines de Jean Héroard). Dans les Métamorphoses (livre xii, vers 189‑210), Ovide raconte que la belle Cænis demanda à changer de sexe après que Consus l’eut violée : Jupiter exauça son vœu, elle devint Cénée, vigoureux jeune homme capable de se défendre contre les attaques des autres.
- V. note [6] du Faux Patiniana II‑1 pour cette fontaine mythique.
- Pline, Histoire naturelle, livre vii chapitre iii (Littré Pli volume 1, page 285, au bas de la première colonne).
- J’ai mis en exergue les deux vers cités par L’Esprit de Guy Patin. Vinet a ainsi commenté le dernier :
Catamitum, Paticumve quempiam hæc de se dicere, finxit Ausonius
[En parlant ainsi, Ausone feignait d’être lui-même un giton ou un mignon].
Étienne-François Corpet (1843) a aussi traduit le poème d’Ausone, mais d’une manière trop enjolivée pour que je la reprenne. Il a été moins elliptique que Vinet dans son annotation sur ce vers :
« Plaisanterie dégoûtante d’un giton qui cherche à justifier son penchant pour la pédérastie. »
Ferdinand Nunnez est le nom francisé de Hernan Nuñez de Toledo y Guzman (Valladolid 1475-Salamanque 1553), en latin Ferdinandus Nonius Pintianus (natif de Pintia, nom latin de Valladolid). Humaniste espagnol, il enseigna le grec à Alcala de Henares, puis la rhétorique à Salamanque. Il a contribué à la rédaction de la Biblia poliglota Complutense [Bible polyglotte d’Alcala], première Bible trilingue (hébreu, grec, latin) jamais publiée, sous la direction du cardinal Jiménez de Cisneros (v. note [21] du Borboniana 8 manuscrit), imprimée en 1520. Pour chercher à éclaircir cette curieuse affaire, j’ai feuilleté deux des autres ouvrages de Pintianus (alias Nuñez).
- Je n’ai pas trouvé de commentaire sur le passage de Pline concernant les changements de sexe (v. supra notule {e}) dans les :
Observationes Ferdinandi Pintiani, Professoris utiusque linguæ et humanorum studiorum in inclyta academia Salmanticensi, in loca obscura, aut depravata, historiæ naturalis C. Plinii, cum retractationibus quorundam locorum geographiæ Pomponii Melæ, locisque aliis non paucis, in diversis utriusque linguæ autoribus, vel castigatis vel expositis, a nemine hactenus animadversis
[Observations de Ferdinandus Pintianus, professeur des deux langues {a} et des humanités en la célèbre Université de Salamanque, sur les passages obscurs ou altérés de l’Histoire naturelle de Pline, avec les réfutations de quelques passages de la Géographie de Pomponius Mela, {b} et des corrections ou des explications sur de nombreuses autres citations tirées de divers auteurs des deux langues, auxquelles personne n’avait jusqu’ici jamais porté attention]. {c}
- Latin et grec.
- V. note [32], lettre 527.
- Salamanque, Ioannes Giunta, 1544, in‑8o de 163 pages.
- Une référence à Ovide et Cénée (v. notule {c} supra) se trouve dans :
Las Trezientas d’el famosissimo poeta Juan de Mena, glosadas por Fernan Nuñez, Comendador dela orden de Sanctiago. Otras xxiii. Coplas suyas, con su glosa. La Coronacion, compuesta y glosada por el dicho Juan de Mena. Tratado de vicios y virtudes, con otras Cartas y Coplas, y Canciones suyas…
[Les Trezentias du très célèbre poète Juan de Mena, {a} commentés par Fernan Nuñez, commandeur de l’Ordre de Saint-Jacques. Ses 23 autres couplets, avec son commentaire. La Coronacion, corrigée et commentée par ledit Juan de Mena. Traité des vices et des vertus, avec d’autres de ses lettres, couplets et chansons…]. {b}
Dans la Copla lxxvi (première partie des Trezentias, pages 157‑158), Mena loue les vertus d’une princesse et, par antithèse, se demande ce qu’elle deviendrait « si elle changeait de sexe, ainsi qu’on le lit sur Cænis »,
Si fuera trocada su humanidad
Segun que se lee dela de Ceneo.
Nuñez rapporte ces deux vers à leur source ovidienne, en ajoutant :
Dize Ausonio de una donzella que en Campania se torno en hombre, y lo confirma señor sant Augustin, hablando de las bodas del nuevo et viejo testamento enestas palabras : Manifiesta cosa es, que en tiempo de Emperador Constantino, una donzella fue tornada en hombre, en una parte de la provincia de Campania.
[Ausone parle d’une jeune fille de Campanie qui s’est transformée en homme, et saint Augustin le confirme quand il parle des noces de l’Ancien et du Nouveau Testament en ces termes : « Il est manifeste qu’au temps de l’empereur Constantin, une jeune fille a été changée en homme, dans une contrée de la province de Campanie. »] {c}
- Trois cents couplets, autrement intitulés Labyrintho de Fortuna [Labyrinthe de la Fortune] de Juan de Mena (Cordoue 1411-Torrelaguna 1456).
- Anvers, Juan Steelsio, 1552, in‑8o de 608 pages.
- Je n’ai trouvé ce passage (que d’autres auteurs ont pourtant cité) ni dans les De Nuptiis et concupiscentia libri duo [Deux livres sur les noces et la concupiscence] de saint Augustin, ni ailleurs dans ses œuvres.
Il me paraît impossible d’en déduire que Nuñez se disait lui-même androgyne, comme aurait prétendu le jésuite espagnol Jeronimo Roman de la Higuera (Tolède 1538-ibid. 1611), historien dont les ouvrages se sont avérés cousus de faussetés et de supercheries. Son élucubration sur l’ambiguïté sexuelle de Nuñez doit être enfouie dans l’un de ses nombreux ouvrages, tous écrits en espagnol.
L’article de L’Esprit de Guy Patin ne vient pas de la conversation de Patin : il reproduit mot pour mot (avec la même attribution erronée des vers d’Ausone à Martial) l’addition d’Antoine Teissier (v. supra note [12]) à l’éloge de Nuñez par de Thou (Genève, 1683, tome premier, page 70). |