Il s’agissait de la querelle religieuse, alliant les jésuites et les missionnaires de Vincent de Paul (v. note [27], lettre 402), sans doute appuyés par la Compagnie du Saint-Sacrement (v. note [7], lettre 640) contre les jansénistes : on lui a donné le nom d’« Affaire des Hibernois » (c’est-à-dire des prêtres irlandais de la Faculté des arts ou Quatre-Nations). Un libelle intitulé Défense des Hibernois disciples de saint Augustin, ou Récit de tout ce qui s’est passé touchant une déclaration que les molinistes ont fait souscrire par surprise à quelques Hibernois, la plupart étudiants en théologie ou en philosophie ; par le Sr de Clonsinnil, prêtre hibernois et docteur en théologie ; 1651, le 10 septembre en a donné le récit ; je ne suis pas parvenu à mettre la main dessus, mais Antony McKenna (v. note [4] de l’Introduction aux ana de Guy Patin) y a eu accès et l’a résumé dans son Dictionnaire de Port-Royal (page 523).
Le but des jésuites et des lazaristes de la Congrégation de la Mission (v. note [27], lettre 402) était de faire renier le jansénisme à certains des nombreux prêtres hibernois, gradués de Sorbonne, qui étudiaient ou professaient la théologie : Nicholas Poer (Poërus, Power), bachelier, avait été procureur de la Nation d’Allemagne en 1642 et 1650 ; Thomas Medo (Medus ou Mede), lui aussi bachelier, l’avait été en 1647 et le fut à nouveau en 1659 ; Richard Nugent, bien que docteur, n’accéda pas à cette charge (Patrick Boyle, v. note [11] des Affaires de l’Université en 1651‑1652).
Leur compatriote François White, dont Vincent de Paul avait francisé le nom en Le Blanc, membre de la Mission lazariste (depuis 1645), était prêtre du diocèse de Limerick en Irlande et appartenait au parti contraire ; il mourut en 1679.
Le premier intermédiaire de la négociation fut Guillaume Bidé, sieur de La Bidière, conseiller en la quatrième des Enquêtes reçu en 1632, maître des requêtes en 1638 ; il avait résigné en 1646 et mourut en 1659 (Popoff, no 613).
Le Journal de Louis Gorin de Saint-Amour (sans lieu, 1662, v. note [22], lettre 752) a repris « l’histoire de ces Hibernois, dont M. Vincent, supérieur de la Mission, avait poursuivi, l’hiver précédent, les souscriptions contre les Cinq Propositions » (troisième partie, chapitre ix, pages 133‑134) :
« M. le recteur ayant donc été averti que ces Hibernois s’étaient souvent assemblés au Collège des Bons-Enfants, près de la porte Saint-Victor, {a} sous la direction d’un des prêtres de la Mission qui y sont, et qu’un jour qu’on lui en donna avis, savoir le 13 février 1651, ils s’étaient encore assemblés pour le même effet au Collège de Lisieux, {b} à la chambre de M. Poërus, de cette nation, bachelier en théologie, il leur envoya un bedeau de l’Université pour leur défendre de faire de ces sortes de conventicules et de porter aucun jugement en matière de doctrine ; ce qui ne leur fut pas plus tôt signifié par ce bedeau qu’aussitôt ils se retirèrent chacun chez eux, et depuis n’osèrent plus se rassembler. Mais on alla peu de jours après les trouver où ils logeaient, et on leur fit tant de sollicitations et de promesses qu’on obtint enfin que la déclaration qu’on leur avait dressée contre ces Cinq Propositions {c} fût signée de vingt-six d’entre eux, parmi lesquels il n’y en avait qu’un qui fût docteur, deux bacheliers, deux maîtres ès arts, et tout le reste, de simples écoliers qui ne faisaient que commencer à étudier en philosophie et en grammaire.
M. le recteur de l’Université l’ayant su, il fit citer à la première assemblée ordinaire des doyens et des procureurs des nations, qui fut tenue le samedi 4 du même mois de la même année 1651 ceux de ces Hibernois qui avaient des degrés dans l’Université, afin qu’ils y fussent entendus touchant leur déclaration, et obligés d’y représenter tous les exemplaires qu’ils en avaient souscrits. Le jour de l’assemblée étant arrivé, M. le recteur proposa cette affaire à MM. les doyens et procureurs. Il leur représenta les périlleuses conséquences qu’il y aurait à craindre si l’on permettait que dans les collèges de l’Université il se fît de ces sortes de conventicules où des gens sans autorité et sans aveu décidassent des matières de doctrine ; et leur fit surtout observer que dans la déclaration de ces Hibernois, il y avait des choses tout à fait préjudiciables à l’autorité de l’Université de Paris, et aux droits et privilèges du royaume et de l’Église gallicane. En suite de cet exposé, on fit entrer les Hibernois qui avaient été cités. On leur représenta leur déclaration. Ils reconnurent qu’ils l’avaient signée chacun en particulier sans en avoir conféré ensemble auparavant, et qu’ils en avaient signé trois ou quatre exemplaires, mais qu’il ne leur en était resté aucun ; qu’il y en avait un qui avait été mis entre les mains de M. Vincent, {d} qu’ils ne savaient pas ce que les autres étaient devenus ; et qu’ils étaient tous prêts à révoquer leur souscription si l’Université l’avait agréable, et même, ils signèrent cette réponse. Ensuite ils se retirèrent, et M. le recteur dit à MM. les députés qu’il était chargé d’une requête d’autres Hibernois gradués en théologie en la même Université, par laquelle ils la suppliaient de ne pas attribuer à toute leur nation ce qui n’était qu’une faute de quelque peu de particuliers, dont les uns avaient été surpris à cause de leur ignorance, et les autres gagnés et séduits par les ennemis de l’Université, mais de remédier charitablement à ce désordre qui avait été commis par un petit nombre de leurs compatriotes. {e} Après que cette requête eut été lue, on fit entrer plusieurs de ces Hibernois qui l’avaient présentée pour les entendre de vive voix ; quelques-uns déclarèrent qu’il y avait eu deux jésuites qui avaient fait aux Hibernois des promesses solennelles de leur donner une maison s’ils voulaient souscrire à cette déclaration ; même qu’on leur avait fait espérer qu’une personne de qualité ferait une fondation pour eux ; et que M. Vincent leur avait aussi promis de faire avoir des bénéfices à ceux qui la souscriraient. Il fut ordonné sur tout cela par M. le recteur et tous MM. les députés unanimement que cette déclaration était une entreprise tout à fait téméraire et insoutenable ; que l’Université la jugeait contraire à son autorité, et aux coutumes et aux droits du royaume et de l’Église gallicane ; qu’elle la cassait et l’annulait, et que tous les exemplaires qui en avaient été signés, quelque part qu’ils fussent, seraient rapportés à M. le recteur pour être lacérés. Il fut enjoint à tous ceux qui l’avaient signée de venir révoquer leur signature dans huitaine par écrit entre les mains du greffier de l’Université, à peine, ce temps passé, pour ceux qui avaient des degrés dans l’Université d’en être déchus, et de tout droit et privilège attaché à ces degrés ; et même l’espérance ôtée à ceux qui n’en avaient pas d’y pouvoir jamais être reçus. Lequel temps passé, il ne serait fait aucune grâce à ceux qui n’auraient pas révoqué leur déclaration. Il fut aussi fait défense à tous les autres suppôts de l’Université d’entreprendre jamais rien de pareil, à peine de déchoir et d’être privés de tous degrés, droits et privilèges académiques.
Il n’est pas hors de propos de remarquer ici, en passant, que ce qui donnait occasion à l’Université de trouver que cette déclaration était contraire et préjudiciable aux coutumes et aux droits du royaume et de l’Église gallicane était une clause par laquelle ces Hibernois promettaient en deux endroits de leur déclaration D’être toujours attachés à tous les décrets et censures des papes : Nos semper adhæsuros omnibus Decretis ac Censuris summorum Pontificum ; et de n’enseigner jamais aucune proposition suspecte d’erreur ou d’hérésie, ou condamnée par quelque pape que ce fût en quelque manière que ce fût : Numquam nos docturos ullas propositiones de errore aut Hæresi suspectas aut quomodolibet a quovis summo Pontifice damnata, præsertimque sequentes : Prima Propositio, Aliqua Dei Præcepta, etc. Ceux qui sont informés de ces matières pénètrent bien les conséquences de ces maximes […]. » {f}
- Collège des Bons-Enfants-Saint-Victor, fondé en 1257 et établi dans le faubourg de même nom (v. note [4], lettre 60).
- V. note [46], lettre 176.
- V. note [16], lettre 321, pour les Cinq Propositions tirées de l’Augustinus de Jansenius (publié en 1640), et pour leur condamnation par la bulle Cum occasione, que le pape Innocent x allait promulguer le 31 mai 1653 (v. note [16], lettre 321).
- Vincent de Paul, le futur saint, que ses hagiographies ont cherché à innocenter dans cette sombre manigance contre les jansénistes.
- Les noms que Guy Patin donnait à trois de ces jansénistes irlandais, théologiens de Sorbonne et signataires d’une pétition contre leurs compatriotes infidèles, se lisent aussi dans le Dictionnaire de Port-Royal (page 523) : Philip O’Lonergan, MacNamara (prénom inconnu), professeur de philosophie au Collège du Cardinal Lemoine, et Maurice (Morris) Poer (peut-être apparenté à Nicholas), licencié en théologie. Le quatrième nom est différent dans les deux sources : Stapleton pour Patin, mais Patrick Hifernan pour le Dictionnaire de Port-Royal.
- v. infra notes [25], [28] et [35] pour la suite de cette grande affaire religieuse.
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