Mermeroes, ou Mihr-Mihroe, est un général perse du vie s. de notre ère qui lutta contre les armées byzantines. Moréri cite en référence L’Histoire de l’empereur Justinien écrite par Agathias, {a} publiée dans le tome ii de l’Histoire de Constantinople depuis le règne de l’ancien Justin jusqu’à la fin de l’Empire. Traduite sur les originaux grecs par M. Cousin, président en la Cour des monnaies, {b} livre ii, chapitre x (pages 575‑580), Mort de Mermeroës. Son éloge. Coutume des Perses d’exposer aux bêtes les corps morts. Réflexion sur cette coutume :
« En ce lieu-là, {c} il tomba dans une fâcheuse maladie, ce qui l’obligea de laisser la plus grande partie de ses troupes dans le pays pour la défense des places et de se faire porter à une ville d’Ibérie nommée Mechiste, {d} où il mourut.
C’était un des plus grands personnages qui ait jamais été parmi les Perses. Il était prudent dans le conseil, intrépide dans le danger et avait le courage merveilleusement élevé. Quoi qu’il fût chargé d’années et si fort incommode des deux pieds depuis longtemps qu’il ne pouvait plus monter à cheval, {e} il ne laissait pas d’entreprendre toutes les fatigues avec la même ardeur que s’il n’eût point eu d’indisposition et qu’il eût été dans la fleur de son âge. Il se faisait porter dans sa litière au milieu de son armée et, dans cet état, il imprimait de la terreur à ses ennemis, il inspirait de la hardiesse à ses soldats ; enfin il donnait tous les ordres avec une sagesse si éclairée qu’ils ont presque toujours été suivis des victoires les plus signalées. Ce qui fait bien voir que ce n’est pas la force du corps, mais la sagesse de l’esprit, qui fait les grands capitaines.
Les plus proches parents de Mermeroës portèrent son corps hors de la ville et l’exposèrent tout nu pour être mangé par les chiens et par les oiseaux infâmes qui se repaissent de carnages. Voilà la belle cérémonie que les Perses ont accoutumé de garder dans leurs funérailles. Après que ces animaux ont dévoré toutes les chairs, les os demeurent épars en divers endroits sur la terre. Parmi eux il n’est pas permis d’ensevelir les morts, ni de les enfermer dans des tombeaux {f}. Que s’il arrive qu’un corps qui a été exposé de cette sorte, ne soit pas au même moment déchiré par les chiens, ou par les oiseaux de proie, ils s’imaginent que cela vient de ce que l’âme de cette personne est encore toute souillée des crimes de sa vie passée et qu’elle est condamnée à souffrir d’horribles supplices. Pour lors, ses parents le regrettent et le pleurent amèrement comme étant véritablement mort, et comme étant dans une condition tout à fait malheureuse et digne de larmes. Ils se persuadent au contraire que ceux-là sont heureux dont les corps sont dévorés aussitôt qu’ils ont été exposés, et que c’est une marque que leur âme est sainte et divine, et qu’elle jouit d’une félicité immortelle. Quand quelque soldat est attaqué d’une maladie dangereuse, on le sépare des autres et on l’expose tout vivant avec un peu de pain et d’eau, et avec un bâton, afin qu’il puisse se nourrir et se défendre contre les bêtes tant qu’il lui restera assez de force. Que s’il arrive que la violence du mal ôte à ceux qui ont été exposés de cette manière la liberté du mouvement, sans toutefois leur ôter entièrement la jouissance de la vie, alors ils sont dévorés à demi vivants et ils perdent par la cruauté des bêtes l’espérance de la guérison. On en a vu quelquefois, qui après avoir recouvré leur santé, sont revenus dans leurs maisons et y ont paru avec des visages aussi pâles et aussi défigurés que ceux que les poètes retirent des portes de l’enfer sur les scènes et sur les théâtres ; mais quand quelqu’un retourne de cette sorte, tout le monde le fuit comme un profane et on ne permet pas qu’il rentre dans la conversation des autres hommes, ni qu’il reprenne son train de vie ordinaire sans qu’il ait été auparavant réconcilié par les mages, purifié, s’il faut ainsi dire, de l’attente de la mort et comme rétabli dans le commerce de la vie.
Il est évident que lorsqu’une Nation entière a été élevée dans quelque coutume durant une longue suite d’années, elle la croit juste et raisonnable, et qu’elle rejette tout ce qui lui est contraire comme extravagant et impie. Les hommes n’ont jamais fait de lois, qu’ils ne les aient appuyées sur quelques raisons ; mais de ces raisons, les unes ont de la solidité, et les autres n’ont que de l’apparence. C’est pourquoi je ne trouve pas étrange que les Perses emploient divers arguments pour défendre l’usage de leur pays et pour montrer qu’il doit être préféré à celui des autres peuples ; mais je m’étonne qu’ils observent un usage qui constamment a été inconnu aux plus anciens habitants de leur pays, aux Assyriens, aux Chaldéens et aux Mèdes. On voit encore aux environs de Ninive et de Babylone, et dans toute la Médie, des tombeaux semblables aux nôtres, où sont enfermés les ossements et les cendres des hommes qui ont vécu dans les premiers siècles : ce qui fait connaître qu’alors on donnait la sépulture à la façon des Grecs, et non pas à la façon que les Perses gardent maintenant. […] {g} Ce sont donc les Perses de ce temps-ci qui ont négligé, ou plutôt qui ont violé toutes leurs anciennes lois et qui se sont laissé corrompre par les mœurs des étrangers que Zoroastre a introduites. » {h}
- Agathias le Scolastique est un poète et historien byzantin du vie s., dont sont ici réunis les principaux ouvrages.
- Paris, Pierre Rocolet de Damien Foucault, 1671, in‑4o de 772 pages.
V. note [22], lettre 224, pour Justinien le Grand, empereur romain d’Orient de 527 à 565.
- Lors de sa dernière campagne contre les Byzantins en Lazique (à l’ouest de l’actuelle Géorgie), province située sur la rive orientale de la mer Noire, au nord de l’Ibérie et de l’Arménie, Mermeroes et son armée affaiblie s’étaient retirés dans la ville de Muchirise (Mocherisis).
- Mtskheta en Géorgie, près de Tbilissi : Mermeroes y mourut en l’an 555.
- Cette paraplégie pouvait être due à diverses maladies chroniques de la moelle épinière, traumatique, dégénérative, toxique, carentielle, tumorale ou infectieuse : poliomyélite, tuberculose, voire tabes dorsalis (mais il faudrait croire à la haute antiquité de la syphilis en Europe, v. note [17] du Naudæana 2).
- Encore pratiquées dans certains pays d’Orient, ces obsèques à ciel ouvert sont appelées funérailles célestes.
- Omission d’un long passage sur toutes les formes de mariages incestueux qu’autorisaient les Perses.
- V. notule {b}, note [49] du Borboniana 1 manuscrit pour Zoroastre.
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