À Charles Spon, le 22 décembre 1654, note 26.
Note [26]

Érasme Albert ou Albère (Erasmus Alberus), né près de Francfort, avait suivi les cours de Martin Luther à l’Université de Wittemberg et y fut reçu docteur en théologie. Il recueillit dans le livre des Conformités de saint François avec Jésus-Christ, écrit à la fin du xive s. par Barthélemy de Pise (Albizzi), les inepties les plus remarquables pour en composer l’Alcoran des cordeliers, imprimé pour la première fois en allemand en 1531, puis en latin en 1542.

Luther honora d’une Préface (livre premier, pages 319‑324) la compilation de son disciple. Conrad Badius l’augmenta d’un second livre, la traduisit en français et la fit imprimer :

L’Alcoran des Cordeliers. Tant en latin qu’en français. C’est-à-dire recueil des plus notables bourdes et blasphèmes impudents de ceux qui ont osé comparer saint François {a} à Jésus-Christ : tiré du grand livre de Conformités, jadis composé par frère Barthélemy de Pise, cordelier en son vivant. Parti en deux livres. Nouvellement y a été ajoutée la figure d’un arbre contenant par branches la conférence de saint François a Jésus-Christ. {b} Le tout de nouveau revu et corrigé. {c}


  1. François d’Assise (Giovanni di Pietro Bernardone, 1181-1226), saint fondateur de l’Ordre des frères mineurs, apôtre de la pauvreté et de l’évangélisation catholique, canonisé en 1282.

  2. Un plan écrit ( et non un dessin), sous la forme d’un poème français, signé V. C.C.

  3. Genève, Guillaume de Laimarié, 1578, in‑8o en deux livres de 338 et 382 pages ; première édition ibid. Conrad Badius,1556, avec un sous-titre différent : C’est-à-dire la Mer des blasphèmes et mensonges de cette idole stigmatisée qu’on appelle saint François. Recueilli par le docteur M. Luther du livre des Conformités de ce beau saint François, imprimé à Milan l’an 1510 et nouvellement traduit.

Badius explique dans sa propre préface « à l’Église de Jésus-Christ, Salut » (pages 6‑7) que :

« le S. Esprit n’a pas permis qu’un tel sacrilège fût enseveli, car il a suscité le docteur M. Luther, vrai serviteur de Jésus-Christ, lequel, pour manifester aux pauvres chrétiens l’abus, l’erreur, le mensonge, le blasphème et sacrilège de cette pernicieuse secte de diables gris, a fait un extrait des abominations plus apparentes de ce livre des Conformités sans y changer un seul mot ; et a intitulé son recueil du nom d’Alcoran, tant pour l’exécration dont il est plein que pource que ces chattemites {a} l’ont en si grande révérence, comme si c’étaient oracles et prophéties procédées du ciel, combien que le diable les ait forgées au fond d’enfer et apportées en la puante bouche de ce moine frénétique et insensé, Bartholomée de Pise, de l’ordre des diables mineurs, di-ie < sic > majeurs, pour les vomir et en infecter toute la chrétienté. »


  1. Hypocrites.

L’Imprimeur au lecteur (première partie, pages 325) explique une curiosité du titre :

« Combien qu’en la première impression de ce livre que je mis en lumière, j’attribuai l’extrait de cet Alcoran à M. Luther (selon qu’on l’a cru quasi partout), toutefois, après avoir lu l’Épître d’Érasme Albère, ci-après mise, {a} j’ai trouvé pour certain que ç’a été lui qui l’a recueilli du puant retrait {b} de ces Conformités abominables, et non M. Luther. »


  1. Extrait de l’épître d’Érasme Albère, ministre de la parole de Dieu aux pays du marquis de Brandebourg, lequel a recueilli cet Alcoran du livre des Conformités (pages 301‑307).

  2. Pot de chambre.

À titre d’illustration et pour expliquer l’empressement que Guy Patin mettait à acquérir une copie de ce livre, ce passage des Conformités avec les notes d’Albère (première partie, page 5‑ 6) :

« En quel des saints ont été miraculeusement imprimées les plaies de Jésus-Christ ? {a} Certes en nul autre qu’en notre Benoit père S. François, comme l’Église romaine {b} le certifie, et veut que tous fidèles le croient, etc. En après, le pape Benoît a permis à l’Ordre de célébrer la fête des plaies d’icelui S. François. »


  1. Page 5 : « Quant aux stigmates de cette idole, les jacobins disent que ce fut saint Dominique qui les lui fit d’une broche, étant survenu quelque différend entre eux, comme il était caché sous un lit. Et voilà comme ces sectes détestables se déchirent l’une l’autre. »

    Et à la page suivante : « Si les gueux de ce temps ne savaient faire de semblable par herbes et emplâtres, et autres drogues, on pourrait dire qu’il y aurait eu, non pas un miracle, mais de l’enchantement, car Jésus-Christ n’a point voulu que la mémoire de sa Passion fût ainsi célébrée, car il a laissé ces marques, à savoir le baptême et la cène, pour mémoriaux éternels d’icelle en son Église. »

    Comme d’autres, j’ai toujours trouvé curieux que les stigmatisés aient leurs plaies à la paume des mains, car il est impossible de tenir un supplicié sur une croix si on plante les clous à cet endroit : les bourreaus romains savaient bien qu’il faut clouer au-dessus des poignets, dans l’espace séparant le radius de l’ulna (cubitus) ; la destruction du nerf cubital (ulnaire) explique la position des doigts en griffes. La plupart des crucifix commettent la même erreur anatomique.

  2. « Il ne s’en faut ébahir car ce lui est une bonne vache à lait » (page 5).

V. note [23], lettre 387, pour l’édition latine de cet Alcoran que Charles Spon envoya à Guy Patin.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 22 décembre 1654, note 26.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0386&cln=26

(Consulté le 25/04/2024)

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