À Charles Spon, le 22 mars 1648, note 28.
Note [28]

Sur la page de titre de l’exemplaire du Discours sceptique… conservé à la BIU Santé, un dénommé Le Prince, peut-être inspiré par ce passage de Guy Patin, a écrit à la plume « Trad. de Gassendi par Sorbière » : ce qi est solidement étayé par mon analyse de cet ouvrage (v. supra note [26]).

Pierre Gassendi s’est en effet mêlé de la circulation du sang et des voies du chyle, mais ses opinions étaient à l’opposé de celles que défend ingénument ce petit livre. Pour la circulation du sang, on les lit dans au moins trois textes de Gassendi.

  1. Le chapitre xvii (pages 133‑136) de la troisième partie de son Epistolica exercitatio, in qua Principia Philosophiæ Roberti Fluddi Medici reteguntur… [Essai épistolaire, où sont mis à nu les principes de la philosophie du médecin Robert Fludd (v. note [15] du Patiniana I‑4)…] (Paris, Sébastien Cramoisy, 1630, in‑8o) est intitulé Ubi, occasione Harvei, et de septo Cordis intermedio [Où, à propos d’Harvey, il est question de la cloison médiane du cœur], avec ce récit :

    Enarrabo quod ipse vidi. Cum Aquis-Sextijs degerem, quoties Dissectio celebrabatur, inteream frequens theatro Anatomico. Constanter autem pluribus annis observaram dissectores, dum cor haberent præ manibus, tentare ferro obtusiusculo, quod spathulam vocant, ipsius septi penetrationem, concludereque cum Medicis transmissionem sanguinis e dextro sinu in lævum debere per transudationem insensibilem fieri. At cum disputari contingisset ante octo annos de professione Anatomes, adfuit inter Antagonistas chirurgus industrius, nomine Payanus, qui rem secus esse spectantibus nobis demonstrare voluit. Is itaque spathulam usurpans, mediastinum cordis penetrare aggressus est. Id vero tentavit non recta, ut alij : sed extremo primum ferro subingresso (mille siquidem januæ, quæ septi est textura, patent) progressum fecit levissime ; quippe ferrum rursum, deorsum, et ad latera patientissime contorquendo, exploravit semper ulteriorem aditum. Quid moror ? facta demum est lævum usque sinum penetratio. Cæterum autem, quia nos causabamur factam fractionem aliquam ; jussit ipse novacula ferrum usque, septum incidi. Sectione facta, nihil prorsus fuisse temeratum deprehendimus : sed meatum solum, seu canalem observavimus (etsi per varios quasi meandros, et cuniculos circumductum) membranula tenuissima, politissimaque intectum.

    [Je raconterai ce que j’ai moi-même vu. Quand j’habitais à Aix-en-Provence, je me rendais très souvent à l’amphithéâtre anatomique, presque chaque fois qu’on y pratiquait une dissection. Pendant plusieurs années, j’y avais constamment observé que le opérateurs, quand ils avaient le cœur entre les mains, tentaient de franchir sa cloison médiane avec cette sonde métallique émoussée qu’ils appellent une spatule, et concluaient, avec les médecins, que le passage du sang de l’oreillette droite dans la gauche devait se faire par transsudation. Toutefois, quand il advint, voilà huit ans, une dispute sur l’enseignement de l’anatomie, se présenta, parmi les protagonistes, un habile chirurgien, dénommé Payan, qui voulut, sous nos yeux, démontrer le contraire de ce que nous croyions. Prenant une spatule, il entreprit ainsi de franchir la cloison médiane du cœur. Au lieu de prendre le droit chemin, comme faisaient les autres, il introduisit précautionneusement l’extrémité de la sonde (puisque la texture du septum présente mille entrées) et se mit à progresser très doucement, en tournant alternativement l’instrument vers le haut, vers le bas et sur les côtés, très patiemment et en suivant toujours le dernier passage qu’il avait trouvé ; sans surprise, il finit par le faire pénétrer dans l’oreillette gauche. En outre, pourtant, parce que nous arguions du fait qu’il avait créé quelque effraction, il nous invita à inciser le septum avec un couteau jusqu’à l’emplacement de la sonde, et cela fait, nous constatâmes qu’il ne l’avait en rien endommagé : nous n’y vîmes qu’un seul passage ou canal (quoiqu’il fût entouré de diverses galeries semblables à des méandres), bordé par une petite membrane, très fine et très lisse].

  2. Un court mémoire intitulé Petri Gassendi elegans de septo cordis pervio Observatio [Observation remarquable de Pierre Gassendi sur le passage qui se trouve dans la cloison du cœur], qu’on trouve dans un recueil de physiologie sans titre général, publié à Leyde (Franciscus Hegerus, 1640, in‑12) relate les mêmes faits.

  3. Un traité plus volumineux, intitulé Excerptum posterius, de pulsu et respiratione animalium, in quo inter cetera disseritur, de sanguinis circulatione [Second extrait, sur le pouls et la respiration des animaux, où il est entre autres traité de la circulation du sang], se trouve dans l’Appendix du tome ii (pages 345‑364) des Petri Gassendi Animadversiones… sur Épicure (Lyon, 1649, v. note [1], lettre 147). Dans une démarche opposée à celle de Descartes, Gassendi y met une longue litanie d’arguments spécieux au service d’une réfutation bancale de la brillante démonstration d’Harvey.

Dans sa première lettre de 1641 (v. notes [18], lettre 192, et [7], lettre 311), Jan de Wale (Walæus ou Vallæus) a aimablement battu en brèche cette observation de Gassendi (traduction française d’Abraham Du Prat, 1647, page 599) :

« L’illustre Monsieur Gassend, personnage à qui son érudition solide, et la sincérité et candeur extraordinaire donnent beaucoup de crédit et d’autorité parmi les doctes, rapporte en son Exercitation sur la Philosophie de Flud, partie 3, chapitre 17, qu’il a vu montrer à {a} Payan la paroi entre-moyenne {b} du cœur percée par divers labyrinthes, et par des sinuosités tortueuses ; et que l’on les peut trouver si, en mettant doucement la sonde dans une petite fosse, on la tourne patiemment en haut, en bas et aux côtés, et qu’on cherche en cette sorte un chemin plus avant, jusqu’à ce que vous en trouviez l’extrémité. En effet, nous avons expérimenté que cela nous a souvent bien réussi ; mais nous avons aussi remarqué que ces chemins tortueux n’ont point été faits par la nature, mais par la sonde ou la pointe du couteau lorsque nous ouvrons le chemin qui est fait et que nous en cherchons un autre plus avant, car la chair du cœur est si tendre et consistante aussi qu’elle se rompt incontinent au moindre attouchement de ce qui la perce, et laisse une cavité ; d’où vient que nous avons pu trouver par ce moyen les côtés du cœur ouverts. » {c}


  1. Sic pour « par ».

  2. Médiane.

  3. De fait, en forçant habilement le passage à l’aide d’une spatule, le rusé Payan rouvrait le trou (foramen) ovale de Botal qui, durant la vie embryonnaire, permet au sang de passer de l’oreillette droite dans l’oreillette gauche.

Dans ses Notationes in tractatum clarissimi D.D. Petri Gassendi, Mathematices professoris Regii in Academia Parisiensi, de circulatione sanguinis [Remarques sur le traité du très illustre Pierre Gassendi, professeur royal de mathématiques en l’Université de Paris, sur la circulation du sang] (Opuscula anatomica, 2e série, 1652, v. note [30], lettre 282), Jean ii Riolan a plus durement mordu Gassendi (pages 95‑96) :

Quam quisque norit artem, in hac se exerceat, nec falcem in alienam messem iniiciat. Felices artes Plato et post eum Tullius iudicarunt si a peritis tantum Artificibus tractarentur. Quum igitur nullus Philosophus, quanrtumvis eximius, perite, et exacte queat de Circulatione Sanguinis disserere, nisi fuit Medicus, et peritus Anatomicus ; mirum non est, Si Doctissimus Philosophus, ac præstantissimus Mathematicus, D. Gassendus, in explicanda suo more Circulatione Sanguinis, multum aberrarit, ne dicam hallucinatus fuerit,

―――――――――― Quod Medicorum est
Promittant Medici, tradent fabrilia fabri.

Non suscepissem illius tractatum examinaren nisi ipsemet hanc libertatem concessisset In editione Gallica, et in appendice p. 312. tomo 2. de doctrina Epicurea, his verbis, Quod spectat ad Sanguinis Circulationem, ea mihi potius sic arridet, ut perparum absit, quin habeam indubiam. Etenim, est aliquid etiam, quod ipse mihi ad meas illas difficultates respondeo, tametsi non ita mihi satisfacio, quin sperem mihi maiorem quandam ab aliquo alio affulsuram lucem. Ideoque amicas notationes apponam, ut eius votis respondeam. Coactus etiam fui istas exarare, ne Circulationi Sanguinis Harveianæ refutatio, meæ Circulationi umbram, et offendiculum adferret : ex utriusque commemoratione discrimen innotescet.

[Quiconque connaît son métier, s’y applique sans relâche et ne va pas jeter sa faux dans la moisson d’un autre. Platon et, après lui, Cicéron on jugé les arts heureux s’ils n’étaient pratiqués que par des artistes accomplis. Puisque nul philosophe, si éminent soit-il, n’a la capacité de disserter avec art et exactitude sur la circulation du sang s’il n’est ni médecin ni habile anatomiste, il n’est donc pas surprenant que Me Gassendi, très savant philosophe et très brillant mathématicien, se soit fort égaré, pour ne pas dire qu’il ait divagué, en expliquant cette question à sa mode.

―――――――――― Quod medicorum est
Promittunt medici ; tractant fabrilia fabri
. {a}

Je n’entreprendrais pas d’examiner son traité si lui-même ne m’avait accordé cette liberté dans l’édition française de sa Doctrina Epicurea, dans l’appendice du tome ii, page 312., par ces mots : « Pour ce qui touche à la circulation du sang, elle me porte plutôt à sourire, tant je suis près de la tenir pour indubitable. Le fait est bien que quelque chose me permet d’apporter tout de même une réponse à mes difficultés, bien que cela ne me satisfasse pas au point de ne pas espérer que quelqu’un d’autre y fasse un jour briller une plus grande clarté. » {b} Je présenterai donc des annotations amicales pour répondre à son vœu. J’ai même été forcé de les écrire pour que sa réfutation de la circulation harvéenne du sang ne porte d’ombre sur ma propre circulation et n’y fasse obstacle ; nos divergences se apparaîtront en comparant nos deux manières de voir].


  1. « Les médecins répondent de ce qui concerne la médecine ; les ouvriers, des choses de leur métier » (Horace, v. note [44] du Procès opposant Jean Chartier à Guy Patin).

  2. Page 312, milieu de la première colonne, de la référence 3 citée ci-dessus.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 22 mars 1648, note 28.

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(Consulté le 06/10/2024)

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