À Charles Spon, le 10 mars 1648, note 3.
Note [3]

L’épître dédicatoire de l’Encheiridium (v. note [25], lettre 150), Eruditissimo Medico, Doctori Parisiensi D.D. Guidoni Patino, amico, et collegio suo Ioannes Riolanus D.D. [Me Jean Riolan à M. Guy Patin, très savant médecin, docteur de Paris, son ami et son collègue], ne ménageait pas la modestie de Patin, comme en atteste cette première partie :

Non ambitiose quæsivi prælustre nomen alicuius Magnatis meo Libro Præscribendum, tanquam tutelare Numen, quia nunquam affectavi fautores, et laudatores meorum laborum, nisi doctos et peritos artifices, qui litteras et litteratos amant :

Quicumque inventas vitam excoluere per artes,
Quique sui memores alios fecere merendo.

Inter quos Tu primus occurristi, cui iure ac merito tuo debetur huius Libri consecratio et tutela. In nomine tuo laxavi rete : tu sæpius interpellator, et promotor fuisti Editionis meorum Operum Anatomicorum, Bibliopolamque, bonæ fidei virum, Tibi notissimum mihi dedisti : quod non fecisses, nisi certo agnosceres, illa non indigna luce, nec Eum impensas satis magnas perditurum.

Sed quod magis me Tibi devinctum detinet, etiam inspector Editionis esse voluisti ; istud humanitatis et benevolentiæ officium non potui a veteri Amico recusare, quia multum tribuo tuæ circumlitioni, quod dicebat Praxiteles de Tabulis suis, quibus Nicias manum admovisset.

Ecquem igitur æquiorem, atque peritiorem iudicem, fautorem, et vindicem eligerem ? Præter Te vidi neminem. Quare habe Tibi quidquid est libelli.
Unus est mihi instar mille, inquiebat Heraclitus, referente Galeno. Lubentius cum uno egero quam cum mille aliis, qui unum illum æquare nequeunt.

Itaque
si desint approbatores, Tempus erit laudator Operis, et provocabo ad Posteritatem, quæ sine invidia de meis laboribus iudicabit. Ut enim ægri, inquiebat Democritus, raro Medicinæ beneficium recognoscunt, sic Medici socios eiusdem Urbis numquam laudare solent : Ac proinde hæc ego si non multis, saltem Tibi scripsi : Namque tu solebas meas esse aliquid putare scripturas : Satis magnum alter alteri Theatrum sumus. Si tibi probetur hic Liber, iniquus et indoctus erit, quisquis improbaverit : nam

Cœnæ fercula nostræ,
Malim convivis quam placuisse cocis.

Non ego Daphnim,
Iudice Te, metuam, si nunquam
fallit imago.

[J’ai cherché non sans peine le très brillant nom de quelque grand personnage à qui dédier mon livre, comme à une divinité protectrice, car jamais je n’ai été en quête de partisans et laudateurs de mes travaux, à moins qu’ils ne fussent doctes et expérimentés praticiens, qui aimassent les lettres et les lettrés.

Quicumque inventas vitam excoluere per artes,
Quique sui memores alios fecere merendo
. {a}

De ceux-là, vous vous êtes le premier à avoir justement mérité de s’imposer comme celui à qui la dédicace et la tutelle de ce livre étaient dues. In nomine tuo laxavi rete : {b} vous avez été très souvent celui qui a inspiré et promu l’édition de mes œuvres anatomiques, et vous les avez confiées pour moi à un libraire, homme de confiance que vous connaissiez fort bien. Vous n’auriez pas agi ainsi si vous ne les aviez reconnues comme n’étant certainement pas indignes d’être mises au jour et si vous n’aviez pas été assuré qu’il n’allait pas se ruiner en y engageant des dépenses conséquentes.

Ce qui m’oblige pourtant davantage envers vous, c’est votre volonté de surveiller vous-même l’édition ; je n’ai pas pu vous refuser cet aimable et bienveillant devoir, vous qui êtes un vieil ami dont j’estime fort le vernis, comme Praxitèle disait de ses tableaux auxquels Nicias avait mis la main. {c}

Qui pouvais-je donc choisir pour juge, protecteur et défenseur plus équitable et plus averti ? Hormis vous, je n’ai vu personne. Tenez donc pour vôtre une partie de ce manuel. Unus est mihi instar mille, disait Héraclite au dire de Galien. {c} Je traiterai très volontiers avec un seul plutôt qu’avec mille autres, qui ne méritent pas tant que celui-là tout seul.

Voilà pourquoi, si je manque à présent d’approbateurs, le temps fera l’apologie de mon œuvre ; j’en appellerai à la postérité et elle jugera de mes travaux sans malveillance. De même en effet, disait Démocrite, que les malades reconnaissent rarement les bienfaits de la médecine, de même les médecins n’ont jamais coutume de louer les collègues de leur propre ville. {c} Ainsi donc, ai-je du moins écrit pour vous ce que je n’ai pas écrit pour beaucoup de monde, puisque vous avez coutume de croire que mes écrits ont quelque valeur : Satis magnum alter alteri Theatrum sumus. {d}

Cœnæ fercula nostræ,
Malim convivis quam placuisse cocis
. {e}

Non ego Daphnin,
Iudice Te, metuam, si nunquam
fallit imago
]. {f}


  1. « Ceux qui ont embelli l’existence par l’invention des arts, et ceux dont les bienfaits ont laissé leur souvenir dans la mémoire des autres » : imitation de Virgile (Énéide, chant vi, vers 663‑664).

  2. « En ton nom, j’ai jeté le filet » : in verbo autem tuo laxabo rete [mais, sur ta parole, je jetterai le filet] (paroles de Pierre à Jésus dans la Pêche miraculeuse, Luc, 5:5).

  3. Pline (Histoire naturelle, livre xxxv, chapitre xl, § 8 ; Littré Pli, volume 2, pages 483)‑484 :

    Hic est Nicias, de quo dicebat Praxiteles interrogatus, quæ maxime opera sua probaret in marmoribus : quibus Nicias manum admovisset tantum circumlitioni ejus tribuebat.

    « C’est ce Nicias au sujet de qui Praxitèle, interrogé < sur > lesquels de ses < propres > marbres lui plaisaient le plus, répondit : « Ceux où Nicias a mis la main », tant il estimait son vernis. »

  4. « Un seul pour moi est l’égal de mille », Εις εμοι μυριοι : propos du philosophe Héraclite (v. note [8], lettre latine 326) relaté par Galien dans le livre i De Differentia pulsum [De la Différence des pouls, Περι δαφορας σφυγμων] (Kühn, volume 8, page 773)

  5. Probable allusion (fort raccourcie) au passage de la lettre à Damagète (v. note [94] de L’homme n’est que maladie) où Hippocrate rapporte les propos de Démocrite (v. note [9], lettre 455) sur la folie des hommes (Littré Hip, volume 9, pages 377‑379) :

    « Ta médecine même, je suis bien sûr qu’elle n’est pas bien venue auprès d’eux ; leur désordre les rend maussades pour tout, et ils traitent de folie la sagesse. Et certes, je soupçonne que bonne partie de ta science est mise à mal par l’envie ou par l’ingratitude ; les malades, dès qu’ils sont sauvés, attribuent leur salut aux dieux ou à la fortune ; d’autres en font honneur à la nature et haïssent leur bienfaiteur, s’indignant, ou peu s’en faut, si on les croit débiteurs. La plupart, étant en eux-mêmes étrangers à toute idée d’art et n’ayant aucun savoir, condamnent ce qui est le meilleur ; car les votes sont entre les mains des stupides. Ni les malades ne veulent confesser, ni les confrères ne veulent témoigner, car l’envie s’y oppose. Ce n’est certes pas à un homme épargné par ces misérables propos que je parle ici, sachant bien que toi aussi as souvent subi des indignités, sans avoir voulu, pour argent ou pour envie, dénigrer à son tour ; mais il n’y a ni connaissance ni confession de la vérité.nbsp;»

  6. « Nous sommes l’un pour l’autre un assez grand théâtre » : paroles d’Épicure à l’un de ses compagnons de travail, rapportées par Sénèque le Jeune (Lettres à Lucilius, épître vii, § 11).

  7. « J’aimerais mieux que les plats de ma table plaisent aux convives qu’aux cuisiniers » (Martial, Épigrammes, livre ix, lxxi, vers 3‑4).

  8. « Et si le miroir des eaux ne nous trompe jamais, te prenant pour juge, je ne craindrais pas Daphnis pour la beauté » (Virgile Bucoliques, Églogue ii, vers 26‑27, paroles du berger Corydon à Alexis).

Ces attentions touchantes de Jean ii Riolan attestent de la profonde et sincère affection qu’il portait à Guy Patin, son élève le plus chéri : il avait, dit-on, repéré le jeune Guy, en froid avec sa famille, tandis qu’il corrigeait des épreuves d’imprimerie pour survivre (v. note [26], lettre 106), puis avait guidé ses premiers pas en médecine.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 10 mars 1648, note 3.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0151&cln=3

(Consulté le 23/04/2024)

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