À Charles Spon, le 16 août 1654, note 3.
Note [3]

Dans ses Mémoires, Retz a consigné ce récit épique de son évasion (pages 1122‑1131) :

« Je me résolus de penser tout de bon à me sauver. M. le premier président, à qui la cour avait déjà fait une manière de tentative, m’en pressait et Montrésor me fit donner un petit billet par le moyen d’une dame de Nantes : “ Vous devez être conduit à Brest dans la fin du mois, si vous ne vous sauvez. ”

[…] Je vous ai déjà dit que je m’allais quelquefois promener sur une manière de ravelin qui répond sur la rivière de Loire, et j’avais observé que, comme nous étions au mois d’août, la rivière ne battait pas contre la muraille et laissait un petit espace de terre entre elle et le bastion. J’avais aussi remarqué qu’entre le jardin qui était sur ce bastion et la terrasse sur laquelle mes gardes demeuraient quand je me promenais, il y avait une porte que Chalusset {a} y avait fait mettre pour empêcher les soldats d’y aller manger son verjus. {b} Je formai sur ces observations mon dessein, qui fut de tirer, sans faire semblant de rien, cette porte après moi, qui étant à jour par des treillis, n’empêcherait pas les gardes de me voir, mais qui les empêcherait au moins de pouvoir venir à moi ; de me faire descendre par une corde que mon médecin, {c} frère de mon intendant, me tiendraient, et de faire trouver des chevaux au bas du ravelin, et pour moi et pour quatre gentilshommes que je faisais état de mener avec moi. Ce projet était d’une exécution très difficile. Il ne se pouvait exécuter qu’en plein jour entre deux sentinelles qui n’étaient qu’à 30 pas l’une de l’autre, à la portée du demi-pistolet de mes gardes qui me pouvaient tirer à travers des barreaux de la porte. Il fallait que les quatre gentilshommes qui devaient venir avec moi et favoriser mon évasion fussent bien justes à se trouver au bas du ravelin parce que leur apparition pouvait aisément donner de l’ombrage.

[…] Je me sauvai un samedi 8 d’août à cinq heures du soir. La porte du petit jardin se referma après moi presque naturellement. Je descendis un bâton entre les jambes, très heureusement, du bastion qui avait 40 pieds {d} de haut. Un valet de chambre, qui est encore à moi, qui s’appelle Fromentin, amusa mes gardes en les faisant boire. Ils s’amusaient eux-mêmes à regarder un jacobin qui se baignait et qui, de plus, se noyait. La sentinelle, qui était à 20 pas de moi, mais en lieu d’où elle ne pouvait pourtant me joindre, n’osa me tirer parce que, lorsque je lui vis compasser sa mèche, {e} je lui criai que je le ferais pendre s’il tirait, et il avoua à la question {f} qu’il crut, sur cette menace, que le maréchal était de concert avec moi. Deux petits pages qui se baignaient et qui, me voyant suspendu à la corde, crièrent que je me sauvais, ne furent pas écoutés parce que tout le monde s’imagina qu’ils appelaient des gens au secours du jacobin qui se baignait. Mes quatre gentilshommes se trouvent < sic > à point nommé au bas du ravelin où ils avaient fait semblant de faire abreuver leurs chevaux, comme s’ils eussent voulu aller à la chasse. Je fus à cheval moi-même devant qu’il y eût eu seulement la moindre alarme, et comme j’avais 42 relais postés entre Nantes et Paris, j’y serais arrivé infailliblement le mardi à la pointe du jour, sans un accident que je puis dire avoir été le fatal et le décisif du reste de ma vie.

[…] Aussitôt que je fus à cheval, je pris la route de Mauves, qui est, si je ne me trompe, à cinq lieues de Nantes, sur la rivière, et où nous étions convenus que M. de Brissac et M. le chevalier de Sévigné m’attendraient avec un bateau pour la passer. La Radde, écuyer de M. le duc de Brissac, qui marchait devant moi, me dit qu’il fallait galoper d’abord {g} pour ne pas donner le temps aux gardes du maréchal de fermer la porte d’une petite rue du faubourg où était leur quartier et par laquelle il fallait nécessairement passer. J’avais un des meilleurs chevaux du monde, et qui avait coûté 1 000 écus à M. de Brissac. Je ne lui abandonnai toutefois pas la main {h} parce que le pavé était très mauvais et très glissant ; mais un gentilhomme à moi, qui s’appelait Boisguérin, m’ayant crié de mettre le pistolet à la main, parce qu’il voyait deux gardes du maréchal, qui ne songeaient pourtant pas à nous, je l’y mis effectivement ; et en le présentant à la tête de celui de ces gardes qui était le plus près de moi, pour l’empêcher de se saisir de la bride de mon cheval, le soleil, qui était encore haut, donna dans la platine ; la réverbération fit peur à mon cheval qui était vif et vigoureux ; il fit un grand soubresaut et il retomba des quatre pieds. J’en fus quitte pour l’épaule gauche qui se rompit contre la borne d’une porte. Un gentilhomme à moi, appelé Beauchesne, me releva ; il me remit à cheval ; et quoique je souffrisse des douleurs effroyables et que je fusse obligé de me tirer les cheveux de temps en temps pour m’empêcher de m’évanouir, j’achevai ma course de cinq lieues devant que M. le grand maître, qui me suivait à toute bride avec tous les cocus de Nantes, au moins si l’on en veut croire la chanson de Marigny, m’eût pu joindre. Je trouvai au lieu destiné M. de Brissac et M. le chevalier de Sévigné, avec le bateau. Je m’évanouis en y entrant. L’on me fit revenir en me jetant un verre d’eau sur le visage. Je voulus remonter à cheval quand nous eûmes passé la rivière, mais les forces me manquèrent et M. de Brissac fut obligé de me mettre dans une fort grosse meule de foin, où il me laissa avec un gentilhomme à moi, appelé Montet, qui me tenait entre ses bras. Il emmena avec lui Joly qui, seul avec Montet, m’avait pu suivre, les chevaux des trois autres ayant manqué ; et il tira droit à Beaupréau, en dessein d’y assembler la noblesse pour me venir tirer de ma meule de foin.

[…] J’y demeurai caché plus de sept heures avec une incommodité que je ne puis vous exprimer. J’avais l’épaule rompue et démise ; j’y avais une contusion terrible ; la fièvre me prit sur les neuf heures du soir ; l’altération {i} qu’elle me donnait était encore cruellement augmentée par la chaleur du foin nouveau. Quoique je fusse sur le bord de la rivière, je n’osais boire parce que, si nous fussions sortis de la meule, Montet et moi, nous n’eussions eu personne pour raccommoder le foin qui eût paru remué et qui eût donné lieu, par conséquent, à ceux qui couraient après moi d’y fouiller. Nous n’entendions que des cavaliers qui passaient à droite et à gauche. Nous reconnûmes même Coulon à sa voix. L’incommodité de la soif est incroyable et inconcevable à qui ne l’a pas éprouvée. M. de La Poise-Saint-Offanges, homme de qualité du pays, que M. de Brissac avait averti en passant chez lui, vint, sur les deux heures après minuit, me prendre dans cette meule de foin, après qu’il eut remarqué qu’il n’y avait plus de cavalerie aux environs. Il me mit sur une civière à fumier et il me fit porter par deux paysans dans la grange d’une maison qui était à lui, à une lieue de là. Il m’y ensevelit encore dans le foin ; mais comme j’y avais de quoi boire, je m’y trouvais même délicieusement. »


  1. Capitaine au château de Nantes.

  2. Raisin vert.

  3. Jean Vacherot, v. note [11], lettre 325] et l’abbé Rousseau [v. note [21], lettre 367.

  4. 13 mètres.

  5. Mesurer sa mèche avant de l’allumer.

  6. V. seconde notule {d}, note [2] du Borboniana 10 manuscrit.

  7. Immédiatement.

  8. Je ne lâchai pas la bride.

  9. La soif.

Le 20 août, un arrêt du roi ordonnait l’arrestation de Retz, où qu’il se trouve dans le royaume (Jestaz).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 16 août 1654, note 3.

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(Consulté le 13/12/2024)

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