À Reiner von Neuhaus, le 29 septembre 1669, note 3.
Note [3]

Tout comme en médecine, Guy Patin aimait tirer ses références et son savoir géographiques des notions antiques. Le Dictionnaire de Trévoux a fourni une définition détaillée de l’adjectif hyperboréen :

« Nom de peuple dans l’Antiquité, Hyperboreus. C’est aussi un adjectif, qui se dit des lieux. Les Anciens appelaient Hyperboréens les peuples qui étaient au delà de Scythes, du côté du nord ; et comme ils avaient peu de connaissance de ces régions septentrionales, tout ce qu’ils en disent est peu certain. Hérodote doute qu’il y en eût. {a} Strabon croit qu’il y en avait, {b} et il prétend que Hyperboréen ne signifie pas qui est au delà du Borée, ou du nord, comme Hérodote l’entendait ; mais que la préposition grecque, {c} ne sert là qu’à former un superlatif ; ainsi, dans sa pensée, hyperboréen est la même chose que très septentrional ; les Hyperboréens sont les peuples les plus septentrionaux. Il paraît par-là qu’ils ne savaient pas eux-mêmes trop précisément ce qu’il fallait entendre par ce mot. Les montagnes hyperboréennes, qu’on nommait autrement, Riphaei montes. {d}

Diodore de Sicile {e} dit que les Hyperboréens étaient ainsi nommés parce qu’ils habitaient au delà du vent Borée. Cette étymologie paraît toute naturelle car ces peuples étaient certainement très septentrionaux : υπερ en grec signifie au-dessus, au delà, et Βορεας, le vent Borée. {f} D’ailleurs, Diodore de Sicile dit que les Hyperboréens sont ainsi nommés parce qu’ils habitent au delà du vent Borée. Cependant Rudbeck {g} prétend que c’est là une bévue des Grecs, qu’il est absurde de s’imaginer qu’il y ait de tels habitants au monde ; que c’est une mauvaise coutume des Grecs de donner des étymologies et des significations grecques aux termes qu’ils empruntaient des autres nations ; qu’il était facile à Diodore lui-même de s’en apercevoir, puisqu’il venait de rapporter que celui qui commandait dans ce pays était toujours de la famille de Borée. Rudbeck prétend donc que ce nom Hyperboréen est gothique, qu’il signifie non pas le lieu de la demeure, mais la noblesse du sang. Mais il est difficile de se persuader que telle est l’origine et la signification de ce mot, et que les idées de Rudbeck l’emportent sur l’étymologie grecque si naturelle et si plausible. »


  1. V. note [31], lettre 406, pour Hérodote d’Halicarnasse, historien grec du ve s. av. J.‑C.

  2. V. note [5], lettre 977, pour Strabon, géographe grec du ier s. av. J.‑C.

  3. Hyper.

  4. Ou Rhipæi, monts Riphées en Scythie : montagnes imaginaires que les Anciens plaçaient aux limites du monde qu’ils connaissaient (pouvant se situer des Alpes à l’Himalaya, selon leur largeur de vue).

  5. Historien grec du ier s. av. J.‑C. (v. note [33] du Borboniana 3 manuscrit).

  6. Vent du nord (en langue poétique), source de l’adjectif boréal.

  7. V. note [4], lettre 337, pour Olaüs Rudbeck, qui situait l’Atalantide dans sa Suède natale.

Contrairement à Patin, Pline a décrit l’Hyperborée comme une contrée de perpétuelle et incroyable félicité (Histoire naturelle, livre iv, chapitre xxvi, § 11, Littré Pli, volume 1, page 200) :

Pone eos montes, ultraque Aquilonem, gens felix (si credimus) quos Hyperboreos appellavere, annoso degit ævo, fabulosis celebrata miraculis. Ibi creduntur esse cardines mundi, extremique siderum ambitus, semenstri luce, et una die solis adversi non, ut imperiti dixere, ab æquinoctio verno in autumnum ; semel in anno solstitio oriuntur iis soles, brumaque semel occidunt. Regio aprica, felici temperie, omni adflatu noxio carens. Domus iis nemora, lucique, et deorum cultus viritim gregatimque, discordia ignota et ægritudo omnis. Mors nonnisi satietate vitæ, epulatis delibutoque, senio luxu, ex quadam rupe in mare salientibus. Hoc genus sepulturæ beatissimum.

« Derrière ces montagnes et au delà de l’Aquilon, une nation heureuse, si on en croit les écrits, appelée les Hyperboréens, et où les hommes atteignent une grande vieillesse ; des merveilles fabuleuses en sont racontées : on dit que là sont les gonds du monde et la dernière limite de la révolution des astres ; le soleil y donne une lumière de six mois en un seul jour, et il se cache non, comme des ignorants l’ont dit, de l’équinoxe du printemps à celui de l’automne, mais il n’y a dans l’année qu’un lever au solstice d’été, qu’un coucher au solstice d’hiver. {a} La contrée est bien exposée, d’une température heureuse, et exempte de tout souffle nuisible. Les habitants ont pour demeures les forêts et les bois sacrés ; le culte des dieux est célébré et par les individus et par le peuple ; la discorde y est ignorée, ainsi que toute maladie. On n’y meurt que par satiété de la vie : après un repas, après des réjouissances données aux dernières heures de la vieillesse, on saute dans la mer du haut d’un certain rocher ; c’est pour eux le genre de sépulture le plus heureux.; »


  1. Note de Littré (15) :

    « Ce passage n’a pas été compris par les traducteurs, et on a cherché à y introduire des corrections, qui, dans le fait, sont inutiles. À la vérité, il devient intelligible quand on le ponctue comme dans Vulg. : solis a<d>versi : non, ut, etc. Il faut ôter ces deux points malencontreux ; et alors on voit clairement que a<d>versi désigne le temps où le soleil est caché aux Hyperboréens. »


Si on y remplace les éléphants par les mammouths, la description de Patin évoque la Sibérie arctique de la Préhistoire ; elle atteste bien de sa haine des Ottomans, mais aussi des idées vagues inspirées par le mystère qui nimbait alors les contrées polaires.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Reiner von Neuhaus, le 29 septembre 1669, note 3.

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(Consulté le 25/04/2024)

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