Ioan. Sleidani, De Statu Religionis et Reipublicæ, Carlo quinto, Cæsare, Commentarii [Commentaires de Johann Sleidan sur l’état de la religion et de la politique sous l’empereur Charles Quint], {a} année 1553, livre xxv, page 446 vo, Servetus Genevæ exustus [Servet brûlé à Genève] :
Sub finem Octobris, Genevæ sumptum est de Michaele Serveto Hispano supplicium. Is multis ab hinc annis varios ediderat libellos inter alia, de Triniata, prorsus alienos a sententia totius Ecclesiæ. Quumque hoc demum anno Genevam venisset, senatus de illo certior factus, comprehendi jubet, ac deinde Calvino, qui tam antea scriptis eum oppugnaverat, et cæteris Ecclesiæ ministris iniungit, ut sermonem cum eo coferant. Itaque multa fuit inter eos et acerba disceptatio ; quum ille sæpenumero mendacij Calvinum insimularet, admodum immodeste. Senatus vero, ne quid in causa tam gravi temere fieret, doctores de iis dogmatis consulit, Bernates, Tigurinos, Basilienses, Schafusianos. Hi respondent omnes ad summam Dei contumeliam illa pertinere. Quum autem non modo de sententia non decederet, sed conviciis et maledictis etiam sua propugnaret, damnatus est capitis. Ut ad locum supplicij venit, horante Gulielmo Farello, Christum, æternum Dei filium invocare noluit, et quum pœnitentiæ signum nullum daret, causam tamen ad populum minime defendit. Necis invidiam plerique constabant in Calvinum. Is autem edito libro, doctrinam eius et rem omnem actam commemorat, et in hæreticos gladio vindicandum esse docet. {b}
« Sur la fin d’octobre, on fit mourir à Genève Michel Servet, Espagnol. Depuis plusieurs années, il avait publié différents ouvrages, et entre autres sur la Trinité, tout à fait contraires au sentiment de l’Église. Enfin, étant revenu cette année à Genève, le Sénat, qui en fut informé, le fit arrêter et enjoignit ensuite à Clavin, qui avait déjà écrit contre lui auparavant, et aux autres ministres de leur Église de conférer avec lui. Il y eut donc entre eux de longues et de vives disputes, où Servet taxa souvent Calvin de mensonges, d’une manière tout à fait impudente. Cependant, le Sénat, pour ne rien faire avec témérité dans une cause aussi grave, consulta sur tous ces points les théologiens de Berne, de Zurich, de Bâle et de Schaffhouse. {c} Ceux-ci répondirent tous unanimement que les sentiments de Servet étaient fort injurieux à Dieu. {d} Mais comme, au lieu de condamner ses erreurs, il les soutenait en chargeant ses adversaires d’injures et de calomnies, il fut condamné à la mort. Lorsqu’il fut arrivé au lieu du supplice, il ne voulut point, nonobstant les exhortations de Guillaume Farel, {e} invoquer Jésus-Christ comme le fils éternel de Dieu, ni donner aucun signe de repentance ; mais dans le discours qu’il fit au peuple, il ne dit rien pour justifier la cause pour laquelle il souffrait. La plupart rejetèrent la haine de sa mort sur Calvin ; {f} mais celui-ci ayant exposé dans un ouvrage, qu’il publia, la doctrine de Servet et tout ce qui s’était passé entre eux, {g} il soutint qu’on devait employer le glaive contre les hérétiques. »
- Sans lieu, P. Jacobus Polanus et Antonius Rebulus, 1557, in‑8o de 917 pages ; v. note [2], lettre 474, pour Johann Philippson Sleidan.
- La traduction qui suit est celle de l’Histoire de la Réformation, ou Mémoires de Jean Sleidan sur l’état de la religion et de la République sous l’Empire de Charles Quint, traduits de nouveau en français par Pierre François Le Courrayer, docteur en théologie. Avec des notes (La Haye, Frédéric Staatman, 1767, in‑4o, tome troisième, page 263).
- V. note [3], lettre 616.
- Note de Le Courrayer :
« Il est vrai que les théologiens de Suisse, qui furent consultés, condamnèrent de concert les erreurs de Servet ; mais on ne voit point qu’ils fussent pour le faire mourir, quoique Calvin ait voulu persuader le contraire, parce que lui-même s’était déclaré pour le supplice de cet homme, et avait tâché ensuite de justifier cette procédure. Mais il n’est pas dit un mot dans les lettres des théologiens suisses pour approuver qu’on fît mourir Servet, et tout ce qu’ils souhaitaient est < sic > qu’on prît les meilleurs moyens de l’engager à rétracter ses sentiments. »
- Guillaume Farel (près de Gap 1489-Neuchâtel 1565), théologien français qui fut l’un des promoteurs de la Réforme, avait quitté la France pour la Suisse. Chassé de Bâle en 1524, sur l’opposition d’Érasme, il s’installa à Genève et convainquit Calvin de le rejoindre (v. notule {b}, note [67] du Faux Patiniana II‑7) ; mais après une dispute doctrinale et morale, Calvin chassa Farel de la ville en 1536, lequel partit exercer son ministère à Montbéliard, Metz et Neuchâtel. Il semble donc improbable que Farel soit intervenu pour tenter d’amener Servet à résipiscence en 1553, à Genève.
- Note de Le Courrayer :
« On avait en effet une très juste raison de le faire, puisque ce fut principalement à sa poursuite que Servet fut condamné, et que Calvin fit ensuite l’apologie de cette sentence, en soutenant qu’on devait employer le glaive contre les hérétiques. Cette doctrine peu chrétienne et peu conforme à la raison, et si fort censurée aujourd’hui par les protestants, n’a pas laissé de trouver des apologistes chez eux dans les commencements de la Réformation ; conduite d’autant plus étrange qu’en faisant mourir ceux qu’ils regardaient comme hérétiques, ils autorisaient les catholiques à les traiter ainsi eux-mêmes, puisqu’ils étaient tels à leurs yeux. »
- Déclaration pour maintenir la vraie foi que tiennent tous chrétiens de Trinité des personnes en un seul Dieu. Par Jean Clavin. Contre les erreurs détestables de Michel Servet, Espagnol. Où il est aussi montré qu’il est licite de punir les hérétiques ; et qu’à bon droit, ce méchant a été exécuté par justice en la ville de Genève. {i}
Les arguments théologiques de Calvin contre Servet sont résumés à la fin du livre, avec cette conclusion, aussi catégorique que péremptoire :
« Combien que je n’aie fait qu’un simple récit des erreurs de Servet, sans amener les raisons par lesquelles je les pouvais réprouver, et que d’un abîme infini j’ai tiré seulement quelque peu d’articles, toutefois il y a de l’absurdité si lourde, laquelle se montre de soi-même, que les lecteurs {ii} non seulement en devront être fâchés, mais aussi avoir en détestation un tel monstre. S’il y en a qui ne s’en trouvent point étonnés, malheur sur leur subtilité brutale. » {iii}
- Genève, Jean Crespin, 1554, in‑8o de 356 pages.
- Il était impossible aux lecteurs de s’en faire une libre idée : avec son auteur, Calvin avait livré aux flammes tous les exemplaires qu’on avait pu trouver du traité de Trinitate ; les multiples lacunes qu’on voit sur celui que conserve la Bnf en témoignent pathétiquement ; c’est aussi pourquoi Guy Patin n’avait jamais pu se procurer ce livre.
- Sans grande surprise, Calvin n’a nulle part évoqué la surprenante description de la petite circulation du sang par Servet.
|