À Gilles Ménage, le 20 juillet 1651, note 30.
Note [30]

La diatribe de l’écrivain et historien italien Agostino Mascardi (Sarzana 1590-ibid. 1640) contre le tabac se lit dans le cinquième de ses Ethicæ prolusiones [Préludes éthiques], {a} intitulé De nimio in valetudine curanda studio [Du soin extrême qu’il faut mettre à préserver la santé] (pages 67‑87), avec ce passage des plus expressifs (page 84) :

Ab ea Indiæ parte, quæ solem occidentem excipit, non multis ab hinc annis in Europam herba cum mercibus navigavit. Tabaccum vulgus appellat ab insulæ nomine, illius uberrime feraci. Huiusce igitur graminis, vel ambusti fumus, vel contusi pulvisculus a recte valentibus ad tutelam sanitatis adhibetur. Nasus utriusque curationis non testis modo, sed vias est. Quemadmodum enim Rolandus (Orlandum dicunt), apud nostratem, sed primi nominis poetam furiose delirans, epoto per nares cerebro ad ingenium rediit ; ita qui sanitatem sagaci nare venantur, peregrino vel fumo, vel pulvere nasum vexant, atque ita valetudinem per nasum imbibere se constanter argutantur. Et fumosæ quidem, ac nigræ animæ fistula in os inserta ad lucernam stolide lucubrantes, fumum hauriunt, quem paulo post faucibus regerant, et per nares ejectent. Parum esset si oleum atque operam perderent ; verum tanta totius oris turpitudine fumum efflant, ut mihi videar in Aventino versipellem alieni pectoris abactorem Cacum in spelunca cum Hercule decernentem intueri.

Ille autem (neque enim fuga iam super ulla pericli est)
Faucibus in gentem fumum, mirabile dictu,
Evomit, involvitque domum caligine cæca.

Alii vero pulverem (utique non olympicum) colligentes, parvas ex ebore, vel e peregrino cortice pyxides, argento, auroque vermiculatas ambitiose circumferunt ; ex quibus deprompto pulvisculo nares identidem vellicant, et sternuamentum a cerebo, iniectu pulveris extorquent.

[Il y a peu d’années, une herbe a traversé les mers avec les marchands depuis cette partie de l’Inde où le soleil couchant termine sa course. On l’appelle communément tabacco, d’après le nom de l’île où elle pousse en grande abondance. {b} Des gens en excellente santé, afin de la conserver, emploient donc cette plante, soit en la brûlant pour en faire de la fumée, soit en l’écrasant pour en faire une fine poudre. Dans ces deux manières de faire, le nez n’est pas simplement le dépôt du tabac, mais bien sa voie de pénétration. C’est ainsi qu’en notre pays, Rolandus (qu’on appelle Orlandus), {c} qui délirait furieusement en se croyant un poète de premier renom, revint à la raison après s’être épuisé le cerveau par les narines ; et voilà comme ceux qui sont à l’affût de la bonne santé, avec un flair subtil, se tourmentent le nez avec une fumée ou une poudre étrangère, et expliquent invariablement qu’ils s’imprègnent de salubrité par ce canal. Ces esprits fumeux et noirs passent stupidement leurs nuits auprès de la lampe, une pipe plantée dans la bouche, aspirant une fumée qu’ils s’envoient peu après dans la gorge, puis rejettent par les narines. Ce ne serait pas bien grave s’ils ne faisaient que gaspiller leur huile et leur temps ; {d} mais ils exhalent leur fumée en se gâtant si fort toute la bouche qu’il me semble voir le rusé brigand Cacus en sa grotte de l’Aventin, décidant avec Hercule de qui aura la peau de l’autre.

Ille autem (neque enim fuga iam super ulla pericli)
Faucibus ingentem fumum, mirabile dictu,
Evomit involvitque domum caligine cæca
. {e}

Mais d’autres recueillent la poussière (qui n’a rien d’olympique), {f} ils portent avec eux de petites boîtes en ivoire ou en bois exotique complaisamment incrustées d’argent et d’or ; après en avoir tiré une fine poudre, ils s’en agacent sans cesse le nez, et le jet de poudre provoque un éternuement qui leur vient du cerveau].


  1. Paris, Sébastien Cramoisy, 1639, in‑4o de 240 pages.

  2. L’île de Tobago, au sud des Antilles ; mais une étymologie plus assurée est tabaco, mot que donnaient les Indiens Arawak de ces contrées à la sorte de pipe qu’ils utilisaient pour fumer le tabac.

  3. Roland de Lassus (Orlando di Lasso, Mons 1532-Munich 1594), poète et musicien flamand, considéré comme le plus grand compositeur du xvie s., a vécu en Italie de 1545 à 1555. Il y retourna à plusieurs reprises après s’être établi en Bavière.

  4. Plaute, v. note [12], lettre 139.

  5. « Quant à lui (qui n’a plus d’autre issue au péril), il vomit à plein gosier, ô prodige ! un nuage de fumée et enveloppe sa demeure dans un noir brouillard » (Virgile, Énéide, chant viii, vers 251‑253).

    Brigand mythique, Cacus, fils de Vulcain, habitait les environs du mont Aventin. Il déroba des bœufs à Hercule (v. note [3], lettre de Reiner von Neuhaus, datée du 21 octobre 1663) et les fit entrer dans sa caverne à reculons, afin que les traces de leurs sabots ne permissent pas à leur propriétaire de les retrouver ; mais un d’entre eux s’étant mis à mugir lorsque le reste du troupeau passa, Hercule enfonça la porte de l’antre et assomma Cacus.

  6. Horace, Odes, livre i, i, vers 3‑4 :

    Sunt quos curriculo pulverem Olympicum
    collegisse juvat metaque fervidis
    .

    [Il en est qui ont recueilli la poussière olympique en courant, et la ligne d’arrivée stimule les plus ardents].

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Gilles Ménage, le 20 juillet 1651, note 30.

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(Consulté le 26/04/2024)

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