À Claude II Belin, les 18 et 22 août 1647, note 31.
Note [31]

« et presque sexagénaire. Je lui souhaite encore pourtant les années de Nestor au bénéfice de la république des lettres. »

Nestorei anni [les années de Nestor], c’est-à-dire la longévité de Nestor, était une expression en vogue depuis le xvie s.

Nestor, roi de Pylos (v. note [13], lettre latine 4), le plus vieux des héros de l’armée grecque à Troie, dans Homère (L’Iliade), régna sur trois générations d’hommes.

  • Ovide (Métamorphoses, livre xii, vers 187‑188) lui fait dire :

    .................................... vix
    bis centum, nunc tertia vivitus ætas
    .

    [j’ai vécu deux siècles, et maintenant je vais en vivre un troisième].

    Nestor dut sa longue vie au bienfait d’Apollon (v. note [8], lettre 997) qui voulait transporter sur lui toutes les années dont avaient été privés les enfants de Niobé, frères et sœurs de sa mère, Chloris (Fr. Noël).

  • Martial (Épigrammes, livre ix, xxix, vers 1‑2) :

    Sæcula Nestoreæ permensa, Philæni, senectæ
    rapta es ad infernas tam cito Ditis aquas ?

    [Après avoir, comme Nestor, vécu des siècles, te voilà donc entraînée, Philénis, à toute allure vers les eaux infernales de Pluton ?]

  • Juvénal (Satire xii, vers 128) :

    Vivat Pacuvius quæso vel Nestora totum.

    [Que Pacuvius vive, je le demande, qu’il vive toute la vie de Nestor].

Nestorea senecta [La Vieillesse de Nestor] est un adage d’Érasme (no 566), mais sa Folie dit beaucoup plus cruellement au sujet des hommes (L’Éloge de la Folie, xxxi) :

Ipsa iam dudum eos relinquit vita, quoque minus sit causae, cur in vita manere debeant, hoc magis iuvet vivere, tantum abest, ut ullo vitæ tædio tangantur. Mei nimirum muneris est, quod passim Nestorea senecta senes videtis, quibus iam ne species quidem hominis superest, balbos, deliros, edentulos, canos, calvos, vel ut magis Aristophanicis eos describam verbis, ρυπωντας, κυφους, αθλιους, ρυσους, μαδοωντας, νωδους και ψολους, usque adeo vita delectari, adeoque νεανιζειν, ut alius tingat canos, alius apposititia coma calvitium dissimulet, alius dentibus utatur mutuo fortassis a se quopiam sumptis, hic puellam aliquam misere depereat, et amatoriis ineptiis quemvis etiam superet adolescentulum. Nam ut capulares iam, meraque silicernia, teneram aliquam iuvenculam ducant uxorem, eamque et indotatam, et aliis usui futuram, id adeo frequens, ut propemodum et laudi detur. Sed multo etiam suavius, si quis animadvertat anus, longo iam senio mortuas, adeoque cadaverosas, ut ab inferis redisse videri possint, tamen illud semper in ore habere, φως αγαθον, adhuc catullire, atque, ut Græci dicere solent, καπρουν et magna mercede conductum aliquem Phaonem inducere, fucis assidue vuItum oblinere, nusquam a speculo discedere, infimæ pubis silvam vellere, vietas ac putres ostentare mammas, tremuloque gannitu languentem sollicitare cupidinem, potitare, misceri puellarum choris, litterulas amatorias scribere. Ridentur hæc ab omnibus, tamquam uti sunt, stultissima : at ipsæ sibi placent, et in summis interim versantur delitiis, totasque sese melle perungunt, meo videlicet beneficio felices.

[La vie ne les ennuie nullement. Moins ils ont de motifs d’y tenir, plus ils s’y cramponnent. Ce sont mes clients, ces vieux qui ont atteint l’âge de Nestor et perdu toute forme humaine, et qu’on voit balbutiant, radotant, les dents cassées, le cheveu blanchi ou absent, ou, pour les mieux peindre avec les mots d’Aristophane, {a} malpropres, voûtés, ridés, chauves et édentés, sans menton, s’acharner à la vie. Aussi se rajeunissent-ils, l’un en se teignant les cheveux, l’autre en portant perruque, celui-ci par de fausses dents peut-être prises à un cochon, celui-ci en s’amourachant d’une pucelle et en faisant pour elle plus de folies qu’un tout jeune homme. Tel moribond, près de rejoindre les ombres, épouse sans dot un jeune tendron, qui fera l’affaire des voisins ; le cas est fréquent et ma foi, l’on s’en fait gloire. Mais le plus charmant est de voir des vieilles, si vieilles et cadavéreuses qu’on les croirait de retour des enfers, répéter constamment : “ La vie est belle ! ” Elles sont chaudes comme des chiennes ou, comme disent volontiers les Grecs, sentent le bouc. Elles séduisent à prix d’or quelque jeune Phaon, {b} se fardent sans relâche, ont toujours le miroir à la main, s’épilent à l’endroit secret, étalent des mamelles flasques et flétries, sollicitent d’une plainte chevrotante un désir qui languit, veulent boire, danser parmi les jeunes filles, écrire des billets doux. Chacun se moque et les dit ce qu’elles sont, archifolles. En attendant, elles sont contentes d’elles, se repaissent de mille délices, goûtent toutes les douceurs et, par moi, sont heureuses]. {c}


  1. Plutus (v. note [6], lettre 952).

  2. « Phaon de Mityléne, dans l’île de Lesbos, était un fort bel homme qui se fit aimer du sexe. La célèbre Sapho le trouva si insensible qu’elle s’en désespéra, et courut sur la montagne de Leucade, d’où elle se précipita dans la mer » (Trévoux).

  3. Traduction de Pierre de Nolhac (1927).

Imprimer cette note
Citer cette note
x
Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, les 18 et 22 août 1647, note 31.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0146&cln=31

(Consulté le 28/03/2024)

Licence Creative Commons