Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 2, note 34.
Note [34]

V. supra notule {a} note [33] (deuxième des trois fragments extraits de Giovanni Vittorio Rossi), pour une autre description du comportement ambigu (caressant) de Carlo Ferrante avec les beaux messieurs qu’il rencontrait.

Le dernier poème des Epigrammatum libri duo [Deux livres d’épigrammes] de Gabriel Naudé (Paris, 1650, v. note [14], lettre 240) est intitulé In Obitum Ferrantis Caroli [Sur la mort de Carlo Ferrante] (pages 62‑64) :

Carlus Romanæ nuper notissimus Aulæ
Ereptus nostris heu fugit ex oculis ;
Et fugiunt veneres pariter, lususque petulci,
Quos bibula cuncti cepimus auricula :
Maxima nempe mihi perierunt gaudia, vitam
Abstulit heu Carlo cum fera Parca meo.
Namque ego nunc memini, quoties mihi talia dixit
Verba, meæ fidus cultor amicitiæ,
Quo properas Naudæe, pedem vis sistere, mene
Principibus credis non placuisse viris ?

Cricquius ista tibi non dixit, qui mea sæpe
Magnis de rebus pectora consuluit.
Nempe meas tabulas quas Numum millibus emi
Centenis, voluit non semel aspicere ;
Sed populum tali fallendum censuit arte,
Ne mea dicta suis laudibus officerent.
Quin etiam Germanus avet mihi subdere colla,
Facta meis quondam libera consiliis.
Nec moror Hispanos, triplici aut diademate cinctum
Urbanum, et Paulum, Gregoriumque simul.
Quin monitis crevit Romana potentia nostris,
Et Venetos per me clara supervehitur.

Scioppius ista tamen non credit, Lurco nefandus,
Moribus impurus, turpior ingenio ;
Me quoque
Berninus dictis transfigit amaris
Et solis gratum prædicat Antinois :
Atque istis succensa lubens fax aulica ventis,
In mea stercoreis vocibus acta ruunt.
Sed teneras prima nondum lanugine malas
Vestieram, Scioppius quod mihi nullus erat,
Ipsum humilem, vili populo nugasque loquentem,
Turba molendini dixerit esse deum :
At mea suspensos proceres, Regesque trahebant,
Apta cothurnatis grandia dicta modis :
Nunc igitur divis, cum sim vicinior annis,
Me quoque divino quis neget ingenio ?
Centum ego sermones lectis componere verbis,
Et potui fama cum Cicerone frui.
Æmula quid referam tenero bis mille Catullo
Carmina, divinis emodulata sonis ?
Petri templa novis subvertat molibus audax

Berninus, calamo stant tamen illa meo.
Denique consiliis Reges se tradere nostris
Fama refert, factis sic licet illa minor.
Mene igitur Fungum, aut Bliteum, Naudæe, putasti,
Bernini, ut nequeam cernere flagitia ?
Ille laboratum gemina testudine templum,
Quo nihil immensus pulchrius orbis habet,
Tam male tractavit, laxa compage ruinam
Undique terribilem, quod pia saxa trahunt.
Iam licet obliquo fixas pede ferre columnas,
Fractaque Longino vulnera despicere ;
Nam metuenda magis nunc porticus alta minatur,
Et medium findens maxima rima tholum.
Flagitio mihi crede novo sed pœna paratur,
Cui par tormento crux nequit esse suo ;
Mortua
Bernini rabido nam membra dabuntur,
Ut Canis extincti dilaceranda Lupo.
Talia composito referebat pectore Carlus,
Sint licet exigua somnia digna fide :
Nam Scioppi pietas nulli non cognita seclo
Vivet, et eloquio est gloria certa suo.
Par quoque Vitruvio centum subnixa columnis
Ponere Berninus templa dicata Deo.
Denique non Carlo studiis dare tempus amœnis
Nobile cum vellet, defuit ingenium ;
Sed mens plena sui convicia ferre negabat,
Præcipue famam cum sibi detraherent.
Hinc dotes laudare suas, atque æmula fœdis
Nomina ludus erat spargere criminibus ;
Quæ nusquam cum vera forent, nec ista decenter,
Hæc mihi erant summæ iurgia lætitiæ.
At mors sæva meo potuisses parcere Carlo
Nec finem blandis ponere deliciis,
Invida sed postquam rapuisti gaudia nostra,
Fac precor ut tumulo molliter ossa cubent
.

[Naguère très célèbre à la cour de Rome, Carlo s’en est allé, hélas arraché à nos regards. S’en sont pareillement allés ses charmes et ses mordants badinages, dont nous avons tous abreuvé nos oreilles assoiffées. D’immenses délices m’ont quitté quand la cruelle Parque {a} a ôté la vie à mon cher Carlo. Je me souviens maintenant de ces maintes occasions où, fidèle adorateur de mon amitié, il m’a tenu ces propos :

« Où cours-tu donc, Naudé ? Veuille interrompre ta marche ! Ne me crois-tu pas capable de charmer les princes ? Créqui {b} ne t’en a pas dit autant, lui qui a souvent recueilli mon sentiment sur les grandes affaires : plus d’une fois il a bien voulu jeter un regard sur mes tableaux que j’ai achetés des millions ; {c} mais c’était une façon de tromper le monde, pour que mes avis ne fissent pas obstacle à la gloire qu’il en tirait. Qui pis est ! un Allemand souhaite me faire rendre raison de décisions qu’il a jadis librement prises sur mes conseils. Je ne te parle pas des Espagnols, ni de la tiare qu’on a posée sur les têtes d’Urbain de Paul et de Grégoire. {d} La puissance de Rome s’est accrue sur mes conseils et, grâce à moi, la voilà qui surpasse en éclat celle de Venise. Scioppius ne veut rien en croire, c’est un abominable glouton aux mœurs impures, rendu plus ignoble encore par son intelligence. Bernin me transperce aussi d’amères paroles et proclame ne chérir que de jeunes éphèbes, et par la torche courtisane qu’ils ont attisée de leurs souffles, leurs mots orduriers s’attaquent à ce que j’ai fait. Je n’avais pas trois poils au menton que, déjà, Scioppius n’était rien pour moi : c’était un médiocre qui racontait des sornettes au bas peuple, et la foule des ânes qui vont au moulin le disait être un dieu ; mais mes sublimes discours, composés à la manière des tragiques, subjuguaient déjà les puissants et les rois. Et maintenant que les années m’ont rapproché des dieux, qui nierait la sublimité de mon génie ? J’ai pu composer cent discours de première qualité et jouir d’une réputation égale à celle de Cicéron. Pourquoi mes deux mille poèmes, admirablement scandés, ne rivaliseraient-ils pas avec ceux du délicat Catulle ? Que Bernin, par d’imposants travaux, défigure hardiment les églises de saint Pierre, ma plume les arrête. Ne m’as-tu pas tenu, Naudé, pour méprisable ou imbécile quand je refusais d’admettre les horreurs qu’il commettait ? C’est lui qui a travaillé sur la basilique à double coupole, que rien n’égale en beauté par toute l’immensité du monde, mais il s’y est si mal pris qu’il a disjoint les pierres sacrées de ce vaste édifice qui s’en est trouvé menacé de terrible ruine ; ce qui laisse aujourd’hui contempler avec dédain les bandes de fer qu’il a fixées au pied des colonnes et l’entaille qu’y a creusée son Longin ; mais le voilà maintenant qui menace de bien pire avec un baldaquin qui ouvrira une immense crevasse au milieu du chœur. {e} Crois-moi quand je dis qu’il se prépare à être châtié pour cette nouvelle infamie, et son supplice n’aura rien à envier à la croix, car les membres morts de Bernin seront livrés à la fureur, et un loup déchiquettera les restes de ce chien. »

Carlo racontait ces choses qui lui sortaient du fond du cœur, elles sont dignes de foi, bien que ce ne soient que quelques-unes de ses extravagances : sans égal en notre siècle, l’honneur de Scioppius lui survivra, son éloquence lui assure la gloire ; pareil aussi à Vitruve, {f} appuyé sur cent colonnes, Bernin édifie des temples dédiés à Dieu. Et somme toute, Carlo n’a pas non plus manqué de génie : comme il le voulait, il a noblement consacré son temps à d’agréables études ; mais étant fort imbu de lui-même, il ne voulait pas supporter les invectives, surtout quand elles flétrissaient son renom. Voilà pourquoi il a lui-même loué ses mérites et s’est plu à répandre de hideuses accusations contre ceux de ses rivaux. Puisque je ne les tiendrai jamais pour vraies ni pour convenables, elles n’étaient pour moi que de bruyantes manifestations d’allégresse. Ô cruelle mort, que n’as-tu pu épargner mon cher Carlo, en n’imposant pas un terme à ses séduisants caprices ! Tu l’as jalousé, mais après avoir emporté notre joie de vivre, fais, je t’en prie, que ses os reposent paisiblement en sa tombe].



  1. V. note [31], lettre 216, pour la Parque Atropos qui personnifiait la mort en coupant le fil de la vie.

  2. V. note [13], lettre 39, pour Charles ier de Créqui, maréchal de France, et ambassadeur du roi à Rome en 1633.

  3. V. notule {a‑viii}, note [33] supra.

  4. Les papes Paul v (élu en 1605), Grégoire xv (1621) et Urbain viii (1623).

  5. Le dôme de Saint-Pierre, bâti par Michel-Ange au xvie s. (v. note [64] du Naudæana 1), se fendit en plusieurs endroits et faillit s’écrouler lors d’audacieux travaux, dirigés au siècle suivant par le cavalier Bernin (v. note [2], lettre 843) : ils visaient à creuser des niches dans ses quatre énormes piliers pour y loger de gigantesques statues, dont celle de saint Longin (centurion romain qui perça le flanc du Christ sur la croix), sculptée par Bernin lui-même. Il couronna son ouvrage par l’édification du célèbre baldaquin central à colonnes torsadées, achevé en 1633. Plus tard (1658-1667), il construisit la colonnade de la place Saint-Pierre.

  6. V. note [6] du Faux Patiniana II‑1.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 2, note 34.

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(Consulté le 19/04/2024)

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