Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑2 (1701), note 35.
Note [35]

Cette note serait restée vide sans la précieuse indication fournie par le manuscrit (page 34) :

Vid. Delrio in Disquisit. Magicis in‑fo pag. 36.

[Voyez les Disquisitiones Magicæ, in‑fo, de Delrio, page 36].

Cette référence correspond à la page 61 (édition de Mayence, 1603) des six livres des « Recherches sur la magie » de Martin Anton Delrio. {a} Antonio Bragadin (Bragadino) y sort de l’ombre dans le livre i, De Magia in genere, et de Naturali ac Artificiosa in specie [La Magie en général, et en particulier de la naturelle et de l’artificielle], chapitre v, Ars aurifactoria, quam Alchimiam nuncupant, ad quam magiæ speciem sit referanda ? [À quelle espèce de magie doit-on référer l’art de fabriquer l’or, qu’on appelle alchimie ?], question i, An Chrysopœia habenda ex numero artium ingenuarum, an mechanicis annumeranda ? [La fabrication de l’or doit-elle être sortie des arts libéraux, pour être rangée parmi les arts mécaniques ?], section iiii An aliqua narratione constet aurum hac arte factum ? [Existe-t-il une relation prouvant que cet art a effectivement fabriqué de l’or ?] (passage omis dans la traduction française abrégée de 1611) :

Nullum adversarii fortius telum intorquent, quam ab experientia, inquiunt, nullus hactenus effectum consecutus ? cur omnes oleum et operam perdidere ? nonne moraliter hinc colligimus id esse impossibilibus annumerandum ? 1. {b} quia, quæcumque adferuntur experientiæ, nituntur testimoniis ipsorum chymicorum, quibus minime credendum : tum quod in causa propria, tum quod mendicitas et paupertas fidem detrahat, tum quod spe fascinati et imaginationis vehementi apprehensione, putant esse aurum, quod non est, ut ait pontifex Ioannes 22. 2. quia possunt esse operationes, vel fraudulenti et deceptoriæ, ut fuit Bragadini Veneti Alchimi : qui in Bavaria supplicio affectus anno 1501. {c} coram omnibus imposturam suam confessus fuit : se ex auri ramentis pulveribusque quos mixtos carbonario pulveri habebat, aurum suum liquasse. Quare cavendum ne lectorem decipiat deceptus ipse Villamontius, pertinaciter defendens, veram fuisse et sinceream Anton. Bragadini Chrysopeiam : cum enim illa scriberet, nondum dies fraudem huius Kyprii plane aperuerat. Vide quæ de illo Villamontius intinerarii lib. 3. cap. 28. vel possunt esse prodigiosæ, dæmone faciente. 3. quia hanc artem nemo unquam calluit : quod patet, eo quod nemo se unquam dixit ultimum eius effectum consecutum : nemo etiam verbis vel scriptis eam alios docere potuit.

[Les ennemis {d} ne brandissent aucune arme fort puissante en demandant : < 1 > une expérience a-t-elle jamais été suivie d’effet ? < 2 > pourquoi ont-ils tous perdu leur temps et leur huile ? {e} < 3 > en toute bonne morale, ne devons-nous donc pas compter cela parmi les faits impossibles ? 1. Quoi que rapportent les expériences, elles s’appuient sur les propres témoignages des chimistes, mais ils sont peu crédibles parce que : d’une part, leur partialité en faveur de leur cause, liée à leur indigence et à leur pauvreté, leur ôte toute solidité ; d’autre part, comme a dit le pape Jean xxii, {f} leur espérance de détenir un pouvoir surnaturel et la puissante emprise de leur imagination les conduisent à prendre pour de l’or ce qui n’en est pas. 2. Ils peuvent opérer pour tromper et duper, comme fit Bragadin, alchimiste de Venise : soumis à la torture, en Bavière, l’an 1591, {g} il a publiquement avoué son imposture ; il avait fondu son or en mêlant des paillettes à de la poudre de charbon. Là-dessus, le lecteur doit prendre garde de se laisser abuser par Villamont, qui s’y est lui-même laissé attraper quand il a défendu avec obstination que la chrysopée {h} d’Ant. Bragadin était authentique et sincère ; quand il écrivait, la fraude du Chypriote n’avait pourtant pas encore été pleinement mise au jour. Voyez ce qu’en dit Villamont dans ses Voyages, livre 3, chapitre 28, {i} mais quand intervient le démon, des prodiges peuvent survenir. 3. Nul n’ayant jamais entièrement maîtrisé cet art, puisque nul n’a jamais clairement dit être parvenu à son ultime accomplissement, personne ne peut l’enseigner aux autres, que ce soit par écrit ou par oral].


  1. V. note [54], lettre 97.

  2. J’ai numéroté les arguments de Delrio pour les ajuster sur les trois questions posées au début de l’extrait.

  3. Sic pour 1591 (édition de 1604, page 62)

  4. Les contradicteurs de l’alchimie.

  5. Perdre son huile, c’est travailler inutilement le soir à la lueur de la lampe.

  6. Le dominicain français Jacques Duèze (1244-1334), élu pape en 1316 sous le nom de Jean xxii, a émis en 1326 une bulle condamnant la sorcellerie.

  7. Guillaume v von Wittelsbach (1548-1626), dit le Pieux, a été duc électeur de Bavière de 1579 à 1597.

  8. Fabrication d’or à l’aide de la pierre philosophale.

  9. Les curieux peuvent lire en entier le chapitre xviii (et non 28), Histoire notable d’Antonio Bragadino qui a trouvé la pierre philosophale dans le 3e livre des Voyages du Seigneur de Villamont, {i} chevalier de l’Ordre de Jérusalem, gentilhomme du pays de Bretagne. Divisés en trois livres {ii}, dont cet extrait décrit notre alchimste (pages 290 vo‑294 vo) :

    « Celui duquel je parle est un gentilhomme, natif du royaume de Chypre, nommé Antonio Bragadino, vulgairement dit Bragadin, âgé d’environ quarante ou quarante-cinq ans, homme noir et de basse stature, vaillant et prompt en toutes ses actions, et qui a bien étudié ès {iii} langues grecque, arabesque, latine et italienne. C’estuy {iv} étant au royaume de Chypre en l’an mil cinq cent septante, lorsque le Grand Turc, avec une armée de trois cent mille hommes, le conquit sur les Vénitiens, {v} se montra si vaillant et courageux à la défense de sa patrie que les Vénitiens, après la perte de leur royaume, le menèrent à Venise, où ils lui départirent quelque office de la chose publique afin de lui donner moyen de vivre. Mais peu de temps après, advint qu’étant atteint et convaincu d’un homicide, fut par la Seigneurie banni perpétuellement de leur État. Lui, se voyant ainsi confiné en exil, se retira en un lieu fort solitaire, où il passa quelques années à étudier la philosophie ; puis, sortant de ce pays, passa en France, retourna en Italie, suivit les cours de divers princes. Finalement, se vint retirer entre les terres du duc de Mantoue, et celles des Vénitiens ; où étant, passa encore un an à chercher la pierre philosophale. Quelques-uns m’ont dit, étant à Venise et à Mantoue, qu’il s’était accosté d’une manière d’ermite qui se tenait au dit lieu, lequel avait la réputation de souffler comme les autres, mais non d’avoir atteint la perfection que tant de milliers d’hommes ont désiré avoir ; toutefois, on croit maintenant qu’il l’avait acquise et qu’à sa mort, il déclara son secret tant caché à ce gentilhomme chyprien qui était jà parvenu à quelque haut degré de cette admirable science. » {vi}

    1. Jacques de Villamont (1558-1628 ?).

    2. Paris, Claude de Monstr’œil et Jean Richer, 1595, in‑8o de 623 pages.

    3. « dans les ».

    4. « Celui-ci ».

    5. V. note [37] du Naudæana 3, pour le siège et la prise de Chypre en 1571, défendue par le général Marcantonio Bragadin, auquel Antonio Bragadin pouvait être apparenté (à moins qu’il ne s’agît d’un imposteur).

    6. Le récit de Villamont détaille ensuite les aventures de Bragadin, sans mettre en doute ses talents et en s’arrêtant avant son séjour fatal en Bavière.

Imprimer cette note
Citer cette note
x
Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑2 (1701), note 35.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8197&cln=35

(Consulté le 28/03/2024)

Licence Creative Commons