Phédon d’Élis était un intime ami de Socrate qui, d’esclave, avait fait de lui un philosophe. Phédon est le titre du dialogue de Platon où Phédon raconte le dernier jour de la vie de Socrate. Il n’y est pas question de ciguë, mais seulement de « poison » (pharmakon), avec peu de détails sur ses effets.
- Chapitre viii :
« – Ce que je veux dire, Socrate, dit Criton, {a} c’est tout simplement ce que me répète depuis un bon moment celui qui doit te donner le poison, de t’avertir qu’il faut causer le moins possible. Il prétend qu’on s’échauffe trop à causer et qu’il faut se garder de cela quand on prend le poison ; qu’autrement, on est parfois forcé d’en prendre deux ou trois potions, si l’on s’échauffe ainsi. – Laisse-le dire, répondit Socrate ; il n’a qu’à préparer sa drogue de manière à pouvoir m’en donner deux fois et même trois fois, s’il le faut. – Je me doutais bien de ta réponse, dit Criton ; mais il n’a pas cessé de me tracasser. »
- Chapitre lxvi :
« À ces mots, Criton fit signe à son esclave, qui se tenait près de lui. L’esclave sortit et, après être resté un bon moment, rentra avec celui qui devait donner le poison, qu’il portait tout broyé dans une coupe. En voyant cet homme, Socrate dit : “ Eh bien, mon brave, comme tu es au courant de ces choses, dis-moi ce que j’ai à faire. – Pas autre chose, répondit-il, que de te promener, quand tu auras bu, jusqu’à ce que tu sentes tes jambes s’alourdir, et alors de te coucher ; le poison agira ainsi de lui-même. ” En même temps il lui tendit la coupe. Socrate la prit avec une sérénité parfaite, sans trembler, sans changer de couleur ni de visage ; mais regardant l’homme en dessous de ce regard de taureau qui lui était habituel : “ Que dirais-tu, demanda-t-il, si je versais un peu de ce breuvage en libation à quelque dieu ? Est-ce permis ou non ? – Nous n’en broyons, Socrate, dit l’homme, que juste ce qu’il en faut boire. – J’entends, dit-il. Mais on peut du moins et l’on doit même prier les dieux pour qu’ils favorisent le passage de ce monde à l’autre ; c’est ce que je leur demande moi-même et puissent-ils m’exaucer ! ” Tout en disant cela, il portait la coupe à ses lèvres, et il la vida jusqu’à la dernière goutte avec une aisance et un calme parfaits.
Jusque-là nous avions eu presque tous assez de force pour retenir nos larmes ; mais en le voyant boire, et quand il eut bu, nous n’en fûmes plus les maîtres. Moi-même, j’eus beau me contraindre ; mes larmes s’échappèrent à flots ; alors je me voilai la tête et je pleurai sur moi-même ; car ce n’était pas son malheur, mais le mien que je déplorais, en songeant de quel ami j’étais privé. Avant moi déjà, Criton n’avait pu contenir ses larmes et il s’était levé de sa place. Pour Apollodore, qui déjà auparavant n’avait pas un instant cessé de pleurer, il se mit alors à hurler et ses pleurs et ses plaintes fendirent le cœur à tous les assistants, excepté Socrate lui-même. “ Que faites-vous là, s’écria-t-il, étranges amis ? Si j’ai renvoyé les femmes, c’était surtout pour éviter ces lamentations déplacées ; car j’ai toujours entendu dire qu’il fallait mourir sur des paroles de bon augure. Soyez donc calmes et fermes. ” En entendant ces reproches, nous rougîmes et nous retînmes de pleurer.
Quant à lui, après avoir marché, il dit que ses jambes s’alourdissaient et il se coucha sur le dos, comme l’homme le lui avait recommandé. Celui qui lui avait donné le poison, le tâtant de la main, examinait de temps à autre ses pieds et ses jambes ; ensuite, lui ayant fortement pincé le pied, il lui demanda s’il sentait quelque chose. Socrate répondit que non. Il lui pinça ensuite le bas des jambes et, portant les mains plus haut, il nous faisait voir ainsi que le corps se glaçait et se raidissait. Et le touchant encore, il déclara que, quand le froid aurait gagné le cœur, Socrate s’en irait. Déjà, la région du bas-ventre était à peu près refroidie, lorsque, levant son voile, car il s’était voilé la tête, Socrate dit, et ce fut sa dernière parole : “ Criton, nous devons un coq à Asclépios ; {b} payez-le, ne l’oubliez pas. – Oui, ce sera fait, dit Criton, mais vois si tu as quelque autre chose à nous dire. ” À cette question il ne répondit plus ; mais quelques instants après il eut un sursaut. L’homme le découvrit : il avait les yeux fixes. En voyant cela, Criton lui ferma la bouche et les yeux. »
- Philosophe athénien, ami d’enfance de Socrate.
- V. note [12], lettre 698.
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