Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 3, note 36.
Note [36]

Julien dit l’Apostat, empereur romain de 361 à 363 (v. note [15], lettre 300) est le sujet des deux longues dissertations que citait Gabriel Naudé :

  • Montaigne, au chapitre xix, De la liberté de conscience, livre ii de ses Essais ;

  • François i de La Mothe Le Vayer (v. note [14], lettre 172), au chapitre De Julien l’Apostat dans la seconde partie (pages 319‑367) De la Vertu des païens (Paris, François Targa, 1642, in‑4o de 274 pages).

Partant à peu près des mêmes sources historiques, ils décrivent en grand détail les deux faces de l’empereur : d’un côté, ses vertus morales, politiques et militaires qui lui ont valu les louanges des historiens païens ; de l’autre, son combat contre les chrétiens, qu’il avait abandonnés pour rétablir le polythéisme antique et s’acharner à bloquer les progrès de la nouvelle religion dans l’Empire, ce qui a mené les historiens chrétiens (les Pères de l’Église) à lui donner le prénom d’Apostat, et à en faire un objet d’effroi et de haine pour la postérité. La subjectivité des références anime la discussion des deux écrivains français, mais leurs conclusions adoptent des éclairages différents.

  • Pour Montaigne, qui a rédigé ses Essais entre 1572 et 1592, dans la furie des guerres de religion, où le fanatisme était en constant conflit avec la tolérance :

    « […] l’empereur Julien se sert, pour attiser le trouble de la dissension civile, {a} de cette même recette de liberté de conscience que nos rois viennent d’employer pour l’éteindre. {b} On peut dire, d’un côté, que de lâcher la bride aux parts {c} d’entretenir leur opinion, c’est épandre et semer la division ; c’est prêter quasi la main à l’augmenter, n’y ayant aucune barrière ni coercition des lois qui bride et empêche sa course. Mais, d’autre côté, on dirait aussi que de lâcher la bride aux parts d’entretenir leur opinion, c’est les amollir et les relâcher par la facilité et par l’aisance, et que c’est émousser l’aiguillon qui s’affine par la rareté, la nouvelleté et la difficulté. Et si, crois mieux, pour l’honneur de la dévotion de nos rois, c’est que, n’ayant pu ce qu’ils voulaient, ils ont fait semblant de vouloir ce qu’ils pouvaient. »


    1. En montant les hérétiques et les idolâtres contre les premiers chrétiens.

    2. Entre protestants et catholiques français du xvie s.

    3. Partis opposés.

  • Écrivant un demi-siècle plus tard, bien après l’édit de Nantes (1598), qui avait instauré la tolérance réciproque des deux religions, La Mothe Le Vayer se montre moins politiquement subtil (pages 303‑304) :

    « Pour le surplus, je persiste en mon opinion que, comme on ne saurait trop détester les crimes de Julien, et surtout sa désertion lorsqu’il a manqué de foi à son créateur, rien n’empêche aussi que nous ne reconnaissions franchement les vertus qui lui sont attribuées, quoiqu’inférieures de beaucoup à sa malice. La doctrine des mœurs souffre qu’on considère le bien et le mal dans un même sujet. Et si une pierre précieuse ne perd rien de son prix pour être tombée entre les mains d’un voleur, la vertu a ce privilège de se faire admirer en quelque lieu qu’elle soit, et d’être vertu même sur le front d’un apostat, encore qu’elle n’y reluise que pour éclairer sa condamnation. Il n’est pas d’ailleurs inutile de faire voir, par son exemple, aux autres potentats de la terre que quelque don de nature que Dieu leur accorde, et quelque vertu qu’ils puissent acquérir pendant leur vie, s’ils quittent ses autels et s’ils ne le servent avec une véritable piété, leur mémoire ne laissera pas d’être abominable à perpétuité. »

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 3, note 36.

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(Consulté le 29/03/2024)

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