Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 10 manuscrit, note 36.
Note [36]

« Ce n’est pourtant, dit-on, qu’une fausse rumeur. »

Le prolifique et érudit Pierre-Victor Palma-Cayet (1525-1610), professeur d’hébreu au Collège de France (reçu en 1596), a détaillé cette affaire dans sa :

Chronologie septénaire de l’histoire de la paix entre les rois de France et d’Espagne. Contenant les choses plus mémorables advenues en France, Espagne, Allemagne, Italie, Angleterre, Écosse, Flandres, Hongrie, Pologne, Suède, Transylvanie, et autres endroits de l’Europe, avec le succès de plusieurs navigations faites aux Indes Orientales, Occidentales et Septentrionales, depuis le commencement de l’an 1598 jusque à la fin de l’an 1604. Divisée en sept livres. {a}


  1. Paris, Jean Richer, 1605, 2 tomes in‑8o.

Son récit est intitulé Nicolas Loste, la trahison pour laquelle il fut tiré à quatre chevaux après sa mort (livre vii, année 1604, tome 2, pages 464 vo‑466 ro) :

« Il n’y a rien de plus détestable que de trahir son bienfaiteur, son prince et sa patrie ; ni chose plus sujette à être trompée que la prudence humaine. Le roi très-chrétien étant à Fontainebleau pour y passer les fêtes de Pâques fut averti par le sieur de Barrault, {a} son ambassadeur en Espagne, que toutes les délibérations les plus secrètes qui se passaient en son Conseil étaient incontinent écrites au roi d’Espagne par un commis du sieur de Villeroy, secrétaire d’État, nommé Loste, et natif d’Orléans. {b}

[…] Le roi mande le Sr de Villeroy, qui était en sa belle maison de Conflans, et lui enjoint d’amener quant et lui {c} tous ses commis, et surtout Loste. À ce mandement, le sieur de Villeroy se rend le lendemain à Fontainebleau, menant Loste quant et lui, duquel il ne se défait nullement, n’ayant été averti de la trahison. Il va saluer le roi, qui lui demanda : “ Avez-vous amené Loste quant et vous. ” Villeroy répond : “ Sire, il est venu avec moi. ” “ Faites-le moi venir ”, dit le roi : Vileroy envoie incontinent un des siens pour l’appeler, qui lui rapporta que Loste étant descendu de cheval, deux courriers espagnols avaient parlé à lui quelque temps, et que tout aussitôt il était rentré en l’écurie, avait fait rebrider son cheval et était parti en diligence. Ce qu’étant rapporté à Sa Majesté, elle en fut fort fâchée ; puis communiqua au sieur de Villeroy les trahisons de Loste. Soudain, l’on fit monter tous les commis du dit sieur de Villeroy à cheval pour chercher Loste de tous côtés, avec défense à toutes les postes de France de bailler aucuns chevaux pour courre la poste ; {d} mais Loste prit le chemin de Paris où, après avoir été deux jours, il se déguisa, et en partit à pied avec un Espagnol, allant ainsi tous deux par chemins à la traverse, de village en village.

Arrivés à Meaux, ils prennent la poste. Le maître de la poste en avertit le prévôt des maréchaux de la faute qu’avaient faite ses gens, en son absence, de bailler à courre. {e} Le prévôt et les siens montent à cheval, nonobstant l’obscurité de la nuit : à la physionomie que l’on leur avait dépeinte et aux façons de faire que l’on leur avait représentées, ils croient que c’était Loste, qui leur avait été recommandé. Ils se diligentent, mais ne les ayant pu attraper à la première poste, ils poussent outre jusques à la seconde, où il fallait passer un bac. À ce passage, le batelier fut long, ce qui donna moyen au prévôt des maréchaux de les atteindre.

De loin qu’ils approchent, ils entendent le bac où passait Loste et son compagnon, comme l’on entend de nuit plus que de jour. Le prévôt commença à crier : “ Batelier, ne passe pas, sur peine de ta vie. Si tu passes, tu seras pendu. Retourne ! ” Ce qu’entendu par Loste et l’Espagnol, ils crurent qu’ils étaient découverts. L’Espagnol tire son épée et dit au batelier qu’il le tuerait s’il ne les passait. Loste, tout tremblant, tirait la corde du bac, disant : “ Je suis mort, je suis mort ! ”, et ce par plusieurs fois ; ce qu’entendu par le prévôt, qui était arrivé au bord de l’eau, il commence avec les siens à crier derechef, et faire les mêmes défenses au batelier.

Loste et l’Espagnol furent si épouvantés qu’au sortir du bac, ils quittèrent leurs chevaux et, rebroussant chemin le long de l’eau, ne songèrent plus qu’à se sauver à pied. […] Le prévôt donne jusques au village prochain et fait sonner le tocsin pour avertir tous les paysans. À ce bruit, tous les villages voisins sont avertis ; et ayant envoyé quelques-uns des siens sur tous les chemins, avec les paysans, il se fait conduire le long de l’eau. Les pourchassés entendant qu’ils étaient suivis, se séparent. Loste voyant des têtes de saules, à cause de l’obscurité de la nuit pensant que ce fût une île, va pour s’y sauver, mais il trouva incontinent de l’eau jusqu’au-dessus du nombril. Il embrassa le premier saule. L’appréhension et la peur qu’il eut en entendant passer le prévôt lui fit lâcher la prise de ce saule ; et ainsi tombant dans l’eau, se noya au lieu même où le lendemain il fut trouvé. L’on fut en quête toute la nuit ; tous les paysans furent mis en sentinelles partout. L’espagnol, le lendemain, fut trouvé à deux lieues de là, caché dans un grenier à foin. Pris et enquêté où était Loste, fut acconduit au lieu où il l’avait laissé, et où il fut trouvé mort près d’une saulaie qui était dans l’eau. Il fut amené mort à Paris et mené au grand Châtelet, où chacun le vit deux jours durant, puis gardé au cimetière Saint-Innocent quelque temps pendant que l’on ferait le procès à son corps mort ; ce qu’étant fait, par arrêt de la Cour, il fut exécuté et tiré à quatre chevaux. {f}

[…] l’Espagnol qui fut pris avec lui, ayant été quelque temps prisonnier, fut mis en liberté, d’autant qu’il n’avait fait que le service de son maître car, dès que le roi d’Espagne sut que l’affaire était découverte en son Conseil, envoya deux courriers pour avertir Loste, lesquels ne purent parler à lui qu’à son arrivée à Fontainebleau, dont cet Espagnol était l’un. »


  1. Émery Jobert de Barrault avait récemment remplacé Antoine de Silly, comte de La Rochepot, au poste d’ambassadeur de France en Espagne.

  2. La réédition du Septénaire de Palma-Cayet (Paris, A. Desrez, 1836, 2 volumes in‑8o) donne une version plus développée où j’ai puisé ce complément (volume 2, page 483) :

    « Ce Nicolas Loste était natif d’Orléans, filleul du sieur de Villeroy et < fils > de Pierre Loste, son plus ancien serviteur. Ce père, homme fin, se voyant vieil, ayant désir avant que mourir d’introduire son fils en son lieu près ledit sieur de Villeroy, sachant qu’un autre y était proposé et appelé, fit si bien que, par ses artifices, il y introduisit son fils ; et ainsi, ayant soulagé par cette introduction les appréhensions, n’eut autre soin que de l’établir et avancer. »

    Villeroy avait envoyé Loste à Madrid (où régnait alors Philippe iii), comme secrétaire de Rochepot, où le jeune homme « commença à se façonner à l’espagnole : il en apprend la langue, il s’habille à leur mode ; son aspect triste et morne et son teint basané le faisaient estimer être Castillan naturel. En ses mœurs, il devint plus hypocrite que dévotieux, menteur, orgueilleux, prodigue et superflu en toutes sortes, et surtout adonné aux femmes, vice qui le poussa tout à fait au précipice où il s’est rendu. »

  3. Avec lui. V. note [6], lettre 898, pour Conflans.

  4. Interdiction à tous les relais de poste de fournir des chevaux aux fugitifs.

  5. De procurer des chevaux aux espions en fuite.

  6. Le 15 mai 1604.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 10 manuscrit, note 36.

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(Consulté le 29/03/2024)

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