À Charles Spon, le 10 avril 1650, note 38.
Note [38]

L’épître dédicatoire (non datée) des Opera de Daniel Sennert qui venaient de paraître à Lyon (v. note [20], lettre 150) est intitulée Clarissimo spectatissimoque viro D. Guidoni Patino Bellovaco, Doctori Medico Parisiensi, Musagetæ ac mecœnati perquam venerando, Sal. et Observantiam [Salut et respect à Me Guy Patin, très brillant et remarquable docteur en médecine de Paris, musagète (conducteur des Muses) et mécène profondément vénérable] :

Æquum profecto, summeque pium semper habitum fuit, (Vir Clarissime, ac Spectantissime) uti Scriptorum de re literaria optime meritorum eximia quæque ingenij monumenta ab interitu sedulo vindicentur, quo ipsorum nomina magis ac magis perfruantur. Hoc autem ipsum vix ulla alia re melius præstari posse, quam divino Chalcotypicæ artis ministerio, meridiano iubare clarius est, utpote quæ polleat decantatissima illa Hermæi caducei efficacia, qua Manes ex Orco revocari credebantur. Quum ergo Celeberrimi Danielis Sennerti, consummatæ quondam peritiæ Archiatri, aut potius herois omni prope invidia maioris, Opera cedro dignissima passim deficere animadverteremus, de ipsis præli nostri beneficio quamprimum instaurandis atque propagandis cogitare tum debimus, tum etiam voluimus : quod nostrum sive consilium sive officium, cunctis Æsculapij alumnis, qui Sennerti pretium intelligunt, probatum iri magnopere confidimus, præterquam forte paucis aliquot Theonibus, qui cum nullo sint ipsimet in numero, alienam famam virulentis suis arrosiunculis vellicare unice satagunt : quibus longum valere iussis, ad Te, Vir Spectantissime, nos modo convertimus, caussas dicturi, cur Tibi potissimum hanc editionem vovere ac dedicare statuerimus. Neque illas sane procul admodum accersere necesse habemus : cum enim nobis toties luculenta favoris ac benevolentiæ tuæ testimonia præbueris, ut hocce Tibi nostræ gratitudinis specimen destinemus, ex asse nos sentimus obnoxios. Deinde cum apud doctos plerosque omnes Tuum nomen in summa sit veneratione, ne dicam in præcipuis delitiis, ab illo plurimum splendoris mutuaturum nostrum hunc Auctorem non dubitamus. Adde quod peculiare quoddam ius habere videatur ipse Sennertus cur Tuam exambiat clientelam, propter nimirum exquisitam fatorum utriusque vestrum variis in rebus similitudinem, haud dubie a rara nescio qua profectam συναστρια. Enimvero et Tu, et Ille Musas elegantiores a teneris oculitus deperistis, ipsarumque cultores miro favore prosecuti semper fuistis. Et cum mutas ad artes agitandas animos appulissetis, vere in ipsis Roscij (quod dicitur) exstitistis, vosque Philiatricæ pubi duces ac mystagogos ad Medicinæ penetralia inspectanda comiter præbuistis in prædoctis Academiis, Tu quidem Leucetica, Ille vero leucorea : multas interim offucias, quibus ars misere deformabatur, auditores dedocendo, ipsosque viva voce, scriptis eruditissimis, exemplo denique proprio ad Veritatis amorem incendendo ac manuducendo. Quis iam memoret utriusque vestrum in medendo, ægrisque innumeris opitulando solertiam ac felicitatem nulli secundam ? prætereaque incredibilem animi candorem, singularem vitæ morumque integritatem, conversationis Sirenas non minus utiles quam iucundas, stupendam philomathiam μουσοληψιαν, indeque natam bibliomaniam illam nunquam satis laudandam, qua perciti Bibliothecas vobis comparastis omni genere Codicum tam excusorum quam calamo exaratorum instructissimas ? Quia vero tam præclaris animi dotibus conspicuos Viros livoris iniuriis patere novum non est, qui fumi ritu pulcerrimi cuiusque in oculos involare semper assolet, hinc etiam factum, ut suos uterque vestrum mastigas invenerit, homines protervos, et Echetismo non modo sui cognominis, aut pyrulæ nasi, sed et apicis linguæ, et digitorum perquam dignos, quorum tamen improbis artibus non magis hactenus offendi potuistis, quam Psyllorum olim corpora serpentium morsibus. At quo nos, obsecro, sensim delapsos sentimus, dum institutam Duumviros inter incomparabiles comparationem persequimur, ac vestra merita exprimere tentamus, quæ styli nostri infelicitas potius detriverit quam illustraverit ? Et sane nihil opus nostris verbis in tali argumento. Sennerti enim πλεονεκτηματα, utut taceamus, satis ebuccinant, quæ typis mandata extant tot honorifica Doctissimorum hominum Iudicia, necnon Panegyrici, Epicedia, Næniæ, quibus tanti Viri memoria celebratur. Tua vero, Vir Præstantissime, egregia animi ornamenta, ac catorthomata toti literatorum ordini deprædicanda remittimus : Interim tamen facere non possumus, quin hic subiiciamus versiculos πυθοχρηστους, quos in tui gratiam Carolus Sponius, Civitatis huiusce Medicus, tuique amantissimus, aliquando meditabatur, ut ita nostræ nonihil consulamus balbutiei. Sic autem ille

Guido, Lutetiacum decus immortale medentum,
Aureoli quondam sæcli genuina propago,
Cui candor, cui sancta fides, cui cetera pectus
Virtutum genera exornant, ac lumine complent !
Iam quis inexhaustas Doctrinæ pandere gazas
Possit rite tuæ ? Nihil ignorare videris,
Rerum omnes penetras quia mentis acumine caussas,
Nullaque Musicolum fugiunt te Scripta virorum,
Quorum pondere pressa gemunt numeroque fatiscunt,
Vasta ac firma licet, forulorum tigna tuorum.
Deinde quot horrendis iamiam pereuntia morbis
Corpora felici releuas facilique medela,
Artibus absque malis Arabum, Chymicisque venenis ?
Quæ tua laus ipso est Epidauri numine digna !
Iure igitur nobis coleris canerisque Patine,
Cuius sparsa viget totum inclyta fama per orbem.

Tuo Nomini Clarissimo toto pectore Devinctissimi,
Ioan. Antonius Huguetan, et
Marcus Antonius Ravaud
.

[Très distingué et remarquable Monsieur, on a toujours tenu pour assurément juste et profondément pieux de diligemment sauver de l’oubli tous les éminents ouvrages des écrivains qui ont le plus mérité de la république des lettres, et dont le renom n’a cessé de croître jour après jour. Aussi clairement que le soleil luit à midi, cela ne se peut mieux faire que par la divine intervention de l’imprimerie, dont le pouvoir égale celui, tant vanté, du caducée d’Hermès qui, croyait-on, faisait revenir les âmes défuntes de l’enfer. {a} Quand donc nous avons constaté que partout étaient épuisées les Opera, parfaitement dignes du cèdre, {b} du très célèbre Daniel Sennert, jadis archiatre de profond talent, ou plutôt héros surpassant presque toute critique, nous avons dû et aussi voulu songer à l’avantage de les imprimer sans tarder pour les renouveler et les propager. Qu’il se soit agi pour nous d’une volonté ou d’un devoir, nous ne doutons pas que tous les enfants d’Esculape, qui connaissent la valeur de Sennert, approuveront entièrement notre dessein, à l’exception peut-être d’un petit nombre de médisants qui, bien qu’il ne comptent pour rien, se contentent uniquement de déchirer de leurs vilaines petites dents la réputation d’un autre. À ceux que nous avons jugés dignes de ce mérite, nous avons de loin préféré nous tourner vers vous, très remarquable Monsieur, en décidant de vous vouer et dédier cette édition. Et à dire vrai, nous n’avons pas eu besoin d’en chercher bien loin les raisons : comme vous nous avez si souvent procuré d’éclatants témoignages de votre faveur et de votre bienveillance, nous nous sommes sentis, du fond du cœur, obligés de vous adresser ce témoignage de notre gratitude ; ensuite, comme presque tous les savants vénèrent hautement votre nom, pour ne pas dire qu’ils s’en délectent tout particulièrement, nous ne doutons pas que notre auteur lui empruntera beaucoup de sa splendeur ; ajoutons à cela que Sennert lui-même semble y avoir quelque droit particulier, car il brigue d’appartenir à votre suite en raison de la très rare ressemblance de vos destinées mutuelles, à divers égards, et qui vous a sans aucun doute été conférée par je ne sais quelle constellation. De fait, vous et lui avez éperdument aimé, comme vos propres yeux, les très élégantes Muses et, figurant parmi leurs adorateurs, vous avez toujours joui de leur merveilleuse faveur. Et quand vous avez dirigés vos esprits à réveiller les arts alanguis, vous vous y êtes avérés (comme on dit) deux Roscius, {c} en vous révélant être les guides des jeunes philiatres et leurs bienveillants initiateurs pour pénétrer les secrets de la médecine en vos très savantes universités, vous en celle de Leucetius et lui en celle de Leuceus {d} : ce faisant, vous avez appris à vos auditeurs comment oublier quantité de ces tromperies, dont l’art se trouve misérablement défiguré, et par vos leçons, par vos très savants, et votre propre exemple, les menant par la main, vous leur avez inculqué l’amour de la vérité. Qui oubliera jamais cette habileté, heureuse et sans égale, à remédier et à secourir quantité de malades, qui vous caractérise tous deux ? Et en outre, cette incroyable clarté d’esprit, cette singulière intégrité de vie et de mœurs, ces enchantements de vos conversations, qui ne sont pas moins plaisants qu’utiles, cet étonnant amour des sciences, inspiré par les Muse. Vous en est née cette bibliomanie qu’on n’a jamais assez louée et qui vous a poussés sans relâche à vous constituer une bibliothèque parfaitement fournie en toutes sortes de livres, tant imprimés que manuscrits ? Mais parce qu’il n’est pas nouveau que des hommes aussi éminents par les dons de leur brillante intelligence aient à souffrir les insultes de la jalousie, qui a pour habitude de toujours voler dans les yeux de quiconque a le grand honneur d’être hautement considéré, il s’est aussi fait que chacun de vous a trouvé ses vauriens, hommes effrontés et parfaitement dignes d’être comparés à Echetos non seulement pour son surnom ou pour son nez de petite poire, mais aussi pour la pointe de sa langue et pour ses doigts. {e} Jusqu’ici, leurs ruses malhonnêtes ne sont pourtant pas parvenues à plus vous blesser que ne faisaient jadis les morsures de serpents aux corps des Psylles. {f} Mais pourquoi, je vous prie, nous sommes-nous insensiblement laissés aller à entreprendre d’établir une comparaison entre deux hommes incomparables, et pourquoi avons-nous tenté d’exposer vos mérites, quand la maladresse de notre style les a desservis plutôt qu’elle ne les a fait reluire ? Nos mots ne servent absolument à rien dans une telle argumentation. Quoique nous taisions les supériorités de Sennert, tous les jugements de très savants hommes que nous avons imprimés les font voir et les glorifient, ainsi que les panégyriques, les poèmes funèbres et les lamentations célébrant la mémoire d’un si grand personnage. Quant à la vôtre, très éminent Monsieur, nous laissons à la confrérie tout entière des savants le soin de proclamer les remarquables ornements de votre esprit et ses heureux succès. En attendant, nous n’avons pu faire autrement que de mettre ici les vers inspirés que Charles Spon, médecin de notre ville qui est votre très grand ami, a un jour composés en votre honneur, afin que nous prenions ainsi quelque mesure de notre balbutiement. Les voici :

« Ô Guy, gloire immortelle des médecins de Paris, bouture originelle de ce qui fut jadis un siècle d’or, vous dont la candeur, dont la sainte loyauté et d’autres sortes de vertus ornent le cœur, et l’emplissent de lumière ! Qui pourrait jamais dévoiler convenablement les trésors de votre science ? Vous semblez ne rien ignorer parce que, de la finesse de votre esprit, vous pénétrez toutes les causes des choses, et nul écrit des hommes qui cultivent les muses ne vous échappe ; et les planches des rayons de votre bibliothèque, si immenses et solides soient-elles, craquent sous leur charge serrée et ploient sous le nombre. Et dès lors, de combien d’effroyables maladies ne soulagez-vous pas les corps sur le point de sombrer, au moyen de remèdes simples et heureux, et ce sans les maléfices des Arabes ni les poisons chimiques ? {g} Comme votre louange est digne de la divinité même d’Épidaure ! {h} Ô Patin, il est juste que nous vous honorions et que nous chantions vos louanges, vous dont l’illustre renommée essaime et fleurit de par le monde entier. »

Entièrement et de tout cœur dévoués à votre très distinguée personne,
Jean-Antoine Huguetan et Marc-Antoine Ravaud]. {i}


  1. V. note [7], lettre latine 255.

  2. Expression latine classique qualifiant un ouvrage de grand prix qu’on voulait conserver éternellement en enduisant ses pages d’huile de cèdre (v. note [17], lettre de Charles Spon, datée du 11 septembre 1657).

  3. V. note [132], lettre 166.

  4. Leucetius est un dieu gaulois antique, assimilé au Mars des Romains, et Leuceus, le Jupiter des Lépréates, peuple d’Élide (à l’ouest du Péloponnèse) ; cet artifice oratoire pour désigner les universités de Paris et de Wittemberg n’en reste pas moins obscur.

  5. Dans L’Odyssée, Homère donne à Echetos, roi d’Épire le surnom de « fléau de tous les mortels » ; Antinoos dit de lui à Iros : « il te coupera le nez et les oreilles, d’un bronze sans pitié, il t’arrachera les parties viriles et les donnera toutes crues à ses chiens voraces » (chant xviii, vers 85‑87). J’ai traduit pyrulæ nasus par « nez de petite poire », en prenant pyrula pour un diminutif de pyrum [poire en latin] (Littré DLF qui définit pyrule comme un « genre de coquilles univalves ») et en y voyant une allusion au nez de Théophraste Renaudot que Guy Patin avait attaqué dans sa préface de 1641 (v. note [12], lettre 44).

  6. V. 2e notule {a}, note [101] du Traité de la Conservation de santé, chapitre ii.

  7. V. note [25], lettre 211, pour la genèse de ce 13e vers.

  8. Esculape (v. note [5], lettre 551.

  9. Le latin excessivement châtié (et difficile à traduire) de cette épître dédicatoire laisse à penser que l’auteur n’a pu en être qu’un très fin connaissseur de cette langue. Probablement s’agissait-il de Charles Spon plutôt que des deux libraires lyonnais qui l’ont signée. En dépit des louanges qui lui étaient adressées, Patin a reproché à cette réédition de contenir certaines additions malvenues (v. note [8], lettre 535).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 10 avril 1650, note 38.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0224&cln=38

(Consulté le 19/03/2024)

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