Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 7 manuscrit, note 40.
Note [40]

Le Borboniana renvoie à deux critiques supplémentaires de Virgile.

  • V. note [7] du Naudæana 1 pour Lodovico Castelvetro et sa Poetica d’Aristotele [Poétique d’Aristote] (Vienne [Autriche], 1570, texte bilingue, grec et italien), qui n’a été traduite ni en latin ni en français.

    Dans la réédition de Bâle (Pietro de Sedabonis, 1576, in‑4o de 706 pages), l’entrée Homero [Homère] de l’index renvoie à plusieurs passages sur le thème Supera Virgilio, et in che [Dépasse Virgile, et en quoi]. La page 545 est sans doute la plus catégorique à cet égard : au mot Virgilio de l’index, elle est signalée par In rispetto d’Homero puo dirsi non essere poeta [Comparé à Homère, on peut dire qu’il n’est pas poète].

  • « Voyez l’index des Alloquutiones gymnasticæ de Vinc. Guinisius. »

    Vincentii Guinisii Lucensis e Soc. Iesu Allocutiones gymnasticæ auctæ et recensitæ.

    [Allocutions académiques, revues et augmentées, de Vincentius Guinisius, {a} natif de Lucques, issu de la Compagnie de Jésus]. {b}

    L’index contient cinq entrées sur Virgile, dont a Lucretio multa hausit [a beaucoup puisé dans Lucrèce], laudatur a Cicerone [est loué par Cicéron], Homerum imitatur [imite Homère]. Voici ce qu’on lit sur ce dernier point dans l’Allocutio ii, De Comparatione M. Tullii Ciceronis et Pub. Virgilii [Comparaison de Cicéron et de Virgile] (pages 58‑59) :

    Accusatur Virgiliana poesis tanquam Homerici carminis imitatio, ideoque minore quam Homerus ingenio Virgilius damnatur. Principio, cum Homero ne, an cum Tullio Virgilium comparamus ? Quod si ex eo, quod Homerum Virgilius imitatur, hunc ipsum inventione, ac proinde ingenio laborare conficitis ; liceat mihi ratiocinari in eumdem modum. Plurima transtulit Tullius ex Demosthene ; igitur inveniendi artificio, eoque ingenii laude caruisse dicendus est Tullius. Sed non ego ingenii palmam Homero tribuerim, quod eius commenta in Marone legantur aliqua : nam primum similitudo ingeniorum sæpenumero multa facit, quæ translata non edita videantur : deinde nonnulla, non ex Homero Virgilius, sed uterque ab arte vel a natura desumpsere. Nisi forte cibum dentibus atterere, quia hoc quoque a priscis hominibus factitabatur, prisci ævi imitamentum esse, quis dicat. Postremo, esse Virgilio commenta ex Homero translata non inficior : sed factum id assero, non egestate fingendi aut ingenii servientis angustiis, sed æmulationis studio et contentione poetica : neque enim Homeri comparationem concertationemque persane laboriosam atque arduam subterfugit, nempe ut ostenderet, quanto maiore cum laude, eodem campo, eademque per vestigia percurri posset. Præclarum enimvero, subiecit Magius, pugnæ ac triumphi genus : hoc est spolia indecore furari, non fortiter rapere. Et tamen inquit Tursellinus, id sibi gloriæ tribuebat sæpe Virgilius ; cum objicientibus per iocum amicis frequentiores ex Homero rapinas, interfari solitus est, id ipsum magni ingenii proprium : ac fore facilius, Herculi clavam extorquere de manibus, quam Homero vel unum cum dignitate versiculum.

    [La poésie virgilienne est accusée d’être comme une imitation du chant homérique, ce qui condamnerait Virgile à être moins grand qu’Homère. Pour commencer, pourquoi ne comparons-nous pas Virgile à Homère sans comparer Cicéron à personne ? Parce que si vous dites que Virgile imite Homère vous concluez qu’il est en peine d’invention, et donc de génie. Permettez-moi donc de suivre le même raisonnement : Cicéron a beaucoup emprunté à Démosthène, il faut donc dire que Cicéron est dépourvu de talent inventif et doit l’être de louange. Personnellement pourtant, je n’attribuerais pas à Homère la palme du génie, comme on le lit chez quelques-uns de ses commentateurs hostiles à Virgile. D’abord, la similitude des esprits engendre souvent bien des ressemblances qui, une fois bien traduites, ne semblent plus exister. Ensuite, Virgile a tiré certains de ses propos non pas d’Homère, mais de ce que, tout comme lui, il a puisé dans son art ou dans ses dons naturels ; à moins peut-être qu’on ne vienne me dire que la nourriture use les dents, et que reproduire ce qu’ont souvent fait nos ancêtres, c’est imiter l’Antiquité. Enfin, je ne conteste pas que Virgile ait emprunté des trouvailles à Homère, mais je proteste qu’il a fait cela non par défaut d’imagination ou par servile indigence de talent, mais par soigneuse émulation et par joute poétique, car il n’esquive ni la comparaison ni la joute avec Homère, si laborieuses et ardues soient-elles, puisqu’il se montre à l’évidence capable de suivre ses traces, sur le même terrain que lui, et avec quel immense honneur ! De fait, Magius a suggéré qu’il existe une excellente manière de se battre et de triompher : elle consiste à dérober bassement le butin, et non à le ravir de force. Et pourtant, dit Tursellinus, Virgile s’attribuait souvent ce fait de gloire : quand, par plaisanterie, des amis lui reprochaient ses très fréquents pillages d’Homère, il avait coutume de les interrompre et de leur dire, ce qui à soi seul est le propre d’une grande intelligence : Il est plus facile d’arracher sa massue des mains d’Hercule que de prendre honorablement le moindre petit vers à Homère]. {c}


    1. Vincenzo Guinigi (1505-1571).

    2. Anvers, Plantin, Balthasar Moretus, 1638, in‑12 de 333 pages, contenant 20 allocutions.

    3. Alexander Magius et Horatius Tursellinus sont deux interlocuteurs du dialogue rapporté dans l’allocution de Guinigi. Le propos attribué à Tursellinus est extrait Saturnales de Macrobe (v. note [2], lettre 52), dont le chapitre iii du livre v détaille les emprunts de Virgile à Homère :

      Quid enim suavius quam duos præcipuos vates audire idem loquentes ? quia, cum tria hæc ex æquo impossibilia putentur, vel Iovi fulmen vel Herculi clavam vel versum Homero subtrahere, quod, etsi fieri posset, alium tamen nullum deceret vel fulmen præter Iovem iacere, vel certare præter Herculem robore, vel canere quod cecinit Homerus : hic oportune in opus suum quæ prior vates dixerat transferendo fecit ut sua esse credantur.

      [Quoi de plus agréable en effet qu’entendre les deux premiers des poètes s’exprimer de la même façon ? Trois choses sont regardées comme également impossibles : dérober à Jupiter sa foudre, à Hercule sa massue, à Homère, son vers ; et quand même on y parviendrait, quel autre que Jupiter saurait lancer la foudre ? qui pourrait lutter avec Hercule ? qui oserait chanter de nouveau ce qu’Homère a déjà chanté ? Virgile a transporté dans son œuvre, avec tant de bonheur, ce que son prédécesseur avait dit, qu’il a pu laisser croire qu’il en était le véritable auteur].

      D’autres ont visiblement brodé là-dessus. Érasme, quant à lui, en a honnêtement fait son adage no 3095, Clavam extorquere Herculi.


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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 7 manuscrit, note 40.

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(Consulté le 24/04/2024)

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