À Charles Spon, le 29 avril 1644, note 43.
Note [43]

Le Livre du grand et divin Hippocrate des plaies de tête, Trésor de chirurgie, traduit du grec, corrigé et commenté par François Dissaudeau (Saumur, T. Portau, 1612, in‑12) est le traité hippocratique dont Guy Patin a déjà parlé à propos de l’édition latine à laquelle Joseph-Juste Scaliger avait contribué (Paris, 1578, v. note [3], lettre 34). François Dissaudeau, natif du Poitou, avait été reçu licencié de la Faculté de médecine de Paris en 1600, mais n’en devint pas docteur régent.

Marie-France Claerebout ne se contente pas de relire et corriger notre édition (ce qui est déjà à soi seul une bien rude tâche), elle y contribue par quantité de trouvailles ingénues. Ainsi a-t-elle déniché cet édifiant passage du chapitre iv, Derniers décrets de la Faculté de médecine, contre la prétendue association des jésuites (pages 74‑78) de la Seconde Apologie pour l’Université de Paris… de Godefroi Hermant (Paris, 1644, v. note [28], lettre 97) :

« Dissaudeau étant reconnu hérétique, la Faculté de médecine convoqua une assemblée speciali articulo, {a} pour l’exclure du degré de ses licences ; et cette pieuse sévérité fut exécutée sous le doyenné de M. Nicolas Ellain, {b} personnage de grand mérite, dont la mémoire est en bénédiction dans l’estime des gens de bien. Ces choses étant importantes pour la réputation de ce Corps déchiré par vos médisances, j’ai jugé à propos de vous apporter ici les termes du décret, selon qu’il est couché dans les registres. En voici donc une pièce authentique, qui a été fournie à un des suppôts de l’Université par M. Guy Patin, {c} docteur en médecine et censeur des Écoles en cette année 1643, homme en grande estime parmi les savants, et des plus zélés pour la défense de notre cause publique.

Die Mercurii, v. Aprilis m.dc. Doctores omnes per iuramentum convocati, deliberanturi de Francisco Dissaudeau, Baccalaureo, omnes censent eum excludendum a licentiis quia Religionem Catholicam et Romanam non profiteretur. {d}

Dissaudeau exclu de ses licences par ce généreux décret, eut recours à l’autorité des grands de son parti ; et les ayant entremis envers la Cour de Parlement, à qui ils présentèrent deux requêtes pour cet effet, les médecins reçurent commandement de le recevoir en la licence, en vertu de l’édit de Nantes, qui venait d’être tout fraîchement vérifié ; {e} de sorte qu’étant contraints de l’admettre, ils lui donnèrent le dernier lieu, {f} pour le rebuter en lui faisant le plus ignominieux traitement qu’ils pouvaient en conscience. Mais cet hérétique ayant du depuis éprouvé combien il est désavantageux d’entrer par force dans les compagnies honorables, et s’opiniâtrant à exciter contre soi l’aversion publique de son Corps, qui n’était fondée que sur la différence de sa Religion prétendue réformée, enfin il se retira à Saumur, où il est resté jusqu’à sa mort, qui arriva en 1625.

Aujourd’hui encore, cette noble Compagnie, qui est établie pour conserver ou réparer la santé du corps, n’est pas moins soigneuse de se maintenir dans la sainte religion : les exercices de piété accompagnent ceux de ses Écoles ; elle y fait célébrer le saint sacrifice de la messe aux quatre grandes fêtes, à toutes celles de la bienheureuse Vierge, et chaque samedi de l’année : elle le fait présenter à Dieu aussitôt après la mort de chaque docteur ; et pour embrasser dans les devoirs d’une même piété tous ses fidèles confrères qui sont déjà appelés de cette vie, elle a soin de faire dire tous les ans un service pour le soulagement de leurs âmes, le lendemain de l’Évangéliste saint Luc, qu’elle a choisi pour saint titulaire. Et afin que vous ne tâchiez point de persuader que cette religieuse pratique n’est suivie que par peu de membres catholiques de ce Corps célèbre, de six-vingts docteurs dont il est composé, vous n’y trouverez que cinq calvinistes : encore n’y ont-ils plutôt été admis par les lois du royaume et par la raison d’État que par les < sic > considérations particulières, et des arrangements personnels ; car les deux plus anciens et le quatrième n’y ont été reçus qu’en vertu de l’édit de Nantes, que le Parlement de Paris a observé en soi-même, et qu’il a eu soin de faire observer dans les autres compagnies ; le troisième, y étant entré catholique, n’a changé de religion que plusieurs années après sa réception, et par un malheur déplorable, des considérations externes l’ayant porté à ce changement, ses confrères ont été contraints de le tolérer pour ne pas contrevenir aux règlements de nos rois. Le dernier qui y fut admis, l’an 1626, en eût été exclu pour jamais si deux de ses oncles, tous deux docteurs excellents, savants personnages et parfaitement bons catholiques, n’avaient donné à cette Faculté une ferme et pleine espérance de sa prochaine conversion ; ce qui n’étant pas encore arrivé, par les secrets jugements de Dieu, est néanmoins encore espéré chaque jour avec des souhaits très ardents. {g} Depuis dix-sept ans, quelque puissante brigue que les calvinistes aient employée, la porte leur a été fermée, et quoiqu’ils aient renouvelé leurs efforts, tous les deux ans, à l’entrée de chaque licence, leurs entreprises sont toujours demeurées sans succès ; jusque-là même que le Corps des médecins se tint ferme contre des lettres de cachet qui lui furent présentées par cinq huguenots l’an 1632, et signala sa religion par cette sainte résistance, qui trouva des éloges dans la bouche même du feu roi Louis xiii. {h} Enfin, avec la grâce de Dieu qui préside aux saintes résolutions, il faut qu’il y ait bien de nouvelles vicissitudes dans la disposition du temps et dans la conscience de ces messieurs auparavant qu’ils admettent en leurs degrés de nouveaux religionnaires. {i} Ils se mettront continuellement devant leurs yeux les exemples de leurs ancêtres qui, en 70 ans, n’ont reçu que ces quatre docteurs de contraire religion ; de leurs ancêtres, dis-je, qui ne les ont reçus qu’après une longue opposition et une si heureuse résistance que l’ancien de cette Faculté, portant la parole pour arrêter l’exécution de l’édit de Nantes, comme donné contre les parlements seuls, Monsieur de Harlay {j} lui répliqua qu’il comprenait également tous les sujets du roi, grands et petits ; et un des avocats généraux menaça rudement ce docteur en cas qu’il refusât d’obéir au roi et à la Cour sur ce point.

Enfin, pour marque particulière de la piété de ces docteurs, ce leur est une chose très honorable que la journée de Saint-Barthélemy, qui enveloppa dans une commune ruine tant de personnes de toutes sortes de conditions, ne fut point funeste pour aucun d’eux, et que n’y ayant pour lors aucun hérétique en tout leur Corps, tous les médecins universellement furent exempts de cette rigoureuse saignée. {k}

Après cela, insérez dans votre histoire, et étalez dans vos ambitieuses archives que les médecins de la Faculté de Paris sont d’une religion, ou malade, ou du moins suspecte. Diffamez par toute l’Europe les plus savants hommes de toute l’Europe dans la manière dont ils font profession pour le bien public ! Et ne pouvant diminuer la réputation de leur doctrine, tâchez de détruire charitablement celle de leur piété ! Du moins, ils se consoleront sur ce que vos écrivains ont plus de malice en eux-mêmes que de créance {l} dans l’esprit des peuples ; et la crainte de recevoir de vous un semblable traitement ne les empêchera point de vous résister en hommes de bien quand vous enchérirez sur l’ambition de vos prédécesseurs par les desseins de vos nouvelles usurpations. »


  1. Assemblée extraordinaire, « sur convocation spéciale ».

  2. Doyen de 1598 à 1600, v. note [10], lettre 467.

  3. Guy Patin est à considérer comme l’inspirateur et le garant de tout ce qui va suivre.

  4. « Le mercredi 5e d’avril 1600, tous les docteurs, convoqués sous serment, pour délibérer sur le bachelier François Dissaudeau, décident unanimement de l’exclure des licences parce qu’il ne professe par la religion catholique et romaine. »

  5. Par le Parlement de Paris, le 25 février 1599.

  6. Le doyen Ellain a transcrit dans les Commentaires de la Faculté de médecine de Paris (tome ix, fos 236 vo‑239 vo) les deux requêtes que Dissaudeau a présentées devant la Chambre de l’Édit, qui statua en sa faveur. La Compagnie des docteurs régents dut s’incliner le 20 avril en le recevant à la licence ; mais le classa huitième (dernier lieu) des huit admis à ce grade le 15 mai suivant.

  7. En dépit de ces renseignements, je ne suis pas parvenu à identifier ce docteur régent parmi les quatre qui ont été reçus à la fin de 1626 : Charles Guillemeau, Jacques Cornuti, Philibert Morisset et Guillaume Dupré.

  8. En feuilletant les Commentaires de la Faculté de l’année 1632 (tome xii, seconde année du décanat de René Moreau), je n’ai pas trouvé de décret ajournant des candidats à la licence de médecine sur un motif explicite de religion.

  9. Protestants, en grande majorité calvinistes.

  10. Achille i de Harlay, premier président du Parlement de Paris de 1583 à 1616, v. note [19], lettre 469.

  11. Forfanterie, terrible à lire aujourd’hui, sur le massacre de la Saint-Barthélemy (Paris, le 24 août 1572, v. note [30], lettre 211).

  12. Crédit.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 29 avril 1644, note 43.

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(Consulté le 19/04/2024)

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