À Charles Spon, le 22 mars 1648, note 44.
Note [44]

La Paulette était un « droit annuel » (une taxe annuelle) destiné à contrôler la transmission des principaux offices non héréditaires de magistrature ou de finance. La règle originelle voulait que, pour transmettre une charge vénale à son héritier, un officier (détenteur d’office) devait la lui avoir cédée (résignée) au moins 40 jours avant sa mort. Le possesseur d’une charge se trouvait donc confronté à la cruelle alternative entre ne plus en jouir en la résignant de son vivant, ou la perdre (au bénéfice du roi qui la récupérait) en en percevant les avantages jusqu’à la mort. La survivance était un moyen d’esquiver : l’officier avançant en âge obtenait, par privilège royal, le droit d’associer son successeur à sa charge.

Henri iv avait révoqué toutes les survivances par les ordonnances de décembre 1597 et juin 1598, mais de nombreuses dérogations, accordées moyennant finances, avaient pourtant rapidement rendu cette abrogation inutile. En décembre 1604, Sully, pour en finir, fit adopter par le Parlement la mise en place d’une « prime d’assurance » libérant les officiers des contraintes de la résignation : un droit annuel égal au soixantième de la valeur estimée de l’office (et du quart en sus) autorisait l’officier à résigner sa charge avec dispense de la clause des 40 jours ; s’il mourait, son résignataire pouvait lui succéder sans restriction ; en l’absence de résignataire désigné, les héritiers de l’officier pouvaient vendre sa charge ou en conserver la valeur.

La perception de cette assurance annuelle fut d’abord affermée pour six ans à Charles Paulet, secrétaire de la Chambre du roi, pour 900 000 livres ; d’où lui vint son nom de paulette. Elle était renouvelable tous les neuf ans. Les états généraux de 1614 (v. note [28] du Borboniana 3 manuscrit) décidèrent de supprimer la paulette, mais sans suite, car le Parlement s’y opposa catégoriquement. Sa suppression effective en 1648 fut l’objet de protestations qui s’ajoutèrent aux ferments de la Fronde parlementaire.

Le renouvellement de la paulette donnait au pouvoir royal un beau moyen de pression pour tenir ses officiers en respect ; Louis xiv n’hésita d’ailleurs pas, en 1669 et 1671, à rompre la périodicité de cette négociation.

Le président de Thou (Histoire de mon temps, livre xiv, chapitre cxxxii), cité par Descimon et Jouhaud (page 31), a traduit l’inquiétude (vite dissipée) que provoqua la création de la paulette :

« Toutes les charges, tant de judicature que de finance, qui sont presque innombrables en ce royaume, furent mises sur le même pied, et rendues vénales par un genre de trafic très honteux. On dressa un tarif de toutes ces charges et suivant l’estimation faite de chacune, on y imposa une taxe annuelle qui fut nommée paulette […]. Moyennant le paiement de cette taxe, on n’est plus obligé d’attendre les 40 jours marqués par les ordonnances pour que la charge puisse passer à celui en faveur de qui la démission avait été faite ; mais la charge demeure aux héritiers qui en disposent comme d’un bien patrimonial. Cette institution ignominieuse par elle-même est encore devenue très préjudiciable au roi, au royaume et aux familles en particulier, car les offices sont montés à un prix excessif qui absorbe souvent tout le patrimoine d’une famille. […] Joignez à cela que le mérite est compté pour rien quand l’argent fait tout ; or que peut devenir un État où l’on décourage ainsi le mérite ? Le roi même y perd plus que qui que ce soit parce que cette vénalité tarit nécessairement la source des bienfaits qui sont le véritable nerf de l’autorité royale. C’est du roi qu’on doit attendre les honneurs, les dignités et les récompenses du mérite. Aujourd’hui que tout cela s’achète, on n’aperçoit plus la main du prince, qui s’est retirée. L’argent a pris sa place, c’est l’argent qu’on adore, on laisse la vertu à l’écart comme un instrument inutile ; et par une espèce d’usurpation, on se fait un patrimoine d’un bien qui appartient à l’État, ce qui produit la passion démesurée des richesses et le mépris constant du véritable honneur. »

Guy Patin a souvent partagé cette analyse morose dans ses lettres, mais l’institution de la paulette a marqué une évolution majeure des institutions : « Le roi y perd de son autorité directe ; la séparation des pouvoirs y gagne » (F. Bluche, Dictionnaire du Grand Siècle).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 22 mars 1648, note 44.

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(Consulté le 24/04/2024)

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