Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 1 manuscrit, note 44.
Note [44]

Nicolas Bourbon n’était jamais allé à Stockholm. {a} Ce qu’il en savait pouvait lui venir de son ami Charles Ogier, dit l’avocat ou le Danois, {b} qui, de juillet 1634 au début de 1636, avait accompagné Claude de Mesmes comte d’Avaux {c} dans ses ambassades successives au Danemark, en Suède et en Pologne, voyage dont il a publié les Ephemerides [Journaux]. {d} Il n’y a pas comparé Stockholm à Meaux, capitale de la Brie, {e} mais la découverte qu’il en fit, le 14 décembre 1634, lui a laissé un souvenir peu avenant (Iter Suecicum [Voyage en Suède], pages 143‑144) :

Ille certe Stockholmi situs, inæqualesque viæ non admodum facilem triumphalibus rhedis decursum permittunt : Est enim illa urbs inter scopulos, ac salebras ædificata, quod, ut ipsimet narrant, non ex hominum delectu, qui hunc locum optaverint, sed ex fortunæ casu, cui se permiserant, factum est. Aiunt enim, cum sua Metropolis, vel incendio, vel aliis casibus sæpius diruta, ac instaurata fuisset, concilium cepisse maiores suos, ut aliam, ubicunque sors ferret, ædificarent ; baculumque in profluentem iccisse, ut quocumque in loco adhæresceret, ibi se sisterent. Cumque ille tandem baculus his scopulis, inter maris aufractus substitisset, urbem ibi suam statuisse, infelicemque urbis situm hac excusatione defendunt. Verumtamen quæ terræ commoditas deest, tanta maris opportunitate, et utilitate compensatur, ut nullibi fortasse securior sit, ac tranquillior portus : Maximæ enim, et onustissimæ naves tam adhærescunt urbi, ut domos ipsas contingant, ac sine anchoris, et funibus in portu quietissimæ sint. Quod quidem ea ratione sit, quia Stockholmum ab alto mari duodecim aut amplius milliaribus abest : tortuosisque fretis, ac divertigiis, quæ a variis insulis ac promontoriis teguntur, ad illud naves appellunt : quarum benefico per æstatem omnia illis ad victum necessaria importantur, vicissimque illi terræ suæ dotes exteris communicant, atque commutant. Ampla satis est illa urbs, nec paucis habitatoribus constat, quorum tamen per plateas, ac vias frequentiam vidi nunquam, adeo frigota per quæ ibi morabamur, universos in hypocaustis concluserant : Neque enim tam sunt imprudentes opifices ulli, aut venalitiarii, ut per hyemem in patentibus officinis, ac tabernis laborent. Rarus vero est fœminarum in publicum egressus, vixque illæ comparent, nisi cum ad templum se conferunt. Adscribo ego importunissimæ anni tempestati, quod tam rarum fuerit nobis cum civibus illis commercium : per enim quinque ipsos menses, viguit intensissimum frigus, indurati lacus, solidata flumina, constrictum mare : impalluerant omnia nive, torpebantque quasi in profundo naturæ veterno. Et vero statim atque intepuit, necdum bene liquatis nivibus profecti sumus in Borussiam.

[La situation de Stockholm et ses rues raboteuses ne permettent pas de s’y déplacer aisément en carrosse de parade. Cette ville a en effet été construite parmi les rocs et les aspérités car, comme ils le disent eux-mêmes, elle ne le fut pas sur un choix des habitants, qui auraient élu ce lieu, mais sur un coup du hasard auquel ils se sont abandonnés : ils racontent que quand leur capitale fut reconstruite, après avoir été très souvent détruite par incendies ou autres accidents, leurs chefs décidèrent de la rebâtir à l’endroit que le sort désignerait ; ils jetèrent un bâton dans la rivière, pour s’établir là où le bâton s’arrêterait ; et il est parti se briser contre des rochers à l’endroit où ils ont édifié leur ville ; ainsi excusent-ils sa fâcheuse situation. {f} Néanmoins, cette incommodité de la terre est compensée par la très heureuse proximité et l’avantage de la mer : peut-être n’existe-t-il nulle part ailleurs de port plus sûr et mieux abrité ; de très grands navires lourdement chargés accostent au cœur même de la ville, jusqu’à toucher ses maisons, et à y demeurer parfaitement immobiles sans besoin d’ancres ni de câbles. Cela tient au fait qu’une distance d’au moins douze milles sépare Stockholm de la pleine mer ; les navires y accèdent par des bras de mer tortueux et entremêlés, semés d’îles et de presqu’îles ; {g} ils permettent les échanges pendant la belle saison, en important toutes les marchandises dont la population a besoin, et en remportant les productions venues de l’intérieur des terres. La ville est assez étendue et possède un nombre non négligeable d’habitants ; mais durant notre séjour, je n’en ai jamais vu beaucoup par ses ruelles et ses avenues, car les rigueurs du froid y étaient telles qu’elles les enfermaient tous chez eux auprès de leurs poêles. Il ne s’y trouve guère d’artisans ou de marchands qui aient l’imprudence d’œuvrer pendant l’hiver dans des ateliers ou des magasins ouverts aux quatre vents. Il arrive exceptionnellement d’y croiser des femmes, car elles se montrent peu en public, si ce n’est pour se rendre au temple. J’attribue à la saison fort incommode de l’année cette rareté de nos rencontres avec les habitants, car il a sévi une froidure très intense pendant les cinq mois de notre séjour : lacs, rivières et mer étaient figés par les glaces ; tout était blanchi de neige et engourdi, comme par une profonde léthargie de la nature. L’arrivée du printemps apporta un prompt attiédissement, mais les neiges n’avaient pas encore entièrement fondu quand nous partîmes pour la Prusse].


  1. V. note [42], lettre 216.

  2. V. note [2], lettre 330.

  3. V. note [33], lettre 79.

  4. Paris, 1656, v. note [6], lettre 378.

  5. V. note [6], lettre 125.

  6. Ce conte expliquerait plaisamment le nom de Stockholm, « l’île du bâton ». La ville, fondée au milieu du xiiie s. par le duc Birger Magnusson de Bjälbo, dit Birger Jarl, a d’abord été bâtie sur une île aujourd’hui nommée Gamla Stan [vieille ville] ; elle est devenue la capitale de la Suède au début du xve s.

  7. L’archipel de Stockholm contient plus de 24 000 îles et îlots. Un chenal de 80 kilomètres relie le port à la mer Baltique.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 1 manuscrit, note 44.

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(Consulté le 13/10/2024)

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