Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑1 (1701), note 48.
Note [48]

Hypercriticus [Hypercritique] est le titre du livre vi des Poetices [Poétiques] de Jules-César Scaliger (Lyon, 1561, v. note [5], lettre 407), consacré aux poètes latins de son siècle. Il y traite Étienne Dolet d’athée dans ce passage (page 305) :

Doletus vero etiam Musarum carcinoma aut vomica dici potest. Nam præter quam quod in eo tam grandi corpore (ut ait Catullus) ne mica salis, quidem : vult insanum agere Tyrannum in Poesi. Ita suo arbitratu Virgilianas gemmas suæ inserit pici, ut videri velit sua. Ignavus loquutuleius, qui ex tessellis Ciceronis febriculosas quasdam conferruminavit (ut ipse vocat) orationes : ut docti iudicant, latrationes : putavit tantundem licere sibi in divinis opibus Virgilianis. Ita dum optimi atque maximi Regis Francisci fata canit : eius nomen suo malo fato functum est. Quodque tum illi, tum illius versibus debeatur, solus passus est Atheos flammæ supplicium. Flamma tamen cum puriorem non efficit : ipse flammam potius efficit impuriorem. In Epigrammatum vero colluvionibus atque latrinis illis, quid eius tibi sordes dicam ? Languida, frigida, insulsa, plenissima illius vecordiæ, quæ summa armata impudentia ne Deum quidem esse professa est. Quapropter quemadmodum summus philosophus Aristotelis in Natura animalium fecit, ut post ennarratas partes quibus constituuntur, etiam excrementorum faciat mentionem, hic ita eius legatur nomen, non tanquam poetæ, sed tanquam poetici excrementi.

[On peut même véritablement dire que Dolet est le cancer ou l’abcès des Muses. Hormis qu’il n’y a pas même en lui ni en tout ce grand corps le moindre grain de sel (comme dit Catulle), {a} le fait est qu’il se comporte en poésie comme un tyran insensé. Ainsi greffe-t-il sciemment à sa poix des bourgeons virgiliens, en voulant faire croire qu’ils sont de lui : c’est un bavard oiseux qui, en prenant des tasseaux de Cicéron, a composé ce qu’il appelle des discours, mais que les gens instruits tiennent pour des aboiements enfiévrés ; ce faisant, il a pensé se donner la valeur des divines beautés de Virgile. Ainsi a-t-il lamentablement tué sa réputation, quand il a chanté la destinée du très bon et très grand roi François. {b} Pour tout égard dû à ses vers et à sa personne, c’est en athée qu’il a souffert le supplice de la flamme ; {c} le feu ne l’a pourtant pas purifié, car c’est plutôt lui qui en a souillé les flammes. Que vous dirai-je de ses ignominies, contre ces égouts et ces latrines que sont ses épigrammes ? Elles sont molles, froides, insipides, débordantes d’extravagance et hérissées de cette impudence qui n’a pas même admis l’existence de Dieu. Aristote, cet immense philosophe, quand il a discouru sur la nature des animaux, a décrit les parties qui les constituent, sans même omettre leurs excréments : voilà pourquoi il faut lire ici de nom de Dolet non pas comme celui d’un poète, mais comme celui d’un excrément poétique]. {d}


  1. V. note [42], lettre 487.

  2. Francisci Valesii Gallorum Regis Fata. Ubi rem omnem celebriorem a Gallis gestam nosces, ab anno Christi m. d. xiii. usque ad annum ineuntem m. d. xxxix. Stephano Doleto Gallo Aurelio Autore.

    [La Destinée de François de Valois, roi de France. {a} Où vous apprendrez tout ce que les Français ont fait de remarquable depuis l’an 1513 jusqu’à la présente année 1539. Par Étienne Dolet, Français natif d’Orléans]. {b}

    1. François ier (1515-1547).

    2. Lyon, sans nom, 1639, in‑4o de 79 pages.
  3. Dans sa note C sur Dolet, Bayle a transcrit entièrement toute cette citation de Scaliger, qu’il a introduite en disant :

    « Ses vers latins ont paru à Gruterus dignes d’être insérés dans les Délices des poètes français, {i} et s’ils ne sont pas excellents, ils sont encore moins dans le degré d’imperfection où Jules-César Scaliger les représente. L’emportement de ce critique contre Dolet a quelque chose de si outré et, si j’ose le dire, de si brutal, qu’on ne saurait s’empêcher de croire qu’un ressentiment personnel dirigeait la plume de ce grand homme. Je citerai tout le passage : on y verra Dolet puni du dernier supplice, non pas pour ce qu’on appelait luthéranisme, mais pour athéisme. »

    1. Thesaurus criticus [Trésor critique] de Janus Grüter (Francfort,  volumes, 1602-1634, v. note [9], lettre 117).

  4. Dans la suite de sa note C, Bayle a ainsi expliqué la férocité de Scaliger :

    « Dolet s’ingéra de courir sur les brisées de Scaliger : il écrivit contre Érasme en faveur de la secte cicéronienne, {i} après que Scaliger eut soutenu cette cause. Il n’y a guère d’auteurs à qui un tel procédé soit agréable. On le regarde comme un dessein affecté, ou de surpasser le premier tenant, ou de lui ôter la gloire d’être le seul qui rompe un lance. On croit même que celui qui se vient mêler du combat, prétend que la cause a été mal soutenue, et qu’elle a besoin de secours. Si tel est pour l’ordinaire le naturel des auteurs, jugez quelle fut l’indignation de Scaliger quand il vit Dolet sur les rangs, et qu’il prétendit le surprendre dans plusieurs mauvais artifices. Il prétendit, entre autres choses, que les plus beaux ornements de sa harangue avaient été pillés par Dolet et placés dans un faux jour ; et pour ce qui est des louanges que Dolet lui avait données, il ne lui en savait point gré, elles vinrent après coup et de trop mauvaise grâce pour réparer la première offense. »

    1. Dialogus de Imitatione Ciceroniana de Dolet [Dialogue sur l’Imitation de Cicéron] (Lyon,1535, v. supra note [47]).

    On peut ajouter à cela l’orgueil démesuré et la méchanceté sans égale de Scaliger.


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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑1 (1701), note 48.

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(Consulté le 25/04/2024)

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