Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 1, note 49.
Note [49]

« En 1605, Baronius eût été élu souverain pontife, à ce qu’en rapporte Duperron, si les Espagnols n’avaient pu s’y opposer en raison de ce qu’il avait écrit en ses Annales sur le royaume de Sicile. »

Deux conclaves se sont tenus en 1605 : le premier, le 1e avril, aboutit à l’élection d’Alessandro Ottaviano de Médicis qui prit le nom de Léon xi et mourut le 27 du même mois ; le second, le 29 mai suivant, élut Camillo Borghese, qui prit le nom de Paul v, dont le pontificat dura 17 ans. Baronius et Jacques Davy Duperron (v. note [20], lettre 146), qui défendait les intérêts de la France contre l’Espagne, ont participé à ces deux assemblées.

Les ambitions de Baronius sur la tiare pontificale sont longuement décrites dans le livre iii des Ambassades et négociations de l’illustrissime et révérendissime cardinal Duperron… (Paris, Henri le Gras, 1633, in‑4o, 4e édition augmentée), avec cette remarque du cardinal de Joyeuse (v. note [17], lettre 88) dans le rapport du premier concile de 1605 qu’il a dressé à l’intention du roi Henri iv (page 417) :

« Le mercredi neuvième, {a} le doyen des cardinaux fit lire à la Congrégation une lettre en espagnol que le duc de Feria, vice-roi de Sicile, écrivait au sacré Collège, par laquelle il lui mandait qu’il lui envoyait la copie d’une lettre qu’il écrivait au pape, {b} n’ayant pas encore su sa mort, pour se plaindre du cardinal Baronius sur ce qu’il avait écrit dans ses Annales touchant la monarchie de Sicile ; et priait Sa Sainteté d’y vouloir donner bon ordre, et le sacré Collège de faire cet office envers elle. Sur cela, le cardinal Baronius se leva et fit une très belle apologie sur ses écrits, commençant par le verset du Psaume, Deus laudem meam ne quæsieris, quia os peccatoris et dolosi, apertum est super me ; {c} et dit que les mémoires et instructions sur lesquels il avait dressé ce discours lui avaient {d} été envoyés de France ; mais que la France ne l’eût su faire parce que les pièces desquelles il l’avait composée ne se trouvaient ailleurs que dans la Bibliothèque vaticane ; qu’il n’avait fait cela que par le réitéré commandement du pape, lequel il appelait toujours Pierre, {e} disant que Pierre l’avait vu, lu, relu, considéré et fait voir à trois cardinaux, et commandé expressément qu’il fût publié ; qu’il avait toujours parlé en ce traité avec respect du roi d’Espagne, de qui il était né vassal ; {f} et fini, en trois fois, Dies mali sunt. » {g}


  1. De mars.

  2. Clément viii, mort le 3 mars. Le sacré Collège ou Collège cardinalice est l’assemblée des cardinaux.

  3. « Ô Dieu ! n’attends pas ma louange, parce que la bouche du pécheur et du fourbe s’est ouverte contre moi » (Psaumes, 108:1‑2).

  4. On comprend mieux la défense de Baronius (supposé allié au parti français) en remplaçant « avaient » par « auraient »

  5. V.  seconde notule {b} infra.

  6. Baronius était né en 1538, dans le royaume de Naples, alors espagnol.

  7. « Ce sont de funestes jours » (saint Paul, Lettre aux Éphésiens, 5:16).

Cette dispute n’empêcha pas le tome xii des Annales ecclesiastici de paraître à Rome en 1607 (Imprimerie vaticane, in‑fo, dédié au pape Paul v). Baronius y relatait page 283 le conflit qui mena en 1139 à la création du royaume de Sicile par le comte normand Roger de Hauteville (1095-1154), Roger ii de Sicile. La mort du pape Honorius ii, en février 1130, avait provoqué une scission du sacré Collège qui aboutit à l’élection simultanée de deux pontifes, Innocent ii (Gregorio Papareschi, mort en 1143) et Anaclet ii. Ce schisme sema le trouble dans la chrétienté. Le royaume de Sicile (qui incluait aussi la Calabre, l’Apulie et Naples) fut fondé dès septembre 1130 par une bulle d’Anaclet. Réfugié au nord de l’Italie, Innocent bénéficiait du soutien des autres pays d’Europe, dont la France, qui se coalisèrent pour engager une guerre contre le roi Roger. Après la mort d’Anaclet, en janvier 1138, les Siciliens se virent contraints d’obtenir la reconnaissance de leur royaume par Innocent, devenu seul et unique pape. Le 22 juillet 1139, ils emporaitent la bataille de Galluccio et emprisonnaient Innocent qui dut s’incliner, le 25 juillet, en signant le traité de Mignano confirmant la royauté de Roger ii. Cela permet de comprendre pourquoi, 466 ans plus tard, le vice-roi espagnol de Sicile pouvait s’irriter du récit de Baronius, puisqu’il y transformait presque Innocent ii en triomphateur de cet âpre conflit :

Continuo Rex ille per Legatos suos Pontifici Innocentio, quem captivum tenebat, suppliciter et ultra quam credi potest, mandavit humiliter ut paci et concordiæ manum apponat. Apostolicus itaque se destitutum viribus et armis et desolatum aspiciens : precibus Regis et petitionibus assensit, et capitularibus et privilegiis ex utraque parte firmatis ; Rex ipse et Duc filius eius, et Princeps decimoseptimo die stante mensis Iulii ante ipsius Apostolici præsentiam veniunt : et pedibus eius advoluti, misericordiam petunt, et ad Pontificis Imperium usquequaque flectuntur. Continuo per Evangelia firmaverunt B. Petro et Innocentio Papæ, eiusque successoribus canonice intrantibus fidelitatem deferre, et cetera quæ conscripta sunt. Regi vero Rogerio statim Siciliæ regnum per vexillum donavit. Petiit hoc Rogerius, ut titulum Regis Siciliæ, quem male acceperat ab Anacleto psuedopontifice, ab Innocentio Catholicæ Ecclesiæ legitimo Papa obtineret. Quod idem licet in captivitate positus libere præstitit Innocentius, sucepto ab eo pro eiusdem investitura regni iuramento fidelitatis de more.

[Aussitôt, ce roi envoya une députation au pape Innocent, qu’il tenait prisonnier, pour lui demander, humblement et de manière incroyablement suppliante, de bien vouloir signer un traité de paix. Le pape, se voyant abandonné, sans ressources ni armées, consentit donc aux prières et aux demandes du roi ; et une fois que les chartes et privilèges eurent été approuvés par les deux parties, le 17 juillet de ladite année, le roi en personne, accompagné du duc son fils et du prince, {a} vinrent se présenter au pontife : ils se jetèrent à ses pieds, lui demandèrent miséricorde et se soumirent en tout à son autorité. Aussitôt après, ils jurèrent sur l’Évangile de rester fidèles à saint Pierre {b} et au pape Innocent, ainsi qu’à leurs successeurs canoniquement désignés, avec d’autres engagements qui ont été consignés par écrit. Sur-le-champ, le pape attribua authentiquement, par la bannière, {c} le royaume de Sicile au roi Roger, lequel demanda à obtenir d’Innocent, pape légitime de l’Église romaine, le titre de roi de Sicile qu’il avait illicitement reçu du pseudopontife Anaclète ; et, bien qu’il fût en situation de captif, ledit Innocent lui accorda librement l’investiture de ce royaume après qu’il eut prêté le serment coutumier de fidélité].


  1. Cette date du 17 juillet 1139 est antérieure de huit jours à celle que les historiens modernes ont retenue pour le traité de Mignano. Les deux fils du roi étaient le duc Roger le Jeune et son frère Alphonse, prince de Capoue.

  2. Dans l’extrait de Duperron cité ci-dessus, Baronius s’est expliqué sur le sens de « saint Pierre », en établissant une subtile nuance entre Rome et le pape, c’est-à-dire entre la domination spirituelle et temporelle.

  3. C’est-à-dire en plaçant la Sicile sous la domination du souverain pontife : soit exactement la soumission que les Espagnols ne pouvaient admettre en 1605.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 1, note 49.

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(Consulté le 16/10/2024)

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