Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 5 manuscrit, note 49.
Note [49]

« Voyez les Elogia de Paul Jove, page 181. »

Andrea Navagero (Andreas Naugerius, Venise 1483-Blois 1529) a mené une triple carrière de diplomate, de poète latin et de botaniste. Paul Jove l’a peu encensé dans ses Elogia [Éloges], {a} page 145 :

Andreas Naugerius patritii ordinis, Sabellico Venetiis profitente, Latinas literas, Græcas autem a Marco Musuro Cretense Patavii hausit : sed Latinis delectu ac observatione præceptore diligentior, illum, quem superior ætas insalubri, atque aspera styli novitate delectata contempserat, candorem antiquæ puritatis assecutus est : ut funeribus Liviani ducis et Principis Lauredani laudationibus apparet. Proposito quidem Cicerone ad imitandum, quem Politianus, et Hermolaus fastidisse videbantur, utpote qui omnis eruditionis exundante copia instructi, aliquid in stylo proprium, quod peculiarem ex certa nota mentis effigiem referret, ex naturæ genio effinxisse nobilius putarint, quam servili imitatione enata ad novam frugem ingenia distorsisse. Magno tum quidem probro erat doctis, ridendis pares simiis videri. Eodem quoque præstanti iudicio, quum Epigrammata lepidissime scriberet, non falsis aculeatisque finibus, sed tenera illa, et prædulci prisca suavitate claudebat, adeo Martiali severus hostis, ut quotannis stato die Musis dicato, multa eius volumina tanquam impura cum exercitatione Vulcano dicarentur. Nec minore felicitate Etruscos numeros attigit : sed in Liviani contubernio castra secutus, studiorum diligentiam remisit, et salubri quidem remedio, quum ingenium bilis atra, veterum lucubrationum vigiliis accersita, haud leviter afflixisset. Propterea scribendæ Venetæ historiæ munus a senatu demandatum, acceptoque liberali stipendio, susceptum præstare non potuit : quanquam non desint, qui cum in ipso statim limine feliciter exordientem, religiosi operis gravitate deterritum existiment, quum infinita curiositate, summoque labore, et pertinaci memoria tantarum rerum notitia paranda videretur. Verum in ea cogitatione, ut Reipublicæ operam præstaret, a Senatu ad Carolum Cæsarem in Hispaniam missus, infaustam legationem suscepit, quum in id tempus incidisset, quo Italiæ Principes servitutis metu ad arma consternati, affectanti dominatum Italiæ Cæsari restitissent. Secunda autem suscepta legatione, quum exitiali festinatio, mutatis ad celeritatem iumentis in Galliam percurrisset, vix dum salutato rege, Blesio in oppido ad Ligerim febre correptus interiit quadragesimo septimo ætatis anno, omnique cum funeris honore, Rex Musarum amicissimus, nec sine luctu prosequutus est.

[Andreas Naugerius était de noble ascendance. Disciple de Sabellicus à Venise, qui lui a appris le latin, et du Crétois Marcus Musurus, {b} pour le grec ; mais, préférant et admirant la latinité, il s’y est montré plus assidu que son maître. Il estimait que le siècle précédent, charmé par les malsaines et rugueuses nouveautés du style, avait méprisé cette langue ; il y reproduisit donc l’éclatante blancheur de la pureté antique, comme il apparaît dans ses éloges funèbres du duc de Liviano et du doge Loredano. {c} Il s’était donc proposé d’imiter Cicéron, ce que Politien et Hermolao avaient regardé avec immense dégoût : {d} en hommes dotés d’une prodigieuse et universelle érudition, ils avaient pensé que le style de Cicéron renvoyait en quelque façon l’image de son propre génie, et trouvaient plus noble d’exprimer leurs pensées avec naturel que de tourmenter leur esprit à le copier servilement, car ils étaient nés pour innover. Il faisait la grande honte des gens instruits, qui riaient de ceux qu’ils comparaient à des singes. Dans la même idée, quand il écrivait ses très charmantes épigrammes, il ne les achevait pas sur des vers hypocrites et piquants, mais sur des mots tendres, d’une très douce et antique suavité. Il était si profondément hostile à Martial {e} que chaque année, au jour qu’il avait établi comme dédié aux Muses, il vouait aux flammes de Vulcain quantité de ses éditions, qu’il tenait pour impures. Il ne se mit pas avec moins de bonheur aux vers toscans ; {f} mais parti à la guerre, dans la suite de Liviano, il délaissa son assiduité pour les études, et ce remède fut salutaire, car la bile noire, accumulée par les veilles de ses élucubrations {g} invétérées, lui avait rudement délabré l’esprit. Quand le Sénat lui confia la charge d’écrire l’histoire de Venise, en lui offrant de généreux émoluments, il ne put en venir à bout : {b} il ne manque pas de gens qui, après avoir heureusement entrepris cette tâche méticuleuse, s’en sont détournés en raison de sa lourdeur, car on voit qu’il faut d’infinies recherches, un travail acharné et une mémoire infatigable pour dresser le récit de tant d’affaires. Dans cette même intention de le mettre au service de la République, le Sénat l’envoya auprès de Charles Quint en Espagne. Son ambassade fut malheureuse car elle tombait au moment où les princes d’Italie, poussés à prendre les armes, dans la crainte d’être asservis, tentaient de résister à l’empereur qui cherchait à mettre l’Italie sous sa domination. {h} Il entreprit ensuite une seconde ambassade, dont la précipitation lui fut fatale : ayant chevauché à vive allure jusqu’en France, il eut à peine le temps de saluer le roi, à Blois, sur les bords de Loire, qu’il fut saisi d’une fièvre lente et mourut en sa quarante-septième année d’âge. Tous les honneurs lui furent rendus pour ses funérailles, et le roi, qui était fort ami des Muses, y assista non sans chagrin]. {i}


  1. Bâle, 1577, v. note [27], lettre 925.

  2. Deux des maîtres de Navagero furent : Marcus Antonius Sabellicus (Marco Antonio Coccio, dit Sabellico (Vicovaro, près de Rome 1436-Venise 1506), historien dont Navagero a prolongé l’Histoire de Venise, ensuite achevée par Pietro Bembo (v. supra notule {h} note [38]) ; et Marcus Musurus (Markos Mousouros, Réthymnon, Crète vers 1470-Rome 1517), littérateur et poète grec et latin.

  3. Les Andreæ Naugerii… Orationes duæ, Carminaque nonnulla [Deux Discours et quelques Poèmes d’Andreas Naugerius…] (Venise, Ioan. Tacuinus, 1534, in‑4o) contiennent son Oratio habita in funere Bartholomæi Liviani [Discours prononcé pour les funérailles de Bartolomeo Liviano (duc de Saint-Marc, le 10 novembre 1515)] (fos i‑x) et son Oratio habita in funere Leonardi Lauretani Venetiarum Principis [Discours prononcé pour les funérailles de Leonardo Loredano, sérénissime prince (doge) de Venise (le 25 juin 1521)] (fos xi‑xxiiii).

  4. V. notes [7], lettre 855, pour Politien (Angelo Poliziano), et [41], notule {c}, du Faux Patiniana II‑1, pour Hermolaus (Hermolao Barbaro).

  5. V. note [17], lettre 75, pour Martial, l’un des plus piquants poètes satiriques latins.

  6. La Toscane est le berceau de la plus pure langue italienne.

  7. Fruits des veilles studieuses (v. note [2], lettre de François Citois datée du 17 juin 1639).

  8. La sixième guerre d’Italie (1521-1525) engagea Charles Quint, allié à l’Angleterre et aux États pontificaux, contre la France, alliée de Venise et du royaume de Navarre. Elle se termina par la victoire impériale de Pavie et par l’emprisonnement du roi François ier à Madrid pendant une année (v. note [15], lettre 88). Navagero a séjourné en Espagne de 1524 à 1528.

  9. François ier régna jusqu’en 1547. Ces détails situent indiscutablement la mort de Navagero en 1529 (le 8 mai). On a publié plus tard Il Viaggio fatto in Spagna, et in Francia, dal magnifico M. Andrea Navagiero, fu oratore dell’illustrissimo Senato Veneto alla Cesarea Maesta di Carlo v, con la descrittione particolare delli luochi, et costumi delli popoli di quelle Provincie [Le Voyage qu’a fait en Espagne et en France le magnifique M. Andrea Navagero, feu ambassadeur de l’illustrissime Sénat de Venise auprès de Sa Majesté l’empereur Charles Quint, avec la description particulière des lieux et des coutumes des peuples de ces pays] (Venise, Domenico Farri, 1563, in‑8o). Le voyage de France est celui qui le ramena d’Espagne à Venise (mai-septembre 1528), en passant par Paris et Lyon. Il repartit en hâte pour Blois peu de temps après son retour.

La biographie donnée par le Borboniana était anachronique en deux endroits : Navagero mourut en 1529 (et non 1512), et son ambassade en France eut lieu sous le règne de François ier (et non de Louis xii, son beau-père et prédécesseur, mort en 1515).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 5 manuscrit, note 49.

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(Consulté le 25/04/2024)

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