De Julien Bineteau, le 8 octobre 1651, note 5.
Note [5]

« “ Le gosier tue plus de gens que le glaive ” ; mais vous en assassinez plus avec le glaive qu’avec le gosier, et bien que votre bouche et votre langue puissent beaucoup, vous pouvez bien plus encore avec votre lancette. »

Ma traduction, volontairement fort agressive, de ce propos entend respecter le ton outragé de la lettre et ma quasi-certitude que Julien Bineteau se référait à la sentence énoncée par Guy Patin dans sa thèse sur la Sobriété, (1647) qui avait tant offusqué les pharmaciens : sicque plures interimat gula quam gladius [et c’est ainsi que le gosier tuerait plus de gens que le glaive] (fin du 3e article, v. sa note [31]).

Jean-Louis Guez de Balzac (v. note [7], lettre 25) a attribué le proverbe à Cicéron dans une lettre qu’il écrivait à Gilles Ménage le 4 septembre 1646, à propos d’un amateur de voluptés (Lettres choisies…, Amsterdam, Elsevier, 1656, in‑12, livre quatrième, lettre xix, pages 172‑173) :

« Faites-le souvenir que notre Platon met au nombre des prodiges la bonne chère deux fois par jour, et que contre les bisques, les ragoûts, cæteraque id genus ingeniosæ gulæ irritamenta non satis cauta mortalitas est. {a} Je me donne cet avis aussi bien qu’à lui ; et quoique je ne sois pas à Paris, nous nous trouvons souvent ici en des occasions assez périlleuses. Ce sont des occasions (apprenez ceci de moi, vous qui savez tout) dans lesquelles un connétable et un maréchal de France ont fini leurs jours : illos siquidem, ut medici sanctissime asseverarunt, gula occidit, non gladius. {b} Voilà un étrange jargon, et une bigarrure, {c} qui ferait peur à nos confrères de l’Académie. Cicéron pourtant s’est servi de ce jargon et s’est ainsi bigarré, traitant avec Messer Pomponio Attico, {d} qui n’était pas comme vous savez, le moins honnête homme de ce temps-là. »


  1. « et les autres stimulants de ce genre, dont un homme de fin bec ne se méfie pas assez » (bel échantillon du latin précieux, acrobatique et à peu près intraduisible de Balzac).

  2. « puisque, comme l’ont très saintement observé les médecins, ce fut le gosier, et non le glaive, qui les tua. »

  3. Une bigarrure est un mauvais assortiment de mots (dont l’évidence m’échappe ici).

  4. Les Lettres de Cicéron « à Messire Pomponius Atticus » sont composées de 14 livres. Je n’y ai pas trouvé l’expression que Balzac lui prêtait ici.

Gaston Phébus (v. note [1], lettre 121) a dit autrement les choses dan sa Chasse (Prologue, page 8) :

« Encore te veull-je prouver que veneurs vivent plus longuement que nulle autre gent. Quar, comme dit Ypocras : plus occist repletion de viandes que ne fet glaives ne coutiaux ; et comme ilz boivent et mangent moins que gent du monde, quar au matin à l’assemblée ils ne mangeront que pou ; et si au vespre ils soupent bien, au moins auront-ilz au matin corrigé leur nature, car ils auront pou mengié et nature ne sera point empeschiée de faire la digestion, par quoi males humeurs ne superfluitez se puissent engendrer. » {a}


  1. Traduction en français moderne :

    « Encore te voudrais-je prouver que les chasseurs vivent plus longuement que nulle autre sorte de gens. Car, dit Hippocrate, plus a occis satiété de viandes que ne font glaives et couteaux ; {i} et comme ils boivent et mangent moins que les gens du monde, puisqu’au matin, à l’assemblée, ils ne mangeront que peu, et même si le soir ils soupent bien, au moins auront-ils au matin corrigé leur nature, car ils auront peu mangé et la nature ne sera point empêchée de faire la digestion, grâce à quoi ni mauvaises humeurs ni superfluités se peuvent engendrer. »

    1. Je n’ai pas trouvé d’aphorisme hippocratique approchant celui-là.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Julien Bineteau, le 8 octobre 1651, note 5.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=9090&cln=5

(Consulté le 25/04/2024)

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