De Christiaen Utenbogard, le 21 août 1656, note 51.
Note [51]

Cet autre livre que Christiaen Utenbogard envoyait à Guy Patin éclaire utilement la dispute entre Gisbertus Voetius et René Descartes. Il portait le titre complet de :

Magni Cartesii manes ab ipsomet defensi ; sive N.V. Renati Des-Cartes Querela Apologetica ad Amplissimum Magistratum Ultrajectinum, qua technæ, calumniæ, mendacia, falsorum testimoniorum fabricæ, aliaque crimina Voetiorum et Dematii, plenè reteguntur. Opusculum antea ineditum, nunc vero opponendum quotidianis Voetii et Voetianorum criminationibus, iis nominatim quas sub Theologiæ Naturalis Reformatæ titulo haud ita pridem emiserunt.

[Les Mânes du grand Descartes {a} défendues par lui-même, ou la Plainte apologétique du noble M. René Descartes adressée à très éminent magistrat d’Utrecht, qui dévoile entièrement les fourberies, les calomnies, les mensonges, les fabrications de faux témoignages et les autres méfaits des voétiens et de Dematius. {b} Opuscule inédit, mais qu’il faut maintenant opposer aux accusations malveillantes et quotidiennes de Voetius et des voétiens, et nommément à celles contenues dans la Théologie naturelle réformée {c} qu’ils ont récemment publiées]. {d}


  1. Mort à Stockholm en février 1650.

  2. Carolus Dematius (De Maets, Leyde 1597-Utrecht 1651), théologien protestant, pasteur et professeur de théologie à Utrecht, formait avec Gisbertus Voetius et Meinardus Schotanus (v. note [5], lettre latine 300) le groupe théologique des voétiens.

  3. Utrecht, 1656, v. supra note [19].

  4. Vristadii, {i} Lancellotus Misopodes, {ii} 1661, in‑4o. {iii}

    1. Sans doute la localité fictive de Vrijstad en flamand [Ville de la liberté] (pour Groningue ?), plutôt que le nom latinisé de Fristaden Christiana, quartier de Copenhague.

    2. Néo-latino-hellénisme signifiant « qui n’aime pas les pieds » (pour le libraire Johannes Nicolaus ?), c’est-à-dire Voet (v. supra note [27]) et ses affidés.

    3. L’ouvrage est une lettre de 28 pages que René Descartes a écrite aux magistrats d’Utrecht pour sa défense contre ses adversaires utltracalvinistes.

La préface Ad Lectorem [Au lecteur], non signée, {a} est datée de Vristadii le 10 août 1656. Elle commence par expliquer la genèse de la Querela Apologetica :

Ut ex Africa semper aliquid novi, ita quotidie aliquid monstri prodit ex officina Voetiana ; adeo pertinax est illud Theologicum Gisberti Voetii odium ut videatur Ætnæ ac Vesuvii perennes flammas superare. Iamdiu noster Heros ad plures Suecia abierat, Schoockio-Voetiana lis post Schoockii appelationem per annos aliquot siluerat, scriptionum polemicarum induciæ Authoritate publica inter Voetium et Maresium, ceu earundem partium Theologos, pactæ fuerant, cùm derepentè apparuit instar spectri horridioris Voetii Theologia naturalis reformata, partim ineptiis ineptissimis referta, partim vero calumniis et conviciis atrocissimis in Maresium, Schoockium, ac τον πανυ Cartesium, Philosophorum Decus et Coryphæum, tota consuta, ut revera pro Theologia naturali reformata, meram diabologiam moralem deformatissimam suo Lectori exhibeat. Displicuit equidem ille liber inficetus prudentioribus omnibus, fuitque ut audimus censurâ notatus à quibusdam Synodis in Belgio ; sed cùm hæc judicia intra privatos parietes maneant, aliquid illi reponi publice debuit, ne de Veritate et Innocentia aliorum ejus author impune triumphet, et sibi de sua maledicentia tanto magis gratuletur, quanto grandius honorarium dicitur à Magistratu Ultrajectino ex illius dedicatione retulisse. Quid fecerint aut facturi sint Groningenses nobis nondum constat, nisi quod fando accepimus Maresium aliquid pro se scripsisse per modum Apendicis ad alium aliquem tractatum Theologicum, quod num sit verum et an Shoockius sit taciturus, dies docebit. Nos vero non putavimus nostrum Heroem melius defendi posse quam à seipso : Profecturus in Sueciam hanc Apologiam quam tibi damus Gallice à se consciptam, Latinè versam ab Amico, reliquerat in oris, cum animo eam evulgandi, si privatim operaretur. Quoniam vero morte præventus, nequivit quod destinaverat perficere, importunitate Adversariorum suorum cogimur nunc eam in lucem emittere, ut quam maledicendo homini mortuo ceperunt voluptatem, vera de seipsis audiendo a imsomet amittant, ac in posterum desinant imbelles lepusculi leonis mortui barbam vellicare.

[De même qu’il nous arrive toujours quelque nouveauté d’Afrique, {b} il nous vient tous les jours quelque monstruosité de l’officine voétienne, car la haine théologique de ce Gisbertus Voetius est si obstinée qu’elle semble surpasser les flammes perpétuelles de l’Etna et du Vésuve. Depuis longtemps déjà, notre héros était mort en Suède, {c} le procès schoockio-voétien, consécutif au recours de Schoock, avait pris fin, l’autorité publique avait établi la trêve des écrits polémiques entre Voetius et Desmarets, ou les théologiens de leurs partis, {d} quand soudain, tel un spectre horrifiant, parut la Theologia naturalis reformata de Voetius, à la fois remplie des inepties les plus ineptes, mais aussi toute cousue des calomnies et des invectives les plus atroces contre Schoock, Desmarets et τον πανυ {e} Descartes, gloire et coryphée des philosophes ; de sorte qu’à vrai dire, au lieu d’une Théologie naturelle réformée, il exhibe à son lecteur une pure diablerie morale des plus déshonorantes. Ce livre grossier a assurément déplu à tous les gens de bon sens et nous avons ouï dire que certains synodes flamands l’ont frappé de censure ; mais comme ces sentences sont restées confinées dans des enceintes privées, on s’est fait un devoir de répondre publiquement à ce livre pour que son auteur n’aille pas triompher impunément de la vérité et de l’innocence des autres, et se féliciter de ses médisances avec d’autant plus d’éclat que, dit-on, sa dédicace a très grandement flatté les magistrats d’Utrecht. {f} Nous ne savons pas encore ce que ceux de Groningue {g} ont fait ou feront, sinon que nous avons ouï dire que Desmarets a écrit quelque chose pour sa défense, sous la forme d’un appendice à quelque autre traité théologique. L’avenir nous dira si cela est vrai et si Schoock restera silencieux ; mais nous, nous avons pensé que notre héros ne pouvait être mieux défendu que par lui-même : comme il allait se rendre en Suède, {h} il a laissé ici cette Apologia, écrite en français, dont nous vous donnons la traduction en latin faite par un ami, sans autre intention particulière que de la divulguer. Comme la mort l’a empêché de parfaire ce qu’il avait entrepris, la cruauté de ses adversaires nous a poussés à la publier maintenant, pour les dispenser de cette volupté qu’ils ont éprouvée à médire d’un homme mort, en entendant les vérités qu’il a lui-même dites à leur sujet, et pour que dorénavant ces lâches levrauts cessent de picoter la barbe du lion défunt].


  1. Sur l’exemplaire que j’ai consulté, venant de la Bibliothèque universitaire d’Amsterdam, un crayon anonyme a ajouté, sous la date, le nom de Sam. Maresius, soit Samuel Desmarets, alors professeur de théologie calviniste à Groningue, qui était en effet étroitement impiqué dans la querelle (v. note [19]).

  2. Adage de Pline l’Ancien commenté par Érasme (v. note [25], lettre 273).

  3. Directement contre Voetius, René Descartes avait publié :

    Epistola Renati Des-Cartes ad celeberrimum Virum D. Gisbertum Voetium. In qua examinantur duo libri, nuper pro Voetio Ultrajecti simul editi, unus de Confraternitate Mariana, alter de Philosophia Cartesiana.

    [Lettre de René Descartes au très célèbre M. Gisbertus Voetius. Y sont examinés deux livres, récemment publiés en même temps à Utrecht, en faveur de Voetius : l’un sur la Confrérie mariale, {i} l’autre sur la Philosophie cartésienne {ii}]. {iii}

    1. Specimen assertionum partim ambiguarum aut lubricarum, partim periculosarum, ex tractatu nuperrime scripto pro Sodalitatibus B. Mariæ inter Reformatos erigendis aut interpolandis, titulo, Defensio pietatis et sinceritatis etc. excerptarum, quod Ecclesiis Belgicis, earumque fidis Pastoribus et Senioribus expendendum offertur a Gisberto Voetio Theologiæ in Acad. Ultrajectina Professore [Preuve des assertions à la fois ambiguës ou glissantes et périlleuses, tirées d’un traité récemment publié pour établir ou rétablir des confréries de sainte Marie parmi les réformés, sous le titre de Défense de la piété et de la sincérité, etc. Offert au jugement des Églises flamandes, et de leurs fidèles pasteurs et doyens, par Gisbertus Voetius, professeur de théologie en l’Université d’Utrecht] (Utrecht, Ioannes van Waesberge, 1643, in‑12 de 511 pages, portant le titre courant de Confraternitas Mariana.

    2. Marten Schoock (Utrecht, 1643), v. supra note [22].

    3. Leyde, Ludovicus Elsevirius , 1643, in‑12 de 282 pages.
  4. Le 31 mai 1649, le tribunal d’Utrecht avait prononcé un jugement visant à clore la querelle théologique opposant d’un côté Marten Schoock et Samuel Desmarets, et de l’autre Gisbertus Voetius et Carolus Dematius.

  5. « le très fameux ».

  6. Paulus Voet (fils de Gisbertus) avait dédié sa Theologia naturalis reformata (v. supra première notule {c}) Nobilissimis et Amplissimis Viris DD. Consulibus et Senatoribus Inclytæ Reipublicæ Ultrajectinæ, Academiæ Curatoribus [À Messieurs les très nobles et éminents conseillers et sénateurs de l’illustre république d’Utrecht, curateurs de l’Université].

  7. Les théologiens opposés aux voétiens.

  8. En septembre 1649.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Christiaen Utenbogard, le 21 août 1656, note 51.

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(Consulté le 24/04/2024)

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