Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑4 (1701), note 52.
Note [52]

Aimar de Ranconnet (ou Rançonnet, Périgueux 1498-Paris 1559), fils d’un avocat au parlement de Bordeaux, devint lui-même conseiller en cette juridiction, puis monta à Paris, où il fut nommé président en la deuxième des Enquêtes. Il était réputé pour l’immense étendue de son savoir (Popoff, no 347).

Pithœana (page 491) :

« Les quatre plus grands hommes de notre siècle sont Cujas, Ranconnet, Scaliger,Turnèbe ; {a} le reste ne sont que vendeurs de coquilles. {b} […] Ranconnet était pauvre et servit quasi de correcteur à Robert i et à Charles Estienne. Le Dictionnaire de Charles Estienne est de lui. {c} Sa fille est morte sur un fumier, son fils exécuté, sa femme du tonnerre, {d} et lui en prison.

Ranconnet se fit mourir d’avoir trop mangé, puis mit un marbre sur son ventre. {e}

Quand je serai mort, on dira que j’ai été sorcier en ma Loi Salique. » {f}


  1. Celui des deux Scaliger que François Pithou admirait le plus était Jules-César, le père (v. note [5], lettre 9). V. note [20], lettre 392, pour Turnèbe (Adrien Tournebœuf)

  2. Coquille « se dit figurément de toute sorte de marchandise dont on trafique. Ce marchand vend bien ses coquilles. “ À qui vendez-vous vos coquilles ? À ceux qui reviennent de Saint-Michel ! ” : se dit aux vendeurs qui croient que les acheteurs ne connaissent pas le prix de ce qu’ils marchandent » (Furetière).

  3. V. notes [7], lettre 659 pour le Dictionarium latin de Robert i Estienne (Paris, 1536), et [2], lettre 755 pour son frère Charles, qui a participé à plusieurs de ses rééditions et publié son propre Dictionnaire français latin, autrement dit Les mots français avec les manières d’user d’iceux, tournés en latin (Paris, Robert Estienne, 1549, in‑4o).

    Le seul ouvrage imprimé portant la signature de Ranconnet, avec celle de Jean Nicot, est le Trésor de la Langue française (Paris, 1606, v. note [24], lettre 1019).

  4. « On dit qu’un homme mourra sur un fumier, quand on lui voit faire des dépenses excessives qui le ruinent » (Furetière). Pour la fille de Ranconnet, il s’agissait apparemment plutôt de débauches incestueuses que de dépenses, mais cela n’est pas avéré.

  5. V. note [62] du Borboniana 5 manuscrit pour un commentaire médical sur cette curieuse manière de se suicider.

  6. Euphémisme pour dire : « j’ai commis l’inceste » en séduisant (ensorcelant) ma fille (que la loi salique excluait de l’héritage de son père, v. note [15], lettre 739).

    Dans son éloge d’Aimar de Ranconnet, {i} Scévole i de Sainte-Marthe {ii} a ainsi évoqué son funeste destin, sans qualifier précisément le crime dont il fut accusé ni évoquer l’éventualité d’un suicide (pages 52‑53) :

    Is enim Burdigalæ Senatu posthabito in Parisiensem venit, ubi Consiliarii primum, deinde Præsidis æquissimi scientissimique partes implevit. Eo maiori nominis claritudine, quod in eo certatim elucerent hinc Senatoria purpura, illinc politiorum literarum splendor. Sed hæc omnia fati malignitas obscuravit. Nam inter reos delatus et malevolorum coniuratione in extremum capitis fortunarumque discrimen vocatus est : neque illi festina mors purgandi sui locum reliquit. Qua calamitate domus tanti viri percussa, non opum modo iacturam fecit, sed earum etiam rerum, quæ nullo precio parari possunt ac restitui. Nam quæcunque aut collegerat, aut in veterum auctorum difficiliores locos adnotaverat, magno re literariæ detrimento perierunt. Adnotaverat autem plurima, primusque novam et insolentem scrutendæ antiquitatis viam studiosis aperuerat. […] Periit senx meliore fortuna dignus ex impotenti dolore animi vincula et carcerem indignantis. Cui vita functo Renatus Faber avunculus meus ex Senatorum Ordine in Præsidii dignitatem successit, cum annus esset eius seculus quinquagesimus nonus.

    Traduction enjolivée, mais sémantiquement fidèle, de Guillaume Colletet, {iii} livre i, pages 120‑123 :

    « Il quitta le parlement de Bordeaux pour être conseiller au Parlement de Paris, où il fut ensuite honoré d’une charge de président, qu’il exerça avec autant de suffisance et de sincérité qu’on peut en espérer d’un juge aussi savant qu’équitable. Ce qu’il faisait avec d’autant plus de bruit et de réputation qu’il semblait que la pourpre éclatante de sénateur et la splendeur des belles-lettres tâchaient à l’envi de reluire en sa personne. Mais toutes ces brillantes marques d’honneur furent bientôt ternies par les disgrâces de la fortune, et par son malheur propre. Car il advint que de certaines gens, qui le haïssaient et à qui peut-être sa gloire donnait de l’ombrage, l’accusèrent d’un crime horrible et capital, et le faisant mettre prisonnier comme s’il eût été coupable, le mirent en danger de perdre honteusement et la vie et les biens. Mais certes, il fut en cela estimé d’autant plus malheureux que la mort qui le surprit inopinément ne lui donna pas le temps de se justifier de cette noire accusations. La perte de ce grand homme confondit et ruina de telle sorte toute sa famille qu’elle ne perdit pas seulement toutes ses richesses, mais qu’elle perdit encore des choses que tous les trésors du monde ne sauraient jamais payer ; puisqu’au grand dommage de la république des lettres, toutes les doctes remarques qu’il avait faites sur les passages les plus obscurs et les plus difficiles des anciens auteurs furent ensevelies dans le désastre général de sa maison. […] La douleur qu’il conçut de se voir dans les fers d’une honteuse prison toucha si vivement son esprit que, n’ayant pas assez de force pour digérer cet affront, il mourut de tristesse et d’ennui, étant déjà fort âgé, mais bien digne, après tout, d’une meilleure fortune. René Le Fébure, nom oncle, qui était conseiller à la Cour, succéda lors à sa charge de président, l’an 1559. »
    1. V. notes [52] et [53] du Patiniana I‑4.

    2. Gallorum doctrina illustrium Elogia… [Éloges des Français illustres pour leur savoir…], Poitiers, 1606, v. note [13], lettre 88.

    3. Paris, 1644, v. note [13], lettre 88.

Jacques-Auguste i de Thou a aussi rendu hommage à cet extraordinaire personnage (Thou fr, livre iii, année 1559, règne de François ii, volume 3, pages 417‑418) :

« Une littérature universelle, une connaissance exacte de l’Antiquité sacrée et profane, et de toutes les sciences, sans en excepter aucune, faisaient avec justice admirer Ranconnet. Il possédait au plus haut degré toutes ces sciences, dont une seule eût rendu le nom d’un autre illustre à la postérité. Il fut le premier qui puisa dans les sources du droit romain. Son goût par rapport aux belles-lettres se forma par la lecture des auteurs grecs et latins. Il savait à fond la philosophie et les mathématiques : rien n’échappait à la vivacité de son esprit et à la justesse de son jugement. Il fut d’abord conseiller au parlement de Bordeaux et eut ensuite une charge de second président aux Enquêtes {a} du Parlement de Paris, qu’il exerça avec une grande réputation ; jusqu’à ce que, nos démêlés sur la foi ayant excité des troubles, il fut enveloppé dans les malheurs où tant de grands hommes se trouvèrent engagés ; quoique le crime énorme, qu’on lui imputa faussement, n’eût aucun rapport à la religion. {b} Ayant été conduit à la Bastille (comme il l’avait prévu depuis longtemps, par la connaissance qu’il avait de l’astrologie judiciaire, qu’il avait étudiée avec Jérôme Cardan), il y finit ses jours à l’âge de plus de soixante ans, par un genre de mort extraordinaire. {c}

Au reste, le président Ranconnet n’a presque fait aucun ouvrage ; mais il a fourni aux autres des matériaux pour écrire ; ayant laissé un grand nombre de livres imprimés ou manuscrits, enrichi des savantes notes qu’il avait faites sur chaque ouvrage. {d} Plusieurs doctes de ce siècle-ci ont profité heureusement de ces remarques, et nous ont donné des écrits puisés dans ces notes, lesquelles leur ont fait beaucoup d’honneur et ont été très utiles au public. Quelquefois ils le citent par reconnaissance, mais souvent ils n’en disent rien. À voir Ranconnet, qui était dissipé par plusieurs affaires, on n’aurait pas cru qu’il se fût donné tout entier aux lettres. Voici comme il arrangeait ses études : après un léger souper, il se couchait pour peu de temps et se levait après le premier sommeil, à l’heure où nos moines (dont il louait fort les mœurs et la règle, surtout par rapport à sa santé) chantent matines ; {e} comme eux, il s’enveloppait la tête d’une espèce de capuchon, habillement qu’il trouvait fort commode pour garantir du froid les épaules et la tête ; alors, il passait quatre heures à étudier et à méditer sur ses lectures. Il disait qu’il était étonnant combien il faisait de progrès dans l’étude en un temps où l’esprit est épuré par un premier repos, où les idées sont nettes, à la faveur du silence de la nuit, et où de profondes réflexions ne sont point interrompues ; ce qui ne peut être durant la journée. Il ajoutait que cela contribuait aussi à la santé parce que lorsqu’on est levé, il est facile d’évacuer la pituite qui sort du cerveau après le premier sommeil, laquelle se condense si vous continuez à dormir, s’attache à l’estomac et engendre, dans la suite, des humeurs nuisibles qui attaquent surtout les gens de cabinet. Puis il se remettait au lit, et après un sommeil paisible de quelques heures, il achevait heureusement ce qu’il avait médité pendant la nuit. Ensuite, il remplissait les différents devoirs de sa charge et de la vie civile. Il écrivait parfaitement en grec et en latin, comme on le voit par les excellentes notes qu’il a faites sur une infinité de livres en tout genre, lesquels ont été dispersés après sa mort et sont aujourd’hui entre les mains des savants. On est charmé en les lisant de la beauté de son écriture, et des recherches rares et curieuses qu’on y trouve. »


  1. Erreur de traduction, pour « président en la deuxième des Enquêtes ».

  2. Thou écartait l’hérésie priscillianiste (v. infra note [53]) comme cause de la condamnation de Ranconnet.

  3. V. supra notule {e} pour ce que François Pithou a laissé entrevoir de la condamnation et de la mort infamantes qui frappèrent Ranconnet.

  4. On peut feuilleter sur Gallica un exemplaire latin de l’Histoire naturelle de Pline (Paris, Galliot Du Pré, 1532, in‑fo) entièrement couvert des annotations manuscrites de Ranconnet.

  5. « Office de l’Église qu’on dit de grand matin, quelquefois à minuit, et quelquefois la veille » (Furetière). La règle stricte les place entre minuit et le lever du jour.

Barnabé Brisson, « seigneur de La Boissière, né à Fontenay-le-Comte, en Poitou, fut d’abord avocat plaidant au Parlement de Paris, où il se distingua tant que le roi le pourvut, l’an 1570, de la charge d’avocat général au même Parlement, qu’il exerça jusqu’au < blanc > août 1580, qu’il fut reçu président à mortier. Il fut contraint par les ligueurs de prendre la charge de premier président d’Achille de Harlay, prisonnier à la Bastille [v. note [19], lettre 469]. Les plus furieux de la Ligue se saisirent de lui et l’enfermèrent en prison où < ils > l’étranglèrent cruellement, il mourut le 13 novembre 1591 » (Popoff, no 68). V. note [57] du Borboniana 10 manuscrit pour la manière dont la veuve du président Brisson vengea l’inique exécution de son mari.

Les raisons et le circonstances de sa sinistre fin se lisent en grand détail dans Thou fr, livre cii, année 1591, règne de Henri iv (volume 11, pages 440‑444) : il fut « pendu à une échelle attachée à une poutre » avec deux de ses collègues ; puis « les corps de ces trois magistrats ayant été tirés le lendemain de la prison, furent attachés à trois gibets devant l’Hôtel de Ville, dans la place de Grève, avec des écriteaux contenant des faussetés. Après avoir été exposés pendant deux jours à la fureur de la populace, enfin, quelques amis les enlevèrent durant la nuit et leur donnèrent la sépulture. »

« Ses Formules sont de Ranconnet » (Pithœana, page 492) : Brisson a laissé plusieurs ouvrages dont les De Formulis et sollemnibus populi Romani verbis libri viii [Huit livres des Formules et des expressions coutumières du peuple romain] (Paris, Sébastien Nivelle, 1583, in‑fo), précieux et copieux lexique pourvu de deux index. Mon œil s’est arrêté sur cette limpide explication du mot Vale qui se lit communément à la fin des lettres latines (page 846) :

Atque ut Epistolarum principiis salutem adcribere moris erat, ita et eas publico et communi verbo vale claudebant. Quod quia notius est quam ut exemplis firmari debeat, unum Ovidium testem citabo qui lib. v. Trist. Eleg. xiii.

Accipe, ait, quo semper finitur epistola, verbo,
Atque meis distent, ut tua fata, vale.

[Puisqu’il était habituel d’adresser ses salutations au début des lettres, on les terminait par vale, {a} mot commun de tous les jours. Cela est fort connu, mais si je dois le prouver, je citerai le témoignage d’Ovide, qui dit au livre v des Tristes, élégie xiii :

Reçois ce mot qui finit toujours les lettres, et puisse ta destinée être différente de la mienne, vale]. {b}


  1. Impératif présent singulier (car le latin ignore le vouvoiement), parfois employé au pluriel (Valete), pour s’adresser à plusieurs personnes, du verbe valere, « être fort, en bonne santé », qu’on peut traduire par « adieu » ou, plus fidèlement à mon avis, par « porte-toi bien » ; « santé » aurait été meilleur encore, s’il ne s’était vu tôt et exclusivement réservé à la « cérémonie de table, lorsqu’on s’adresse, avant que de boire, à quelqu’un, pour lui dire qu’on va boire à son honneur ou à son intention, ou < à celle > de quelque autre personne, présente ou absente, et lorsqu’on l’invite à en faire raison, c’est-à-dire à en faire autant » (Furetière).

  2. Deux derniers vers (33‑34) de l’élégie citée.

L’intérêt de Guy Patin pour Ranconnet venait peut-être de ce que lui en avait raconté Nicolas Bourbon : v. notes [61] et [62] du Borboniana 5 manuscrit.

Cet article du Patiniana imprimé ne figure pas dans le manuscrit de Vienne.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑4 (1701), note 52.

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(Consulté le 19/04/2024)

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