Cet article du Borboniana manuscrit et les suivants se trouvent (plus ou moins châtrés) dans le Borboniana imprimé (Paris, 1751).
- Au cours de la huitième et dernière guerre de Religion (1585-1598), se forma, entre 1590 et 1593, un tiers parti, ajouté aux deux factions qui se disputaient le pouvoir en France depuis trente ans : les ligueurs ultracatholiques, soutenus par l’Espagne et par Rome, et les loyalistes (catholiques modérés et calvinistes), fidèles à la Couronne. Cette troisième voie, catholique mais non ligueuse, contestait la légitimité de Henri iv, roi protestant (converti à la religion romaine en 1593), et visait à le destituer pour le remplacer par un membre de la branche cadette des Bourbons.
- Enrico Catherino Davila, {a} a ainsi résumé la situation dans son Histoire des guerres civiles de France. Contenant tout ce qui s’est passé de plus mémorable sous le règne de quatre rois, François ii, Charles ix, Henri iii et Henri iv, surnommé le Grand, jusques à la paix de Vervins, inclusivement…, {b} tome second, livre douzième, année 1591, page 200 :
« Il y avait déjà longtemps que le cardinal de Bourbon {c} s’était mis dans la pensée de faire un parti de catholiques qui fût différent de la Ligue et de ceux qui suivaient le roi. {d} Ce dessein avait pris naissance en lui de ce qu’il voyait que le roi, par son obstination à ne se point vouloir convertir, ne se rendait pas seulement difficile à soi-même la possession du royaume, mais privait encore toute la famille royale des justes prétentions qu’elle avait à l’hérédité de la Couronne, dont tous ceux de la Maison étaient exclus à cause qu’ils suivaient un prince hérétique. Aussi se parlait-il déjà parmi les ligueurs de rompre la loi salique, {e} et de faire tomber le sceptre entre les mains d’autres princes que de ceux du sang royal de France. À quoi vraisemblablement le cardinal de Bourbon avait plus d’intérêt que pas un autre, pource que le Prince de Condé, son cousin, bien à peine sorti du berceau, {f} était élevé dans la religion huguenote ; et que d’ailleurs, le Prince de Conti, son aîné, avait des défauts qui ne le rendaient pas beaucoup propre au gouvernement, outre qu’on ne croyait pas qu’il dût avoir des enfants, ayant été taillé de la pierre en ses premières années. {g} De manière que, se fondant là-dessus, il se persuadait d’être celui de tous que la Couronne regardait de plus près ; outre que le comte de Soissons, troisième des frères, était moins âgé que lui, {h} et le duc de Montpensier beaucoup plus éloigné qu’eux du vrai degré de la succession. {i} Ces considérations, jointes aux déplaisirs de son âme, {j} y firent naître un désir, qu’il y nourrit peu à peu, d’aller au devant de l’inconvénient qu’il prévoyait, et de former un parti par le moyen duquel il se pût faire élire roi ; car ni le pape ne pouvait s’opposer à la personne d’un cardinal, ni le roi catholique {k} le rejeter comme hérétique, ni la Ligue lui refuser l’obéissance qui se doit aux souverains. »
- V. note [24], lettre 98.
- Paris, Pierre Rocolet, 1657, 2 tomes in‑4o ; traduite d’italien en français par Jean Baudoin (v. note [33], lettre 469), troisième édition.
- Charles ii de Bourbon, autrement nommé le cardinal de Vendôme (v. supra note [45]).
- Henri iv régnait depuis 1589.
- V. note [55] du Borboniana 4 manuscrit.
- Le prince Henri ii de Condé, né le 1er septembre 1588 (v. note [8], lettre 23).
- V. note [64] du Traité de la Conservation de santé, chapitre ii pour le prince de Conti, François de Bourbon, né en 1558 (soit de quatre ans plus âgé que le cardinal de Vendôme), et pour sa taille de vessie (vers 1570).
- V. note [11], lettre 105, pour Charles, comte de Soissons, né en 1566, et demi-frère du cardinal de Vendôme.
- Henri de Bourbon, duc de Montpensier (v. note [11] du Borboniana 9 manuscrit), cousin éloigné du cardinal.
- À son tempérament malveillant.
- Le roi d’Espagne, Philippe ii.
- Dans la première partie de sa Regii Navarræ Gymnasii Parisiensis Historia [Histoire du Collège royal de Navarre à Paris], {a} chapitre lxxix, pages 761‑762, Jean de Launoy {b} a donné une élogieuse biographie de Jean Touchard :
Joannes Tuchardus, magni vir ingenii et animi, humaniores literas cum in Navarræ Gymnasio, cujus alumnus erat, tum in aliis magna Scholasticorum frequentia professus est. Gallicam poesim, quæ tum magno in pretio habebatur, præsertim excoluit ; deinde Theologiæ se dedit, et anno mdlxxii. publicam instituit disputationem, qua in Baccalaureorum numerum cooptatus est. Quam et hoc actu et in docendis politioribus literis famæ celebritatem sibi comparavit, illa non multo post effecit, ut e pluribus in Caroli Borbonii, qui cardinalis Vindocinus postea dictus fuit, præceptorem legeretur. Accedebant facta ab Joanne Pelletario probitatis commendatio, festiva dicendi vis et oris venustas atque gravitas, quæ naturæ dotes aliorum animos alliciunt, et plurimum conciliant auctoritatis. Tuchardus cum votis omnium respondit, tum inprimis Caroli Borbonii, Rotomagensis Archiepiscopi, cui nepotis educatio maximæ erat curæ, et Joannis Pelletarii, supremi regiæ Navarræ Moderatoris, qui literariorum adolescentum, et potissime Principum, moribus et studiis invigilare nusquam desistebat. Ergo discipulum ita ad omnem virtutem et disciplinam instituit atque erudiit, ut egregius Catholicæ fidei defensor, et optimarum artium fautor extiterit. Hinc omni conatu intercessit iis, qui anno mdxcii. nefarium de constituendo in Gallis Patriarcha consilium inierant ; inde refertissimam exquisitissimis libris Bibliothecam confecit. In uno perniciosissimum schisma, priusquam nasceretur, sua pietate et auctoritate extinxit ; in altero quanti et literas et literatos faceret, ostendit. Adde quod quibus eos potuit, Beneficiis et Sacerdotiis ornarit. Ex tam nobili institutione id consecutus est Ludimagister, ut Bellosanensis Abbas efficeretur, et apud Carolum gratia semper atque auctoritate valeret. Ejus ope factum est, ut Carolus ille cardinalis Jacobum Perronium, qui tum partim ejurata Calvinianorum doctrina, partim acri ingenio, et in versibus Gallice pangendis felici eminere cœperat, in suam familiam reciperet. Sunt qui utrum Tuchardum et Perronium faciant auctores illius secretæ inter Regis fautores coitionis eorum, qui secto in duabus factionibus Regno, subsecivam ex altera circa annum mdxci. conflarunt : et præterea scribant delectum a Tuchardo Scipionem Balbanium, Lucensem virum, qui tertiæ hujus coitionis, cujus caput credebatur cardinali Borbonius, confirmationem a Pontifice quæsiturus, Romam proficisceretur. Quapropter ab iis vapulat, diciturque homo stolide ambitiosus, qui ad ignoratum Pædagogi munus aulicas fraudes adjecisset. Sed varia in hujus temporis historicis studia et affectus, varias et sæpe falsas eorum, qui Catholicam fidem sartam tectamque vellent præ ceteris, accusationes et vituperationes pepererunt, quæ unis placent, alteris displicent ; et vice versa, quæ his probantur, aliis confestim improbantur. Nec desunt argumenta, quibus quæ singuli seorsim faciunt, recte facta suadere sibi videantur. Tuchardus Ludovico Brezæo, regiæ Palatii Capellæ Thesaurario, et Meldensiu Episcopo, vita functo, constitutus est brevi Thesaurariius ; et post annorum plus minus quinque interstitium designatus ab Henrico iv. Meldensis Episcopus : ante possessionem adeptam migravit. Id contigit circa annum mdxcvi. quo generalibus Regni Comitiis interfuit. Jacobus Dubletius, Monasterii sancti Dionysii Monachus, qui et Tuchardum et res ætatis illius probe noverat, illum insignibus virtute et doctrina viris adnumerat, et nominatum ab Rege Meldensem Episcopum scribit lib. iv. Sandionysiacarum Antiquitatum cap. lx. Poema Gallicum cecinit, cui nomen est :Allégresse chrétienne de l’heureux succès des guerres du royaume.
[Jean Touchard, homme de grande intelligence et de grand esprit, a enseigné les belles-lettres à une multitude d’étudiants, tant dans le Collège de Navarre, {c} où il avait lui-même été écolier, qu’en d’autres collèges. Il a surtout cultivé la poésie française, qui était alors tenue en très haute estime ; ensuite, il s’est consacré à la théologie et, en 1572, il a disputé un acte public qui l’a fait accéder au grade de bachelier. Tant par cette thèse que par son enseignement des lettres, il s’était acquis une telle réputation que, peu de temps après, il fut préféré à nombre d’autres pour être précepteur de Charles ii de Bourbon, qui a ensuite été nommé cardinal de Vendôme. Sa probité, qu’avait recommandée Jean Pelletier, sa capacité à régenter plaisamment, et la beauté et la gravité de son éloquence, dons de la nature qui séduisent les esprits des autres et procurent grande autorité, lui avaient valu cette charge. Touchard répondit aux vœux de tous, et en tout premier à ceux de Charles i de Bourbon, archevêque de Rouen, {d} qui prêtait la plus grande attention à l’éducation de son neveu, et de Jean Pelletier, principal du Collège de Navarre, qui surveillait sans relâche la bonne instruction morale et littéraire des jeunes écoliers, et plus encore quand ils étaient de famille princière. Touchard forma et instruisit donc si bien son élève à la vertu et au savoir qu’il fit de lui un remarquable défenseur de la foi catholique et un promoteur des meilleures disciplines. Tous ses efforts furent interrompus en 1592 par ceux qui nourrissaient le funeste dessein d’établir un patriarche en France. {e} Le cardinal se vouait alors à assembler une bibliothèque remplie des livres les mieux choisis ; mais, d’un côté, par sa piété et son autorité, il étouffa dans l’œuf le très dangereux schisme qui se tramait, et de l’autre, il fit voir combien il pourrait être utile aux lettres et aux lettrés. Ajoutez à cela qu’il a honoré ceux qu’il a pu de bénéfices et de dignités sacerdotales. En une si noble détermination, Charles n’oublia pas son précepteur, qu’il fit abbé de Bellozane, {f} en le protégeant toujours de sa faveur et de sa puissance. Par son aide, il advint que ce cardinal de Vendôme reçût en sa maison Jacques Duperron, {g} qui avait alors commencé à se signaler, en partie pour son abjuration du calvinisme, et en partie pour son intelligence acérée et son fécond talent à composer des vers français. Il en est qui font de Touchard et de Duperron, vers 1591, quand le royaume était scindé en deux factions, les deux auteurs de cette coalition secrète de partisans du roi qui ont voulu se placer entre elles ; ils écrivent aussi que Touchard a choisi Scipio Balbani, originaire de Lucques, pour qu’il se rende à Rome et demande au pape l’approbation de ce tiers parti, qu’on croyait dirigé par le cardinal de Bourbon. {h} C’est pourquoi ces gens l’éreintent, en le qualifiant d’avoir été un homme follement ambitieux qui, oubliant qu’il n’était qu’un pédagogue, s’est lancé dans les intrigues de cour. Cependant, le zèle et les sentiments varient chez les historiens de cette période : inconstantes et souvent fausses parmi ceux qui voudraient par-dessus tout maintenir la foi catholique intacte, elles ont engendré des accusations et des blâmes, qui plaisent aux uns et déplaisent aux autres ; et à l’inverse, ce qu’approuve ceux-ci est immédiatement désapprouvé par ceux-là ; et nul ne manque d’arguments qui semblent convaincants quand on les sort de leur contexte. Peu de temps après la mort de Louis de Brézé, trésorier de la Sainte-Chapelle et évêque de Meaux, {i} Touchard lui succéda dans la charge de trésorier et, environ cinq ans plus tard, Henri iv le désigna pour l’évêché de Meaux, mais il est décédé avant d’en prendre possession. Cela s’est passé vers 1596, année où il a participé à l’Assemblée des notables du royaume. {j} Jacques Doublet, moine du couvent de Saint-Denis, qui a parfaitement connu Touchard et les affaires de son temps, l’a compté parmi les hommes remarquables pour leur vertu et leur savoir ; et quand il a été nommé évêque de Meaux, il a écrit quatre livres d’Antiquités dionysiennes, avec, dans le chapitre lx, un poème français de sa composition, intitulé Allégresse chrétienne de l’heureux succès des guerres du royaume]. {k}
- Paris, veuve d’Edmundus Martinus, 1677, deux parties en un volume in‑4o de 1 114 pages.
- V. note [9], lettre 91.
- V. note [21], lettre 207.
- V. note [64] du Traité de la Conservation de santé, chapitre ii pour Charles i de Bourbon, cardinal de Vendôme (premier du nom), oncle de Charles ii.
- Jean de Launoy, voulant (comme on le verra clairement plus bas) ménager la mémoire de Jean Touchard et de son disciple, le cardinal de Vendôme, a employé une curieuse litote, « patriarche », pour parler du nouveau souverain que le tiers parti voulait faire monter sur le trône de France en 1592, à la place de Henri iv.
Launoy s’attarde ensuite dans une digression (que j’ai préféré conserver) sur les qualités du cardinal, avant de revenir sur le tiers parti.
- L’abbaye Notre-Dame de Bellozane, placée sous l’obédience des prémontrés, était sise à Brémontier Merval en Normandie (Seine-Maritime).
- V. supra note [40].
- L’Histoire de Davila (ibid. supra première notule {a}, page 201) explique qui était Scipio Balbani et donne un éclairage différent sur le projet du cardinal de Vendôme :
« Toutefois, avant que de passer outre, il s’avisa de communiquer son dessein à Jean Touchard, Abbé de Bellozane, qui, dès ses premières années, l’avait élevé dans les belles-lettres ; personnage qui, à vrai dire, n’avait ni un savoir pédantesque, ni un esprit bas et faible, mais plein de vivacité, et qui n’ignorait rien de la façon de vivre qui se pratique à la cour. Celui-ci donc, se représentant qu’il travaillerait pour son avancement propre s’il contribuait de ses soins à la grandeur de son maître, ne manqua point de fomenter les prétentions du cardinal, ni de les régler par les bons avis qu’il lui donna, en lui conseillant surtout d’être secret, d’agir avec adresse jusqu’à ce qu’il se fût acquis plusieurs confidents, et de se servir des conjonctures du temps pour en faire naître, comme il lui enseigna, des occasions utiles et favorables. Davantage, pour avoir quelqu’un qui lui servît comme de second à jeter le plan d’un si haut et si plausible dessein, l’ayant communiqué à Jacques Davy, sieur Duperron, jeune d’années, mais qui, pour être doué d’une profonde connaissance des bonnes lettres, était considéré dans la maison du cardinal ; et pareillement à Scipio Balbani, Lucquois, homme qui, de la profession de marchand par lui exercée durant plusieurs années avec assez de mauvaise fortune, était passé à celle d’agent de la cour de divers princes. Il fit avec eux toute sorte d’efforts imaginables pour former ce troisième parti. »
Le soutien du pape était jugé déterminant pour le succès de l’entreprise. Balbani était probablement un agent pontifical.
- Louis de Brézé a été évêque de Meaux de 1533 à 1564, puis de 1571 à sa mort, le 15 septembre 1589. Il avait été nommé trésorier de la Sainte-Chapelle de Paris (v. note [38], lettre 342) en 1570.
- L’Assemblée des notables (distincte d’états généraux car les députés n’en étaient pas élus, mais désignés par le roi) eut lieu à Rouen de novembre 1596 à janvier 1597. Son but était de rétablir les finances du royaume en levant de nouveaux impôts.
Dans le même temps, Henri iv avait désigné Jean Touchard pour l’évêché de Meaux, mais des méandres politiques et religieux l’empêchèrent de jamais y être intronisé. Il mourut vers 1602.
- Jacques Doublet (1560-1648), moine bénédictin de Saint-Denis :
Histoire de l’abbaye de S. Denis en France. Contenant les Antiquités d’icelle, les Fondations, Prérogatives et Privilèges. Ensemble les tombeaux et épitaphes des rois, reines, enfants de France, et autres signalés personnages qui s’y trouvent jusques à présent. Le tout recueilli de plus sieurs Histoires, Bulles des papes, et Chartes des rois, princes et autres documents authentiques…
- Paris, Jean de Heuqueville, 1625, in‑4o de 1 377 pages, divisées en 4 livres
Le chapitre lx du livre iv (pages 1358‑1373) est consacré à la vie et à la sépulture du roi Henri iv. Jean Touchard et, avec beaucoup plus grande insistance, le cardinal de Vendôme y sont mentionnés, mais je n’ai pas vu le poème cité par Launoy.
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