Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-7, note 57.
Note [57]

L’Esprit de Guy Patin abrège maladroitement la fin de l’article du Moréri sur Aristote {a} qui commente un point intéressant de l’histoire philosophique, sur la manière dont ses œuvres ont été reçues par l’Église et l’Université {b} au fil des siècles :

« Les premiers docteurs de l’Église improuvèrent {c} d’abord Aristote, comme un philosophe qui donnait trop au raisonnement et aux sens ; mais Anatolius, évêque de Laodicée, le célèbre Didyme d’Alexandrie, saint Jérôme, saint Augustin {d} et divers autres écrivirent et parlèrent en sa faveur. Dans le vie siècle, Boëce fit entièrement connaître dans l’Occident ce philosophe, dont il mit quelques ouvrages en latin ; mais depuis Boëce {e} jusqu’à la fin du viiie siècle, il n’y eut que le seul saint Jean de Damas {f} qui fit un abrégé de la philosophie d’Aristote. Les Grecs, {g} qui firent fleurir les sciences dans le xie siècle et dans les suivants, s’attachèrent à l’étude de ce philosophe, sur qui plusieurs des plus doctes travaillèrent. Sa réputation était déjà répandue dans l’Afrique, parmi les Arabes et les Maures. Alfarabius, Algazel, Avicenne, Averroès {h} et divers autres firent honneur par leurs commentaires à la doctrine d’Aristote. Ils l’enseignèrent en Afrique, et depuis à Cordoue, où ils établirent un Collège depuis qu’ils eurent conquis l’Espagne ; {i} et les Espagnols apportèrent en France les commentaires d’Averroès et d’Avicenne sur Aristote. Ses livres y étaient déjà connus. On enseigna sa doctrine dans l’Université de Paris, mais Amaury, voulant soutenir des opinions particulières sur les principes de ce philosophe, fut condamné d’hérésie par un concile tenu en la même ville l’an 1210. {j} Les livres d’Aristote y furent brûlés et la lecture en fut défendue sous peine d’excommunication. Depuis, sa Métaphysique fut condamnée par une Assemblée d’évêques, sous Philippe Auguste. {k} L’an 1215, le cardinal du titre de Saint-Étienne, légat du Saint-Siège apostolique, {l} confirma les mêmes défenses ; mais il permit d’enseigner la Dialectique ou la Logique de ce philosophe, au lieu de celle de saint Augustin que l’on expliquait auparavant dans les Écoles de l’Université. L’an 1231, le pape Grégoire ix {m} défendit encore d’enseigner la Physique et la Métaphysique d’Aristote jusques à ce que ces livres eussent été revus et corrigés dans les endroits qui contenaient quelques erreurs. Néanmoins, peu de temps après, Albert le Grand et saint Thomas d’Aquin {n} firent des commentaires sur Aristote ; Campanella {o} croit qu’ils avaient eu quelque permission particulière du pape pour travailler à ces ouvrages. L’an 1265, Simon, cardinal du titre de Sainte-Cécile, {p} légat du Saint-Siège, défendit absolument la lecture de la Métaphysique et de la Physique d’Aristote. Toutes ces défenses cessèrent en 1366 car alors les cardinaux du titre de Saint-Marc et de Saint-Martin, commissaires députés par le pape Urbain v {q} pour réformer l’Université de Paris, permirent l’explication des livres dont la lecture avait été interdite auparavant. L’an 1448, le pape Nicolas v {r} approuva les ouvrages d’Aristote et en fit faire une nouvelle traduction latine. Enfin, l’an 1452, le cardinal d’Estouteville, {s} qui avait été nommé par le roi Charles vii pour rétablir l’Université de Paris, ordonna que les professeurs expliqueraient la Morale de ce philosophe, aussi bien que sa Logique, sa Physique, sa Métaphysique et ses autres traités de philosophie. L’an 1543, Ramus, voulant établir une autre philosophie, composa deux livres intitulés, l’un, Dialecticæ Institutiones, et l’autre, Aristotelicæ Animadversiones ; {t} mais le roi François ier fit supprimer ces livres et autorisa ceux d’Aristote, que l’on a continué de lire publiquement dans l’Université de Paris ; et lorsqu’en 1624, Antoine Villon, Étienne de Claves et Bitault voulurent publier et soutenir des thèses contre la doctrine d’Aristote, ils furent condamnés par l’Université et par le Parlement de Paris. {u} < Gassendi et Descartes ayant dans le siècle passé mis en vogue de nouveaux principes de philosophie, celle d’Aristote n’a plus le même crédit dans le monde et s’est à peine soutenue dans les Écoles >. » {v}


  1. V. note [15], lettre 80.

  2. Les collèges théologiques de Navarre et Sorbonne, et les écoles monastiques qui les ont précédés : v. note [5], lettre 19.

  3. Désapprouvèrent.

  4. Anatole, évêque de Laodicée (Syrie) au iiie s., est un philosophe aristotélicien et saint chrétien. Didyme d’Alexandrie, dit l’Aveugle, est un théologien et philosophe du ive s. V. notes [19], lettre 81, pour Jérôme de Stridon, et  [5], lettre 91, pour Augustin d’Hippone, tous deux saints, docteurs et Pères de l’Église romaine aux iveve s.

  5. Au vie s., v. note [3], lettre latine 198.

  6. Assimilé à Jean Mésué (viiie s., v. note [25], lettre 156).

  7. C’est-à-dire les Byzantins.

  8. Alfarabius est un autre nom d’Albucasis (xe s., v. note [37], lettre latine 154). Algazel (al-Ghazali) est un philosophe musulman iranien du xie s. V. notes [7], lettre 6, pour Avicenne (xie s.), et [51] du Naudæana 1 pour Averroès (xiie s.).

  9. Au viiie s.

  10. Amaury de Chartres ou de Bène (vers 1150-1206 ou 1209) a enseigné la philosophie et la théologie à Paris ; il a été excommunié pour ses conceptions panthéistes peu de temps après sa mort.

  11. Philippe Auguste a régné de 1180 à 1223.

  12. Robert Curzon, originaire d’Angleterre, cardinal en 1212, mort en 1219.

  13. Ugolino de Anagni, pape de 1227 à 1241, sous le nom de Grégoire ix.

  14. V. notes [8], lettre 133, pour Albert le Grand (xiie s.), et [24], lettre 345, pour Thomas d’Aquin (xiiie s.), tous deux saints et docteurs de l’Église romaine.

  15. Tommaso Campanella (mort en 1639, v. note [12], lettre 467).

  16. Simon de Brie, prélat français mort en 1285, a été nommé cardinal en 1261, puis élu pape en 1281 sous le nom de Martin iv.

  17. Pape élu en 1362 et mort en 1370, v. infra note [60].

    Jean de Blauzac, évêque de Nîmes mort en 1379, avait été nommé cardinal du titre de Saint-Marc en 1361. Gilles Aycelin de Montaigut, mort en 1378, avait été nommé cardinal du titre de Saint-Sylvestre et Saint-Martin en 1361.

  18. Pape de 1447 à 1455, v. note [5], lettre 969.

  19. Guillaume d’Estouteville (1403-1483), cardinal français nommé en 1439, nonce extraordinaire en France de décembre 1452 à janvier 1453. C’est en son souvenir que l’une des trois thèses de médecine parisiennes a été baptisée cardinale (v. note [1], lettre 1).

  20. V. note [7], lettre 264, pour Ramus (Pierre de La Ramée) et la censure de ses deux livres critiquant l’aristotélisme.

  21. Antoine de Villon, professeur de Sorbonne, Étienne de Clave, médecin et chimiste, et Jean Bitault (Bitaud), son élève, avaient soumis en 1624 des thèses d’histoire naturelle visant à nier l’aristotélisme : ils furent vivement censurés en dépit de leurs opiniâtres protestations. Le scandale provoqué par ces idées nouvelles contribua à l’exil de Descartes en Hollande (1628).

  22. Le passage mis entre chevrons est une addition de Moréri, édition de Paris, 1718, tome 1, page 486.

    Le Moréri, première édition de Lyon, 1674, pages 156‑157, contenait cette autre intéressante remarque sur Aristote :

    « Il a eu des interprètes célèbres, mais après ceux-ci, il s’en est trouvé d’ignorants qui, pour n’entendre pas le grec, ont introduit cent chicanes inutiles dans l’École, où l’on n’enseigne rien moins que la doctrine d’Aristote, et où la fin de la véritable philosophie, qui est la sagesse et la perfection de l’honnête homme, ne saurait s’y rencontrer dans des disputes qui ne servent à rien qu’à embarrasser l’esprit et apprendre l’opiniâtreté. Plusieurs savants de notre siècle se sont inscrits en faux contre ces abus, que l’on commence à corriger de la bonne façon en quelques universités de France. Ceux qui sont attachés aux chicanes de la philosophie inutile n’aimeront pas cette remarque ; mais ceux qui sont moins préoccupés en feront un autre jugement. »

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-7, note 57.

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(Consulté le 25/04/2024)

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