À André Falconet, le 27 juillet 1660, note 6.
Note [6]

En écrivant ces phrases, Guy Patin pensait sans doute à l’argument de Blaise Pascal contre le P. Binet, dans la 9e Provinciale :

« En vérité, mon Père, je sais que les dévotions à la Vierge sont un puissant moyen pour le salut, et que les moindres sont d’un grand mérite quand elles partent d’un mouvement de foi et de charité, comme dans les saints qui les ont pratiquées. Mais de faire accroire à ceux qui en usent sans changer leur mauvaise vie, qu’ils se convertiront à la mort ou que Dieu les ressuscitera, c’est ce que je trouve bien plus propre à entretenir les pécheurs dans leurs désordres, par la fausse paix que cette confiance téméraire apporte, qu’à les en retirer par une véritable conversion que la grâce seule peut produire. Qu’importe, dit le père, par où nous entrions dans le paradis, moyennant que nous y entrions ? comme dit sur un semblable sujet notre célèbre P. Binet, qui a été notre provincial, en son excellent livre De la Marque de prédestination, n. 31, p. 130 de la 15e édition. {a} Soit de bond ou de volée, que nous en chaut-il, pourvu que nous prenions la ville de gloire ? comme dit encore ce père au même lieu. {b} J’avoue, lui dis-je, que cela n’importe ; mais la question est de savoir si on y entrera. »


  1. Ouvrage anonyme d’Étienne Binet : Marque de Prédestination. Tirée de l’Écritue Sainte, et des aints Pères. Quinzième édition. Revue, corrigée et augmentée par l’auteur (Paris, Jean Petit-Pas, 1620, in‑12 de 233 pages), no 31, page 130. La dédicace « à Madame la présidente de Bernières » est signée « E.B.I.D. » [Étienne Binet Iussu Dei (sur le commandement de Dieu)].

  2. Ibid. page 131.

La question de la grâce étant au cœur des disputes entre jansénistes et Rome, {a} le titre choisi par le R.P. Binet m’a intrigué. Le début de son Épître nécessaire au lecteur catholique semble dissiper ma perplexité :

« Ami Lecteur, c’est la chose au monde qui chatouille le plus la sainte curiosité de nos âmes, que le point de la prédestination ; le malheur du siècle porte plus de gens à débattre et disputer ce point qu’à se mettre en devoir de rechercher les moyens d’être de ce nombre l’or des élus. Nos disputes sont de prédestination, et bien souvent nos vies sont de réprobation. {b} Il est assuré que personne ne peut savoir assurément s’il est prédestiné, sans une révélation particulière : c’est un secret réservé au cabinet de Dieu, il n’y a point de passeport pour nos curiosités, curiosités néanmoins qui ne désirent rien avec plus de passion que de pouvoir atteindre là où elles ne peuvent atteindre, qui toujours et toujours tâchent de rendre l’impossible possible. Or n’ayant aucune assurance, si {c} avons-nous pourtant de belles marques qui nous montrent à peu près ceux qui sont écrits en ce divin livre de vie. Nous ne les saurions apprendre en autre école qu’en celle du Saint-Esprit, à savoir les Saintes Écritures et les saints docteurs de l’Église. Parmi tant d’autres, j’en ai choisi une des plus aisées et des plus assurées pour t’en faire un présent. Saint Augustin discourant sur ce sujet, nous défend la curieuse recherche de ce grandissime secret, et nous conseille de nous servir d’un beau moyen pour y parvenir : Nondum traheris ? ora ut traharis, “ Ne te sens-tu point tiré ? prie que tu sois tiré. ” {d} Après Dieu, il n’y a personne à qui nous puissions mieux adresser cette tant importante prière qu’à la Vierge Marie. » {e}


  1. V. note [50], lettre 101.

  2. « Une grande marque de réprobation, c’est quand un pécheur endurci ne sent plus aucun remords » (Furetière).

  3. Aussi.

  4. 26e traité sur l’Évangile de Jean (référence indiquée dans la marge) : en citant saint Augustin, Binet voulait subtilement rappeler au lecteur (janséniste) la nécessité de la prière et des offrandes, seul moyen d’obtenir la grâce divine ; soit le recours au libre arbitre (sans le nommer).

  5. Tout bien considéré, Binet veut montrer les tourments où la prédestination plonge le chrétien, ce dont doutait Pascal (tout comme Patin).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 27 juillet 1660, note 6.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0625&cln=6

(Consulté le 24/04/2024)

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