À André Falconet, le 13 février 1665, note 7.
Note [7]

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome ii, pages 300‑303, année 1665) nous a laissé le précieux témoignage de cette maladie de son père. Laissons donc, pour une fois, parler sans contrainte un usager de la médecine :

« Mon père commença à se sentir d’une douleur en urinant le jeudi 5 février et ayant envoyé chercher M. Vézou, {a} celui-ci le fit saigner. La douleur ayant continué sans relâche, il le fit saigner encore le dimanche, et encore le mardi. Enfin, les douleurs augmentant toujours, le mercredi 11 février, mon père n’ayant pas dormi et ne sentant aucun soulagement du petit grain {b} que M. Vézou lui avait donné, il m’envoya quérir à quatre heures du matin. Il me dit qu’il voyait bien que Dieu voulait l’appeler à lui ; qu’il avait toujours cru que ce serait par quelque faiblesse et doucement ; mais qu’il voyait bien que ce serait par un chemin fort raboteux et rude, et qu’il me priait d’envoyer quérir M. le curé pour lui donner les sacrements et l’extrême-onction, ne pouvant plus supporter les douleurs qu’il souffrait. Je lui dis qu’étant sans fièvre et sans aucun mauvais accident, il n’y avait rien à craindre et que j’allais envoyer quérir M. Vézou pour tâcher de faire cesser la douleur.

En effet, M. Vézou vint incontinent après et ayant jugé que ce pouvait être une pierre dans la vessie, nous envoyâmes quérir M. Collot qui vint aussitôt ; et sur les six heures du matin, ayant sondé mon père presque sans douleur, il trouva la pierre. Cette nouvelle fut un sujet de joie pour mon père qui fut bien aise que la cause de son mal fût connue, et il déclara aussitôt qu’il voulait être taillé et pria que ce pût être après le dîner. Nous voulûmes consulter M. Vallot, premier médecin ; mais comme il {c} avait été saigné, M. Vézou le fut voir ; et comme il revint dire à mon père que M. Vallot concluait à la taille, il me dit, entrant dans son cabinet, d’un visage fort gai : “ Allégresse, mon fils ! ce sera pour demain à huit heures. ”

M. Joly {d} étant venu, il lui demanda à recevoir tous les sacrements et même l’extrême-onction, parlant de la mort avec une constance admirable, souhaitant la taille non point dans l’espérance de guérir, mais afin de faire cesser sa douleur et de mourir en paix. […]

Après le dîner, il me fit appeler et ayant fait retirer tout son monde, il me fit prendre son testament, me le fit lire tout haut et ensuite me dicta les sommes qu’il voulait donner aux siens, parlant de toutes choses comme s’il eût parlé d’aller le lendemain à la campagne. Il passa le reste de la journée sentant toujours de grandes douleurs et disant qu’il les souffrait sans peine parce qu’il était assuré qu’elles finiraient le lendemain par la taille, et il compatit les heures avec impatience. […]

Le jeudi 12 février, Messieurs le premier médecin, {c} Vézou et Collot étant venus à huit heures, virent mon père dans son cabinet et s’entretinrent quelque temps de bons discours, mon père disant des passages de l’Écriture, de Sénèque et d’autres sur le mépris de la mort, sans faire paraître aucune peine. Il vit préparer la table et la chaise sur laquelle il devait être taillé, sans témoigner aucune crainte. Nous étant tous retirés dans la petite salle, n’ayant laissé auprès de lui que M. Joly, Messieurs le premier médecin, Vézou, son fils, frère Isaac, minime, Collot et deux de ses garçons et Lapierre, peu de temps après M. Joly me vint dire que l’opération était faite fort heureusement, et nous dit que l’ouverture ayant été faite fort adroitement et le dilatatoire étant retiré, Collot y avait porté la tenette {e} et avait pris la pierre ; mais la voulant serrer, elle s’était cassée, étant assez molle, et il n’avait rapporté que de petits morceaux ; qu’il l’y avait remise une seconde fois, et enfin y avait porté quatre fois une petite cuiller pour amener le sable ; que cet accident avait rendu l’opération un peu longue et avait duré la longueur de plus de deux misérérés ; que mon père, se mettant sur la table où il devait être taillé, avait dit Paratum est cor meum, Deus ; {f} et que, pendant toute cette opération, il n’avait pas fait une plainte, sinon que, la dernière fois que Collot y avait mis la cuiller, sentant une grande douleur, il avait dit Benedicam Dominum in omni tempore, semper laus eius in ore meo ; {g} et après la taille achevée, il avait dit à Collot : “ Est-ce fait ? Je vous remercie du mal que vous m’avez fait. ” Messieurs le premier médecin, Vézou et Collot nous dirent qu’ils n’avaient jamais vu une fermeté et une force d’esprit pareilles. Ainsi cette opération fut faite et mon père demeura dans son lit en repos, fort abattu, ayant perdu plus de deux palettes de sang. »


  1. V. note [18], lettre 420.

  2. D’opium.

  3. Vallot.

  4. V. note [14], lettre 678.

  5. Petite pincette.

  6. « Dieu, mon cœur est prêt » (Psaumes, 108:2).

  7. « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sans cesse en ma bouche » (Psaumes, 34:2).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 13 février 1665, note 7.

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(Consulté le 12/12/2024)

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