À Claude II Belin, le 5 juillet 1651, note 8.
Note [8]

« voyez de Thou sur ces deux années. »

  • Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou, à l’année 1572 (livre lii, règne de Charles ix, Thou fr, volume 6, page 409‑410) :

    « Pierre Ramus ou La Ramée, né dans le Vermandois, après avoir enseigné longtemps les belles-lettres, la philosophie et les mathématiques au Collège de Presles, dont il était principal, et ensuite dans le Collège royal, introduisit enfin des sentiments erronés dans la philosophie, attaquant sans cesse Aristote dans ses leçons et dans ses écrits. Ces disputes philosophiques le brouillèrent d’abord avec Antoine de Govéa et Joachim de Périon ; et ensuite avec Jacques Charpentier, natif de Clermont-en-Beauvaisis. On ne saurait trop louer Ramus d’avoir employé son esprit, ses soins, ses travaux, et son bien même, pour procurer l’avancement des sciences ; et tout le monde sait qu’il a fondé une chaire de mathématiques et laissé cinq cents livres de rente pour celui qui en serait pourvu. Dans le désordre général, il s’était caché dans une cave ; mais Charpentier, son ennemi, qui était un des chefs de la sédition, l’en fit arracher par des brigands qui étaient à ses ordres ; et après avoir tiré de lui une somme d’argent, il le fit poignarder et jeter par les fenêtres dans la cour de son collège. Comme ses entrailles sortaient de son corps, de jeunes écoliers furieux, à l’instigation de leurs régents, qui étaient comme enragés, les traînèrent par les rues, et mirent en pièces son cadavre après l’avoir fouetté pour insulter sa profession. Denis Lambin, {a} de Montreuil, professeur royal en éloquence, connu par beaucoup d’ouvrages très utiles à la littérature, ayant appris ce qui venait d’arriver à Ramus, en fut effrayé ; et quoiqu’il ne pensât pas comme lui sur la religion, cependant, comme il avait aussi eu avec Charpentier de grandes disputes littéraires, il craignit la vengeance de ce furieux ; et l’effroi dont il fut saisi lui causa une maladie fâcheuse, dont il mourut un mois après. »

  • La même année, Thou a parlé d’un autre Charpentier (sans lien de parenté avec ceux qui sont cités ailleurs dans la présente note), dont la conduite vaut bien d’être ici présentée, pour son intérête politique et doctrinaire dans le contexte des massacres de 1572 (livre liii, volume 6, page 455‑456) :

    « Bellièvre {b} avait pris en amitié un certain Toulousain nommé Pierre Charpentier, qui avait été professeur en droit à Genève et à qui, le jour du massacre, il avait donné retraite dans sa maison, aussi bien qu’à quelques autres protestants peu connus ; car un courtisan n’aurait pas hasardé sans beaucoup de risque de retirer chez lui des personnes d’un grand nom. Charpentier, d’un naturel léger et prêt à tout faire pour avancer sa fortune, ne détestait pas le massacre en lui-même, mais la cause du massacre, c’est ainsi qu’il appelait la faction protestante. Il disait que tout cet événement était une juste punition de Dieu, parce que toute leur religion avait dégénéré en faction et que ces hommes, qui se piquaient de régularité, au lieu de recourir aux larmes, aux prières et aux jeûnes, avaient pris les armes contre leur roi, s’étaient emparés de plusieurs personnes, avaient commis une infinité de meurtres dans toutes les parties du royaume, et en étaient venus enfin jusqu’à donner des batailles contre leur souverain ; que c’était là ce qui avait attiré sur eux la vengeance du ciel, que leurs prêches, qui n’avaient d’abord été établis que pour y faire des prières communes, étaient devenus depuis des rendez-vous d’intrigue et de cabale où, au lieu de parler de piété, de doctrine, de morale, il ne s’agissait plus que de contributions d’argent, de levées secrètes de troupes, de liaisons cachées avec des princes étrangers et avec les séditieux répandus dans toutes les places du royaume, et cela pour renverser la paix que le roi avait eu la bonté de leur accorder ; qu’il ne fallait pas moins que le glaive vengeur de Dieu pour arrêter ces excès, et qu’il reconnaissait visiblement que Dieu seul avait pu inspirer ce dessein au roi, peu porté par lui-même à la sévérité. Charpentier ne tenait d’abord ces discours qu’en cachette et dans les entretiens particuliers qu’il avait avec Bellièvre ; mais comme il s’expliqua ensuite hautement et en toute occasion, le roi et la reine le jugèrent propre à jouer quelque rôle dans cette affaire, et il ne fut pas difficile de l’y faire consentir. Une somme d’argent comptant qu’on lui donna, de grandes promesses de charges et d’honneurs pour l’avenir, l’engagèrent à rendre tous les services qu’on lui demanda ; ce qu’il fit avec tant de zèle qu’il reçut encore plus qu’on ne lui avait promis. Ayant donc laissé Bellièvre en Suisse, il s’en alla à Strasbourg, où il avait enseigné le droit quelque temps, pour être de là plus à portée de répandre dans toute l’Allemagne le système qu’il avait imaginé pour donner quelque couleur {c} au massacre de Paris. ce fut là qu’il écrivit une grande lettre à François Porto, né en cadie et élevé en Italie dans la Maison de Renée de France, duchesse de Ferrare, un de plus savants hommes qu’il y eût pour le grec. Dans cette lettre, datée du quinze de septembre, il attaque surtout une espèce de protestants qu’il appelle causaires. Il distingue en France deux classes de protestants : les uns paisibles, et qui n’ont en vue que la religion ; les autres, qui n’ont que la cause dans la bouche, gens de parti, factieux et ennemis jurés de la paix ; que chacune de ces clases avait ses ministres particuliers ; que du côté des paisibles, d’Espina, Sureau, Houbraque, Capel, La Haye et Mercure étaient gens modérés et qui ne s’avançaient pas légèrement ; que c’était pour cela qu’ils déplaisaient aux autres, surtout à Théodore de Bèze, qu’il appelle la trompette de Seba, {d} et qu’il s’attache principalement à décrier dans tout ce écrit. Il ne se contente pas d’excuser l’action atroce du jour de la Saint-Barthélemy, il montre fort au long, et avec beaucoup d’art, qu’il était juste et nécessaire de détruire une faction impie, formée par des hommes ambitieux et ennemis de la patrie pour renverser l’autorité royale, soulever les villes, troubler la tranquillité publique, et ruiner les protestants mêmes et leur religion. »

  • Année 1597 (livre cxviii, règne de Henri iv, volume 13, page 133‑134) :

    « Dans le même temps, on intercepta aussi des lettres du duc de Mercœur {e} écrites à Charpentier, avocat au Parlement de Paris, {f} fils du célèbre Jacques Charpentier, professeur de philosophie dans l’Université de Paris, si fameux par ses querelles avec Pierre Ramus, dont celui-ci fut enfin la victime. Par cette lettre, datée du 8 avril, le duc témoignait combien il était touché du malheur arrivé à La Croix, {g} et combien il était piqué que les lettres qui lui étaient adressées eussent été surprises. Il ajoutait qu’il ne voyait point d’autre moyen de sauver La Croix que de faire en sorte que le cardinal Albert {h} le revendiquât comme son domestique et offrît de payer sa rançon ; que, pour lui, il ne pouvait se mêler de cette affaire sans se rendre odieux et sans nuire à la cause commune ; que la surprise d’Amiens {i} par les Espagnols avait affligé et consterné tous les Français, royalistes et ligueurs ; que ce serait donc s’attirer la haine de ceux-mêmes de son parti, de vouloir protéger un homme qui venait le trouver pour lui faire part d’un événement si funeste à la France, et en quelque sorte pour l’en féliciter. […] {j}

    On arrêta Charpentier et on confronta les coupables. Comme il était constant que cet homme était le correspondant d’Albert, {h} que c’était lui qui recevait ses lettres, et les faisait tenir en Bretagne et dans les autres provinces où le roi d’Espagne {k} avait des partisans, on lui fit son procès, ainsi qu’à La Croix. L’un et l’autre furent condamnés, comme criminels d’État et coupables de haute trahison, à être rompus et exposés sur une roue. »


    1. V. note [13], lettre 407.

    2. Pomponne i de Bellièvre, chancelier de France en 1599 (v. note [32], lettre 236), était alors ambassadeur en Suisse et tentait d’y justifier les massacres de la Saint-Barthélemy.

    3. Légitimité.

    4. Dans la Bible, Seba, fils de Bochri, se révolta contre David, avec jeu de mots entre de Seba (Sèbe) et de Bèze (v. note [28], lettre 176).

    5. Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, gouverneur de Bretagne et insigne ligueur (mort en 1602,v. note [12], lettre 965).

    6. Ligueur résident en Flandres, à la solde des Espagnols.

    7. Antoine i Charpentier, père d’Antoine ii, le médecin à qui Guy Patin a écrit une lettre.

      Dans sa lettre à Johannes Antonides Vander Linden, datée du 28 février 1664 (v. ses notes [4] et [5]), Patin est revenu sur les méfaits de la famille Charpentier au temps de la Ligue.

    8. L’archiduc Albert d’Autriche (v. notule {b}, note [28] du Grotiana 2) était alors encore cardinal.

    9. Prise d’Amiens par les Espagnols le 11 mars 1597 et reprise par les Français le 25 septembre suivant (v. notule {b}, note [24] du Borboniana 6 manuscrit).

    10. D’autres courriers interceptés prouvèrent l’implication d’Antoine i Charpentier dans divers complots des ligueurs contre la Couronne de France, tramés avec l’appui des Espagnols.

    11. Philippe ii.

Dans son livre intitulé Ambrosio de Salazar et l’Étude de l’espagnol en France sous Louis xiii (Paris, Alphonse Picart et fils, et Toulouse, Édouard Privat, 1901, pages 93‑100), le chartiste Alfred Morel-Fatio a confirmé le récit de de Thou en citant d’autres sources et a attribué à Charpentier (sans se prononcer sur son prénom) la paternité d’un livre intitulé La parfaite Méthode pour entendre, écrire, et parler la langue espagnole, divisée en deux parties. La première contient brièvement les règles de grammaire. La seconde, les recherches des plus beaux enrichissements de la langue qui servent à la composition et traduction (Paris, Lucas Breyel, 1596, in‑8o) ; ce qui faisait de son auteur un candidat idéal pour espionner en France, au profit de la Ligue et de son alliée, l’Espagne.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 5 juillet 1651, note 8.

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(Consulté le 16/04/2024)

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