À André Falconet, le 14 janvier 1671, note 8.
Note [8]

La Grande Mademoiselle (Mlle de Montpensier, Mémoires, seconde partie, chapitre xvii, pages 254‑257) en a donné ce récit :

« Il arriva une aventure chez M. le Prince assez mal agréable. Depuis la mort du cardinal de Richelieu, on a toujours assez méprisé Mme la Princesse, {a} mais on ne l’avait laissé manquer de rien. On lui laissait voir le monde, elle était comme une autre. Depuis que Mme la Duchesse {b} est mariée, on a redoublé le mépris que l’on avait pour cette pauvre femme. Elle était si abandonnée qu’elle ne voyait plus personne. Un garçon, qui avait été son valet de pied, à qui on dit qu’elle avait promis quelque récompense, ou qui avait dessein de la voler croyant qu’elle avait de l’argent, entra dans sa chambre ; il n’y avait avec elle qu’un gentilhomme qui sortait de page de M. le Duc. {c} Soit qu’il lui eût demandé de l’argent insolemment ou que ce gentilhomme l’eût vu qui voulait voler (car on n’a pas su le détail), ils mirent l’épée à la main. Mme la Princesse voulut les séparer, elle reçut un coup d’épée dans le côté. Il vint du monde. On prit le valet de pied. Le gentilhomme se sauva. On envoya quérir M. le Prince, qui était à Chantilly. Le valet de pied fut condamné aux galères. Dès que Mme la Princesse fut guérie, on l’emmena à Châteauroux, une maison de M. le Prince en Berry, où elle a été longtemps en prison. À cette heure, {d} on dit qu’elle se promène, mais elle est comme gardée avec peu de gens. On parla fort de cela et ce fut un grand bruit à Paris. On blâma fort M. le Duc de traiter ainsi sa mère, et l’on crut qu’il était bien aise d’avoir cette occasion de l’éloigner pour qu’elle ne fît point de dépense. Il aurait pu trouver des prétextes plus avantageux. »


  1. Claire-Clémence de Maillé-Brézé (v. note [63], lettre 101), épouse du Grand Condé et nièce de Richelieu.

  2. Depuis le mariage, en 1663, de M. le Duc (d’Enghien), Henri-Jules de Bourbon, fils de M. le Prince et de Mme la Princesse, avec Anne de Bavière (v. note [4], lettre 927).

  3. Qui avait été page du duc d’Enghien.

  4. En 1677.

Olivier d’Ormesson (Journal tome ii, pages 608‑610, année 1671) :

« Le mardi 13 janvier, MM. Le Laboureur, {a} ayant dîné avec nous, on vint leur dire sur les trois heures que Mme la Princesse venait d’être assassinée dans sa chambre par un de ses valets de pied. M. le bailli de Montmorency y alla et à son retour, dit que c’était un nommé Duval, qui avait été son valet de pied et que M. le Prince avait chassé de sa maison ; lequel était entré dans la chambre de Mme la Princesse à l’issue de son dîner, et l’ayant trouvée seule, lui avait demandé de l’argent, et elle, l’ayant refusé sur ce qu’elle n’en avait point, il avait tiré son épée et l’avait frappée dans le corps. Cette action fut aussitôt répandue partout et trouvée fort extraordinaire. Le mercredi 14 janvier, étant allé voir les orangers avec M. l’abbé de Villiers, il me dit que l’histoire de Mme la Princesse était une infamie, et que l’on voulait étouffer cette affaire, et que M. le duc d’Enghien avait fait évader ce nommé Duval afin qu’on ne le prît point.

Le jeudi 15 janvier, je fus le matin aux Jésuites, où j’appris que, ce moment, Duval avait été pris chez le nommé Frontin, chanoine de la Sainte-Chapelle, {b} et avait été conduit à l’hôtel de Condé, et delà aux prisons de Saint-Germain ; que l’on avait informé du fait et que les informations portaient que ce nommé Duval, ayant pris querelle contre un autre et tiré l’épée, Mme la Princesse était sortie au bruit pour les séparer, et que dans ce rencontre elle avait été blessée par l’un d’eux d’un coup d’épée ; que l’on avait conté au roi cette histoire de la sorte par bien des raisons. […]

Le matin, {c} avant l’audience, les trois Gens du roi entrèrent. M. Talon dit qu’ils avaient eu avis que, mardi dernier, deux hommes, l’un nommé Duval, l’autre Rabutin, avaient pris querelle dans l’antichambre de Mme la Princesse et tiré l’épée ; qu’elle, ayant couru au bruit pour les séparer, avait été blessée par l’un d’eux ; et qu’un crime de cette qualité, pouvant passer pour être lèse-majesté en la personne d’une princesse du sang, ils étaient obligés de requérir qu’il plût à la Cour de commettre deux Messieurs pour se transporter à l’hôtel de Condé et recevoir la déclaration de Mme la Princesse, interroger ce nommé Duval, qui était prisonnier aux prisons du faubourg Saint-Germain, et à cette fin qu’il serait transféré, < et de > continuer les informations commencées pour ce fait, etc. Eux retirés, M. Hervé aurait lu leur requête, sur laquelle il fut ordonné suivant les conclusions. L’après-dînée, parlant à M. le procureur général de cette affaire, qui était fort différente du premier récit, il me dit qu’elle était vraie, sinon que la querelle s’était faite dans la chambre et non dans l’antichambre. […]

Duval, pour le coup d’épée donné à Mme la Princesse, fut jugé au Parlement, la Grand’Chambre et Tournelle assemblées, et fut condamné aux galères. Mme la Princesse n’avait pas voulu parler devant les commissaires du Parlement, et l’instruction pour la preuve n’était pas entière. »


  1. V. note [7], lettre latine 218.

  2. V. note [38], lettre 342.

  3. Du samedi 17 janvier.

Mme de Sévigné (lettre 128 à Bussy-Rabutin, le 23 janvier 1671, tome i, page 147) a donné une explication moins honorable de l’accident :

« Mme la Princesse ayant pris il y a quelque temps de l’affection pour un de ses valets de pied nommé Duval, celui-ci fut assez fou pour souffrir impatiemment la bonne volonté qu’elle témoignait aussi pour le jeune Rabutin, qui avait été son page. »

Le page de Mme la Princesse se nommait Jean-Louis de Rabutin (1642-1716), il était cousin de Bussy-Rabutin (v. note [9], lettre 822) ; Saint-Simon (Mémoires, tome ii, pages 598‑599) :

« Ce Rabutin était ce page pour lequel Mme la Princesse fut renfermée à Châteauroux, d’où elle n’est jamais sortie, et où, après tant d’années, elle ignora toujours la mort de M. le Prince son mari, {a} gardée avec autant d’exactitude que jamais jusqu’à sa mort, {b} par les ordres de M. le Prince son fils. Le page se sauva de vitesse, se mit dans le service de l’empereur, s’y distingua, épousa une princesse fort riche et parvint avec réputation aux premiers honneurs militaires. »


  1. En 1686.

  2. En 1694.

Le « secret de la princesse de Condé » est resté énigmatique : la dureté extrême que son mari et son fils mirent à la punir (avec le consentement du roi) s’explique soit par sa conduite de « gourgandine », soit, plus probablement, par une profonde aliénation de son esprit, qu’on jugea déshonorante pour la famille et préférable de cacher en la faisant enfermer à Châteauroux pour le reste de ses jours (Pujo, pages 403‑404) ; v. note [4], lettre 1000.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 14 janvier 1671, note 8.

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(Consulté le 19/04/2024)

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