Autres écrits : Commentaires de la Faculté rédigés par le doyen Guy Patin (1650-1652) : 2C. Novembre 1651-novembre 1652, Affaires de l’Université, note 8.
Note [8]

Lucien Cleyssens (1902-2001), éminent historien du jansénisme, appartenant lui-même à l’O.F.M. (Ordre des Frères mineurs, ou franciscains), a consacré un précieux article à François Mulard « premier député royal antijanséniste à Rome » (Revue d’histoire de l’Église de France, 1955, volume 137, pages 185‑210).

François Mulard, natif de Chartres vers 1600, était cousin de François Hallier, syndic de Sorbonne allié aux jésuites, (v. notule {b}, note [28] des Affaires de l’Université en 1650‑1651). L’étude de Cleyssens contient une abondance de faits solidement étayés sur la vie et les douteuses entreprises de Mulard. « Ce curieux personnage, conclut-il page 210, a eu une carrière sans doute aussi exceptionnelle que sa psychologie. Une activité brouillonne ne lui en a pas moins permis de jouer un rôle lors du tournant décisif des controverses jansénistes. »

Pour éclairer ce qu’en disaient ici les Commentaires de la Faculté, je me limite à transcrire une lettre dont Cleyssens a prouvé la véracité (pages 188‑190 de son article), et qu’il qualifie à juste titre de « sensationnelle ». Elle est extraite du Journal de Louis Gorin de Saint-Amour (recteur de l’Université de Paris en 1642-1643, v. note [24], lettre 312), publié en 1662 (v. note [22], lettre 752), en date de septembre 1651 (troisième partie, chapitre ix, page 142‑143), quand il fait état de son enquête sur Mulard. Un bénédictin de Saint-Maur dénommé Edeline, à qui il avait demandé des informations, lui envoya cette réponse de son frère :

« Monsieur mon frère,

Ce mot sera pour vous assurer que je me suis informé exactement du P. Mulard, cordelier. Ledit Mulard est natif de cette ville, de la paroisse Saint-Hilaire, {a} proche de votre monastère. Il y a environ trente ou trente-trois ans qu’il était médecin. Quelque temps après, il se rendit capucin. Après avoir porté l’habit, il jeta le froc aux orties et se rendit à Montpellier, auquel lieu il prit femme parmi les huguenots. Il passait pour assez fameux médecin. {b} Il fut reconnu par un père capucin passant à Montpellier, auquel ledit Mulard fut contraint d’avouer qu’il avait été de son Ordre, allant le visiter en qualité de médecin. Il y eut une servante du logis dans lequel était malade le capucin qui entendit les remontrances qu’il faisait audit Mulard, et ne manqua pas de le dire au maître du logis. L’affaire étant divulguée, ledit Mulard prit la fuite et s’en alla à Rome afin d’avoir dispense de son vœu. {c} Il a eu permission du pape de porter l’habit de cordelier ; il n’a point de couvent. Il est passé par cette ville depuis un mois, l’on ne sait pas en quel lieu il est à présent. Il se dit aumônier de M. le comte de Harcourt. {d} Voilà tout ce que j’ai pu savoir de la vie dudit Mulard. Il est frère de notre cousine Le Fèvre, etc. Je suis à jamais de tout mon cœur,

Monsieur mon frère,

votre très humble et affectionné frère à vous servir, ainsi signé Edeline.

De Chartres, ce 4 février 1652. » {e}


  1. L’église Saint-Hilaire et sa paroisse appartiennent à la commune de Mainvilliers, à trois kilomètres au nord-ouest de Chartres.

  2. Dulieu n’a pas recensé Jean Mulard dans sa liste des docteurs de Montpellier au xviie s.

  3. En 1629.

  4. Henri de Lorraine-Elbeuf, v. note [4], lettre 29.

  5. Pour compléter le tableau, Cleyssens (page 188) cite les Mémoires du P. René Rapin (v. note [8], lettre 825), où il a qualifié Mulard, pourtant tout aussi antijanséniste que lui, d’« aventurier » (amabilité dont il honorait aussi Saint-Amour).

Gorin de Saint-Amour (ibid. page 137‑138) a parlé des conversations qu’il avait eues à Rome avec Mulard et des relations qu’il avait entretenues avec l’Université de Paris dans cette circonstance. Ce passage complète les Commentaires de Guy Patin et montre l’action des jésuites en sous-main :

« Cette confession si ingénue du P. Mulard, faite à moi-même, de sa prétendue députation, {a} pourrait sembler un conte fait à plaisir si l’acte que j’en pris le 7e d’octobre suivant, {b} ne portait expressément ce que je viens d’en dire, et si le P. Mulard ne s’était pas fait connaître pour un grand parleur en plusieurs autres occasions, et sur ce sujet-là même, ainsi que M. Bouvot, greffier de notre Faculté, {c} me le témoigna par une lettre qu’il m’écrivit de la même affaire le 14e de juillet, jour de saint Bonaventure, où il m’en parle < sic > en ces termes : Nous avons appris que M. notre Maître Hallier, notre syndic, a conjointement avec M. Paulin, confesseur du roi, écrit par-delà,  {d}par un cordelier exprès dépêché, lequel se nomme le P. Mulard, si fort secret qu’il a publié sa commission de prier le Saint Père qu’il donne ordre à la doctrine de ce temps ; autrement, les jansénistes se rendront les maîtres dans l’Université

M. Gueffier, résident à Rome pour le roi depuis tant d’années, fut témoin d’un autre entretien qui se fit entre le P. Mulard et moi sur la même matière, […] le mercredi 27e de septembre. J’allai voir ce jour-là mon dit sieur Gueffier sur les deux heures après midi et je trouvai avec lui le P. Mulard qui y avait dîné. Après quelques discours indifférents que j’entretins le plus qu’il me fut possible, le P. Mulard me dit qu’il s’en retournerait bientôt en France. Je lui demandai s’il faisait si peu d’état de la Compagnie {e} pour laquelle il était ici député que d’abandonner ainsi les affaires dont il était chargé pour elle. Le P. Mulard me répondit qu’il n’était point ici entretenu par des évêques ni par d’autres personnes, comme moi, et qu’ainsi il ne pouvait subsister longtemps ; qu’il avait seulement été chargé par les quatre docteurs sur lesquels la Faculté s’était reposée de cela, de donner à Rome, par occasion, quelques mémoires et instructions qu’il en avait reçus ; qu’il s’en acquitterait d’importance pendant qu’il y serait, et qu’après qu’il aurait tout dit et tout donné à connaître, comme il le voulait faire exactement, ouvertement et sans rien dissimuler, il s’en retournerait ; et qu’il ne croyait pas qu’il parût ici d’autres personnes pour cette cause après qu’il serait parti ; qu’il ne resterait que les jésuites, < tandis > que les autres, liés avec eux en cette cause, n’y paraîtraient pas, de peur de mettre en compromis une chose décidée ; mais que s’il fallait qu’il y vînt quelqu’un, M. Hallier et M. Amiot {f} y pourraient venir, pourvu, toutefois, que M. Hallier ne fût pas empêché d’y venir par le syndicat (que le P. Mulard croyait perpétuel, tant il était bien informé des choses les plus communes de la Faculté), car si cette charge demandait à Paris la présence de M. Hallier, en ce cas il n’aurait garde d’abandonner la Faculté ; qu’on l’avait bien décrié à Paris, mais que si on l’avait mis mal devant le Parlement, pour avoir protégé de pauvres étrangers qui avaient simplement déclaré qu’ils se soumettaient aux bulles des papes, {g} on le vengerait à Rome du tort qui lui avait été fait à Paris ; que, pour témoignage de cela, le pape lui avait envoyé encore depuis peu deux bénéfices simples, sans qu’il les eût demandés, et que dans peu de temps, on verrait si l’on souffrirait à Rome les injures qu’on lui avait faites ; que lui, P. Mulard, avait apporté à Rome les mémoires apologétiques de l’Université […]. Et sur ces entrefaites, on vint avertir M. Gueffier que M. l’ambassadeur allait sortir, ce qui le pressa de l’aller voir et rompit bien à propos mon entretien avec le P. Mulard. »


  1. Pour alerter de nouveau Rome sur les déviances théologiques des jansénistes français.

  2. 1651.

  3. Philippe Bouvot, prêtre et greffier de la Faculté de théologie de Paris, mort en 1676 après avoir assuré cette charge pendant plus de 60 ans (Dictionnaire de Port-Royal).

  4. De Paris à Rome ; v. note [3], lettre 204, pour Charles Paulin, jésuite.

  5. La Sorbonne.

  6. V. notule {c‑ii}, note [28] des Affaires de l’Université en 1650‑1651.

  7. La mission du P. Mulard était donc une suite de celle des Hibernois (prêtres irlandais), fomentée par les jésuites contre les jansénistes, avec l’appui de Vincent de Paul et de certains docteurs de Sorbonne, dont François Hallier (v. notes [24], [25], [28] et [35] des Affaires de l’Université en 1650‑1651).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Commentaires de la Faculté rédigés par le doyen Guy Patin (1650-1652) : 2C. Novembre 1651-novembre 1652, Affaires de l’Université, note 8.

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(Consulté le 25/04/2024)

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