À Charles Spon, le 3 octobre 1656, note 9.
Note [9]

La Cabale des Barbistes déchiffrée par la lettre d’un docteur catholique, écrite au révérend Père Zelothee est un opuscule anonyme de 24 pages, {a} dont le titre est suivi de deux citations tirées des Évangiles :

  • Attendite a falsis prophetis qui veniunt ad vos in vestimentis ovium, intrisecus autem sunt lupi rapaces. Matth. 7 [Méfiez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous déguisés en brebis, mais au-dedans sont des loups rapaces] ; {b}

  • Nihil opertum quod non revenetur ; neque absconditum quod non sciatur. Luc 12 [Rien ne se trouve si voilé qui ne doive être dévoilé ; rien de caché qui ne doive être connu]. {b}

    1. Sans lieu ni nom, 1656, in‑4o.

    2. Chapitre 7, verset 15.

    3. Chapitre 12, verset 2.

C’est la condamnation en règle d’une bizarre secte lyonnaise :

« J’ai vu quelques livres publiés depuis peu contre les Barbistes, j’en ai vu de manuscrits et d’imprimés, en prose et en burlesque, sans que je connaisse les pères de ces enfants anonymes. Ces petits ouvrages attaquent une secte qui a commencé de se former dans Lyon depuis quelques années, sous la conduite d’un barbier. Le dessein des auteurs de ces sérieuses railleries est louable parce qu’il veut donner connaissance des erreurs et des fourberies de la secte, et des sectateurs, par un agréable divertissement, et découvrir, par une moquerie aussi véritable que plaisante, toute la filouterie spirituelle familière à ceux de cette cabale.

[…] Le principal but de tous leurs desseins a toujours été de trouver dans leur conduite spirituelle les biens temporels que la naissance, la fortune et le peu d’industrie leur ont refusés. L’instituteur de la confraternité, voyant qu’il n’était pas capable de se faire considérer par son art de chirurgie et qu’il n’était point recherché pour traiter les infirmités des corps, il rechercha d’office la cure des âmes ; et de barbier ignorant, il se fit très habile charlatan spirituel. Sa conduite ayant poussé sa femme et sa sœur dans le délire par ses mauvais traitements, il voulut porter sa puissance plus haut, faire des lois de ses rêveries, se faire suivre comme un prophète, et révérer comme un saint. Il tâcha d’avoir des disciples et ne pouvant s’en acquérir qui fussent doctes, il choisit des écoliers qui sortant de la férule se soumettaient facilement à sa discipline ; il ne fallait pas que les disciples fussent au-dessus du maître, et le plus grand nombre n’étant que de pédants, {a} ils n’étaient pas jaloux d’être eux-mêmes pédantisés. L’espérance de quelque bonne condition, celle d’escroquer quelque bénéfice sous le masque d’une sainteté apparente, le dessein de gouverner la bourse de leurs adhérents, lorsqu’ils auraient fasciné leurs esprits par les conduites d’une dévotion extravagante, augmenta bientôt la troupe de ce nouveau prophète. Si nous disons que la plus grande partie de ces émissaires, qui veulent passer pour catholiques missionnaires, sont des griffons {b} de montagne, d’où la terre ingrate exile ses habitants par sa stérilité, où le pain ne se cuit que deux fois l’année, et que ces lieux déserts où l’on fait tous les jours des abstinences involontaires produisent des animaux patients et laborieux qui, par de lâches complaisances et des bassesses indignes des gens d’honneur, mettent enfin, d’un grain sordide, quelque chose de reste pour subsister, je me prépare d’ouïr une réponse pleine de vanité et de présomption. Ils diront que le Sauveur du monde paraissant pauvre parmi les hommes, n’a voulu choisir pour ses disciples que de pauvres pécheurs, qu’ils font les mêmes fonctions qu’ont faites ces illustres fondateurs de l’Église naissante par le commandement de leur divin Maître, que ces premiers hérauts de la foi et de la parole de l’Évangile l’ont prêchée par tous les coins de la terre, qu’ils les imitent en tout, qu’ils prêchent évangéliquement et vivent d’une vie apostolique, qu’ils sont les vrais et légitimes successeurs des apôtres et qu’ils les copient merveilleusement bien ; enfin, ils feront un parallèle impie et blasphématoire de leur chef, qu’entre eux ils appellent l’Homme, avec le divin Fils de l’Homme, et d’eux-mêmes avec ses apôtres. Pour rendre cette copie plus approchante du naturel, il est très véritable que leur patriarche a ses douze apôtres, il se fait appeler l’Homme et a donné à douze de ses plus confidents disciples le nom des apôtres de Jésus-Christ ; il les a canonisés tous vivants, leur attribuant la qualité de saints ; de manière que, voulant assigner le lieu de leur assemblée, il dit aux troupes qui le suivent, “ Demain nous nous trouverons en la maison de saint Jacques, le jour d’après en celle de saint Philippe ”, et ainsi des autres. Il n’est pas jusque-là que si on leur demande “ Êtes-vous barbistes ? ” ils ne répondent impudemment, “ Oui, je le suis par la grâce de Dieu ”, réponse que < dans le Catéchisme > doivent faire les seuls fidèles quand on leur demande “ Êtes-vous chrétien ? ” » {c}

« Montluel {d} est une des premières et principales missions du Barbier : ses émissaires s’y sont établis en renards et y règnent en lions. Pour y être plus autorisés, ils ont trouvé le moyen de se rendre maîtres de la principale église, qui est collégiale. Ces cabalistes, pour parvenir à leur fin, s’insinuent dans l’esprit du doyen, le blessent de méditation et de communauté de biens. Ayant acquis une forte croyance dans son esprit et l’ayant obligé à cette obéissance aveugle qu’ils exigent de tous ceux qui sont enrôlés sous leurs drapeaux, ils lui persuadent que le doyenné est un fardeau trop pesant pour ses épaules, qu’il est obligé d’instruire le peuple, que Dieu l’a chargé de sa conduite, qu’il exigera de lui le compte des âmes qu’il a mises entre ses mains, que ne pouvant s’acquitter pleinement de cette obligation, il doit remettre son bénéfice à quelque personne de mérite et de capacité, que le résignant à quelqu’un des leurs, ils déchargeront valablement sa conscience ; et pour lui témoigner qu’ils ne cherchent que la gloire de Dieu, que ce n’est pas le revenu du bénéfice qu’ils recherchent, ils lui promettent mille écus et deux cents livres de pension annuelle. Ces avances firent ouvrir les oreilles au pauvre doyen ; ils le pressent, ils le persuadent ; enfin, sous de fausses et simoniaques promesses, ils lui font résigner son bénéfice ; duquel étant porteurs, ils se sont dispensés du paiement des mille écus promis, pour ne faire pas une simonie réelle après l’avoir faite mentale et verbale. » {e}


  1. Faux savants.

  2. V. note [31], lettre 477.

  3. Pages 4‑6.

  4. Dans l’Ain, une vingtaine de kilomètres au nord-est de Lyon.

  5. Pages 18‑19.

Sans avoir trouvé d’autre témoignage sur la secte des Barbistes, on peut se demander si ce récit n’est pas une pure fiction masquant la satire des calvinistes grisons (v. note [28], lettre 240).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 3 octobre 1656, note 9.

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(Consulté le 19/04/2024)

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