< L. 297.
> À Charles Spon, les 21 et 22 novembre 1652 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Charles Spon, les 21 et 22 novembre 1652
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Je vous envoyai pour ma dernière une lettre de trois grandes pages le 1er jour de novembre ; depuis lequel temps et dès le lendemain, je reçus le petit paquet par ce valet de chambre à qui vous l’aviez délivré, contenant les feuilles qui manquaient au livre du P. Théophile Raynaud, [1][2] dont je vous remercie de toute mon affection. Il y avait une feuille de trop, laquelle je vous renvoie, que vous rendrez s’il vous plaît au libraire de peur qu’il n’en ait besoin. Vous la trouverez dans le livre grec de Usu partium, [2][3] qui sera dans le premier paquet que je vous enverrai, qui est tout prêt à partir, mais il n’y a pas encore d’assurance, nemini licet ex urbe egredi. [3] La plupart des poulaillers qui amenaient ici du gibier pour la Saint-Martin ont été volés et leurs chevaux emmenés, et plusieurs d’entre eux blessés. [4] Jour avait été pris pour mener le roi [4] au Parlement le jeudi 7e de novembre, pour y faire déclarer criminel de lèse-majesté [5] le prince de Condé, [6] mais les conseillers qui en avaient reçu les billets furent contremandés le lendemain matin, cuius rei vera causa nesctitur. [5] Mlle de Chevreuse, [7] âgée de 23 ans (c’est celle qu’avait promis d’épouser le prince de Conti [8] tandis qu’il était en prison dans Le Havre-de-Grâce), [9] est ici morte le quatrième jour d’une fièvre continue, [10] in media eruptione variolarum, [6] par le moyen d’une prise de vin émétique [11][12] qui lui fut misérablement donnée par un misérable charlatan de cour, juif et fils de juif, [13] nommé D’Aquin, [7][14][15] qui a servi de garçon apothicaire à la feu reine mère [16] et qui passe à la cour pour un homme qui a des secrets. Voilà de tels médecins qu’il faut en ce pays-là, ut habeant similes labra lactucas. [8][17] Le défunt premier médecin Vautier [18] le portait ; celui-ci [19] en fait encore de même, et ainsi quelques courtisans le considèrent, sed pessimo suo fato. [9] C’est lui qui traita aussi M. de Chavigny. [20] Ces deux morts si près l’une de l’autre lui ôteront la moitié de son crédit, il ne lairra point d’en avoir quelque reste, et quodammodo regnabit tanquam asinus inter simias, [10] c’est-à-dire un ignorant parmi des courtisans. Enfin, le 8e de novembre, j’ai reçu, comme je passais dans la rue de Saint-Jacques, un paquet de livres qui venait de Lyon par ordre de M. Rigaud, [21] dans lequel j’ai trouvé : les deux exemplaires en blanc de la Couronne des rois d’Arles, [11][22] je vous prie de me mander ce qu’ils vous ont coûté ; un livre in‑8o d’un ministre contre un jésuite La Barre [23][24][25] (ce livre ne viendrait-il point de la part de notre ami M. Gras ?) ; [12][26] et un grand in‑fo qui est Herbarium Io. Bauhini. [13][27] Pour ce dernier, je pense que c’est M. Rigaud qui me l’envoie ; mais si c’est vous, obligez-moi de me mander ce que vous en avez déboursé pour moi. C’est M. Cramoisy [28] qui m’en a rendu le paquet. Je vous prie de faire mes recommandations à M. Rigaud, duquel j’espère un Opus logicum Christophori Scheibleri, imprimé à Yverdon [29] in‑4o [30] depuis deux ans, [14] et quelques autres livres qu’il m’a promis dès qu’il était ici. [15] Enfin, je ne suis plus doyen, [31] Dieu merci, mais j’ai eu fort bonne main en sortant, vu que je laisse à ma place un excellent homme que j’ai tiré du fond d’un chapeau, ut fit, [16] entre deux autres qui avaient été nommés avec lui. Ce brave homme est M. Courtois, [32] lequel répondit il y a tantôt neuf ans sous moi, Estne totus homo a natura morbus ? [17][33] Il est très savant et très adroit, et Dieu merci, nos affaires sont en très bonnes mains. Il est pareillement votre serviteur et vous a obligation pour un plaisir que vous lui fîtes en votre ville de Lyon il y a environ trois ans. Je vous assure qu’il s’en souvient fort bien et qu’il est tout prêt de vous servir de deçà en récompense, s’il s’en présentait quelque occasion. Il est homme de 35 ans, point marié, fort employé dans la pratique, avec environ 500 écus de rentes en bénéfice. Il est, après M. Piètre, [18][34] un des plus savants hommes de l’École, et même de ceux qui sont dans le meilleur chemin de la plus belle et de la plus pure pratique. Ce 11e de novembre. Le duc d’Orléans [35] est quelque part en exil, en quelque ville de sa duché. [19] Il a été à Chartres [36] et à Blois, [37] sa femme [38] est ici où elle a accouché depuis deux jours d’une fille ; [39] il y a apparence qu’elle ne causera jamais tant de guerres et de malheurs qu’en ont causé le Mazarin [40] et le prince de Condé. [20][41] Je suis bien marri qu’il faille que je vous importune derechef touchant ce livre du P. Théophile Raynaud, duquel vous m’avez renvoyé des feuilles qui me manquaient : je vous renvoie la feuille qui a pour signature Y et au lieu d’icelle, je vous requiers pour celle de Z, laquelle doit commencer par le mot veris et avoir au fo, 177. C’est bien du livre in‑4o imprimé à Rome intitulé Corona aurea, mais c’est au traité de derrière intitulé de bicipiti Ecclesia. [21] Je vous demande pardon de tant de peines, mais c’est que je ne saurais souffrir un livre imparfait en mon étude. [42] Vous en avez la peine et c’est le libraire qui en est cause, lequel ne devrait jamais avoir envoyé un livre sans le collationner. Je vous prie de tâcher de la recouvrer et de me l’envoyer dans quelque lettre ; s’il ne tient qu’à de l’argent, nous en serons quittes, baillez-en plutôt ce qu’ils vous demanderont. Et à propos de ce P. Théophile, son traité de bonis et malis libris avance-t-il ? [22] Sera-t-il gros, in‑4o ou in‑8o ? J’avais ouï dire qu’il avait fait une continuation du livre du cardinal Bellarmin, [43] de Scriptoribus ecclesiasticis, [23] n’avez-vous rien ouï dire de l’édition de ce dernier ? Je prendrais grand plaisir de voir cette continuation de sa main, il est homme à y réussir, propter variam, multiplicem et pene infinitam lectionem. [24] M. Volckamer [44] m’a fait l’honneur de m’écrire depuis peu, où entre autres choses, il me mande : Brevi prælo subiiciam Disputationes medicas D. Casp. Hofmanni, [45] p.m. nostri quondam amici, in cuius honorem si quid adiicere libuerit, fore nobis credas gratissimum. [25] C’est à quoi je ne connais rien, faites-moi la faveur de me mander ce que c’est : ne pensez-vous pas que ce soient des thèses qu’il ait autrefois faites et desquelles on ait fait quelque recueil, qui pourra être bon et profitable à toute la postérité ? De quo si tu aliter sentias, scribe quæso. [26] J’ai grand regret qu’il ne s’est expliqué davantage. Quelle opinion en avez-vous, avez-vous ouï parler de quelque autre ouvrage ? Je me suis aujourd’hui trouvé chez un malade péripneumonique [46] où il y avait un gentilhomme et un chirurgien de la reine d’Angleterre, [47][48] lesquels m’ont parlé de M. Mayerne-Turquet. [49] Ils m’ont dit que le bruit qui avait couru de sa mort était faux et qu’il était en vie, âgé d’environ 80 ans ou plus, et qu’il avait deux filles à marier qui étaient deux partis fort avantageux. [50][51] Je pense vous avoir par ci-devant écrit quelque chose de sa mort, il est donc encore en vie si cette relation d’aujourd’hui est véritable. [27] Il y a environ douze ans qu’il dit à M. Riolan, [52] en Angleterre, que dès qu’il serait mort, on imprimerait de lui deux volumes de consultations qu’il avait toutes prêtes ; [53] là-dessus, M. Riolan dit que s’il y met toutes ses charlataneries, que ces deux livres ne seront guère bons. [28] Nous avons ici quatre de nos compagnons fort malades et outre ces quatre, M. Moreau [54] le père me semble diminuer extrêmement : il est plus pâle que la mort, habet faciem plane exanguem et cadaverosam ; [29] il ne voit presque plus goutte ; imo quoque vereor ne mens ipsa, aut saltem aliquæ eius facultates, brevi trahantur in consortium tam male affecti corpusculi. [30] Malheureuse vieillesse ! tu es une grande dame, mais tu ne viens qu’avec un grand train et plusieurs malheurs, et d’horribles incommodités. Tempus edax rerum, tuque invidiosa vetustas omnia destruitis. [31][55] Notre Faculté fera une insigne perte ex tanti viri obitu [32] et < je > souhaite de bon cœur que ce ne soit encore de longtemps. Le roi avait pris dessein d’aller au Palais le 7e de novembre pour faire déclarer criminel de lèse-majesté le prince de Condé ; [5] ce qu’il n’effectua pas, sur la nouvelle qui arriva que le Mazarin ne pouvait pas être si tôt ici : comme il pensait partir, il avait envoyé 100 chevaux devant pour sonder les chemins, que le prince de Condé découvrit et défit ; à cause de cette défaite, le Mazarin n’a osé entreprendre de passer outre. Et ainsi, ce ne sera qu’après la fête que le roi ira au Parlement faire vérifier cette déclaration contre le prince de Condé, [33] mais ce sera toujours avant que le Mazarin revienne afin qu’on ne dise point que c’est lui qui l’ait fait faire. Le Theatrum vitæ humanæ de Zwingerus [56][57] continue-t-il de s’avancer ? [34] sera-t-il bientôt fait ? combien y aura-t-il de volumes ? Le livre que m’avez envoyé depuis peu in‑8o fait par deux ministres, l’un de Montélimar et l’autre de Nîmes, [58] contre un jésuite nommé La Barre, [12] est extrêmement beau et bien fait, et de fort agréable lecture. Nous n’avons point parmi nous de moines si savants ni qui écrivent si bien que ces deux hommes ; mais je voudrais bien savoir si ce n’est point à Lyon que ce jésuite La Barre a fait imprimer ses livres ; si vous le savez, je vous prie de m’en donner avis, et même de me les acheter et me les envoyer s’il vous plaît, en cas que vous les trouviez. Il me semble qu’il y a bien ici force objections qu’un jésuite aura bien de la peine à réfuter. Ce 13e de novembre. Enfin, il faut que je vous fasse part de mon affliction, laquelle est extrême : c’est que nous avons perdu hier à onze heures du soir un de nos compagnons qui était un honnête homme, âgé de 32 ans seulement et bien digne d’une plus longue vie ; c’est le pauvre M. de Montigny, [59] qui répondit sous moi il y a cinq ans, de Sobrietate. [35][60] Je l’avais heureusement marié à une riche veuve à laquelle il ne laisse pas d’enfants. Il commençait à être bien employé et était en grande réputation d’un fort savant jeune homme dans notre Compagnie. Il est regretté de tout le monde qui l’a connu. Je pense qu’il n’est mort que d’avoir trop étudié : il avait la poitrine faible, une malheureuse fièvre continue l’a emporté avec une méchante toux et d’horribles convulsions ; il y avait huit bons médecins qui le voyaient deux fois par jour, et d’ordinaire. Si Pergama dextra defendi possent, etiam hac defensa fuissent. [36][61] Je suis tout désolé de cette mort, j’y perds un bon et fidèle ami, mais j’en ai encore un autre regret fort sensible pour la perte qu’y fait notre Faculté, cuius erat futurum singulare ornamentum, si adhuc in decennium superstes esse potuisset. [37][62]
Le roi a été ce même jour au Parlement où il a fait vérifier en sa présence la déclaration contre les princes de Condé et de Conti, [63] et Mme de Longueville [64] qui sont déclarés criminels de lèse-majesté. [65] On s’est dépêché de faire cela avant que le Mazarin soit arrivé afin qu’on ne dise point que ce soit lui qui le fasse faire. En même temps, M. le garde des sceaux de Châteauneuf [66] a reçu commandement du roi de sortir de Paris et de se retirer en Berry. [39] En même temps, il s’est fait à la cour un plaisant mariage : Mme de Beauvais, [67] qui est la première femme de chambre de la reine [68] (qui est celle que la reine appelle ordinairement Catau), avait une belle et jeune fille [69] à marier ; [70] le duc de Richelieu, [71][72] qui est le second d’entre les neveux que le cardinal de Richelieu, son oncle, a laissés à Mme d’Aiguillon [73] afin qu’elle ait soin de leur éducation et qu’elle les fasse élever en grands seigneurs, avec les écus fort immenses qu’il a dérobés avec tant de fourberies et de malheurs à toute la France, est devenu amoureux de cette jeune fille ; la Catau, avec le crédit qu’elle a près de sa maîtresse la reine, a su si bien prendre l’occasion que la noce s’en est faite malgré tout le crédit et tous les écus de Mme d’Aiguillon ; si bien que le mariage est fait et consommé. [40] La tante crie fort et se tempête rudement, mais c’en est fait : voilà la fille de M. de Beauvais, [74] lieutenant du grand prévôt de l’Hôtel, [75] héritière du cardinal de Richelieu. Le premier des neveux [76] s’est marié aussi contre le gré et l’attente de sa tante d’Aiguillon, mais il s’est mieux adressé en prenant la veuve d’un grand seigneur, laquelle est fille de M. du Vigean [77][78] qui est pareillement grand seigneur et fort riche. Et voilà comment se vérifie le proverbe des bonnes gens, que ce qui vient de flûtes s’en va en tambourins. [41] Tous ces deux mariages se sont faits et accomplis fort malgré cette mégère de tante, laquelle est la plus avaricieuse femme du monde et d’autant qu’elle n’est riche que des larcins de son défunt oncle qui a été le plus grand et le plus rude tyran de son siècle ; on s’en moque de deçà. [42] Pour l’épître dédicatoire du Sennertus, [79] puisque MM. Ravaud [80] et Huguetan [81] la veulent bien laisser sous mon nom, j’en suis pareillement d’accord et leur en ai obligation. Toute l’épître est si belle et si fleurie que je n’y puis rien trouver à redire, elle sent et témoigne par tout l’affection de celui qui l’a faite, duquel j’ai beaucoup d’autres obligations, desquelles je ne sais quand je m’en pourrai acquitter. Je vous supplie seulement de mettre dans le titre Eruditissimo consultissimoque viro D. Guidoni Patino, Bellovaco, doctori Medico Parisiensi et saluberrimæ Facultatis Decano, Musagetæ ac Mecænati perquam venerando Salutem et Observantiam, [43] j’entends Salutem tout du long. Ce n’est pas que les autres mots du titre me déplaisent, ils sont in genere laudatorio, [44] et les uns et les autres sont bons ; de sorte qu’en cela rien ne me touche extraordinairement ni particulièrement. C’est assez que vous le veuillez bien comme je vous le propose ; sinon ce sera comme il vous plaira, vous y pourrez changer et ajouter ad libitum. [45] Je trouverai le tout très bon quand il viendra de votre part, mais je vous prie que la qualité de doyen y soit exprimée, qui est la plus belle rose de mon chapeau ; et comme je veux achever de la même façon que j’ai commencé, étant fort éloigné de toute ambition, je n’en souhaite jamais d’autre après celle de vos bonnes grâces et d’être votre très humble serviteur. Et si la vraie et parfaite amitié gît dans les trois choses requises par cet ancien, idem velle, idem nolle, idem sentire, ea demum vera amicitia est, [46][82] je ferai ce qui me sera possible de mon côté afin qu’elle ne manque ni ne défaille jamais. Aujourd’hui, mardi 19e de novembre, M. Jost, [83] libraire de la rue Saint-Jacques, [84] m’a envoyé céans un paquet qu’il a trouvé dans ses balles qui venaient de Lyon. Le paquet m’est adressé et trouve dans icelui trois livres desquels M. Ravaud m’a fait par ci-devant mention, savoir Historia Mexicana [85] in‑fo de Rome, le Vite de Pittor di Georgio Vasari [86] et pour le troisième, Consultationum medicinalium opus Iulii Cæs. Bened. a Guelfalione, [87] in‑4o. [47] Je ne dis rien des deux premiers, dans lesquels néanmoins je trouve quelque chose que je n’entends point, principalement dans les commencements des Vies de peintres ; mais pour le troisième, qui sont des consultations de médecine, [88] il est manifestement imparfait de la moitié d’un alphabet, qui est le deuxième depuis la lettrine Mm exclusivement et que j’ai, jusqu’à la fin de l’alphabet. Je vous prie d’en avertir M. Ravaud, à qui je baise très humblement les mains, et le prier de ma part de me recouvrer les onze feuilles qui manquent en ce livre. [48] Des autres, je n’en dis rien, je lui en tiendrai compte ; peut-être que ces onze feuilles se trouveront en leur magasin au paquet de cet auteur ; et quand vous les aurez, vous m’obligerez de chercher quelque commodité pour me les faire tenir, aussi bien que et avec le nouveau livre du P. Théophile Raynaud de bonis et malis libris s’il est achevé. [49] La liberté étant rétablie sur les chemins, il y aura dorénavant plus de commerce qu’il n’y en a depuis un an et y a apparence que MM. Huguetan ou Rigaud enverront ici à leurs correspondants quelques balles de nouveaux livres. La reine a aujourd’hui été au couvent des religieuses de Sainte-Élisabeth, laquelle était aussi une reine. [50][89] C’était aujourd’hui la fête, elle a été par tout le monastère et par ce moyen, grande quantité de dames y ont eu libre entrée. Elle y a entendu vêpres et le sermon où un docteur de Sorbonne [90] nommé M. Héron [91] l’a fort apostrophée, [51] lui a fort recommandé la paix et la nécessité d’icelle, s’est plaint à elle que l’amnistie que l’on avait promise à Paris tout entière n’avait point été telle ; que c’était la douceur de la paix qui remettait les esprits en tranquillité, mais que les paroles des rois devaient être saintes et leurs promesses inviolables ; que ces restes de colère entretenaient l’aigreur et l’amertume de plusieurs mécontentements dans l’esprit des sujets, etc. Bref, il a si bien parlé à la reine, si chrétiennement et si charitablement, qu’il en a été loué par tout son auditoire. Sic canis allatrat Lunam, nec Luna movetur. [52] On ne laisse pas d’espérer toujours que le Mazarin reviendra bientôt, j’entends ses créatures et les partisans qui prétendent bien fort de rétablir leurs affaires par son retour. Attendant quoi, on ne laisse pas de vendre et de débiter ici quelques libelles diffamatoires, [92] pour lesquels on a emprisonné par ordonnance du lieutenant civil plusieurs colporteurs, tant hommes que femmes, dont quelques-uns ont eu le fouet publiquement, et même une femme aujourd’hui par plusieurs carrefours de la ville ; [93] il y en a encore plusieurs dans la prison. Mme la duchesse d’Orléans a été fort malade en sa couche et l’est encore. Trois de nos médecins y ont été appelés qui la traitent, dont M. Riolan en est un. On fait ici pour le recouvrement de sa santé les prières de quarante heures par toutes les paroisses de Paris. [53][94] Quelles nouvelles avez-vous de Strasbourg, du livre de M. Sebizius [95] de curandi ratione per sanguinis missionem, [54] est-il imprimé ? Je vous prie de m’en acheter un dès qu’il y en aura quelques copies à Lyon. M. Rigaud ne fait-il pas commencer l’édition de notre manuscrit de notre bon ami feu M. Hofmann ? [96] Voilà le mauvais temps qui passe et qui ne s’est guère fait sentir du côté de Lyon, je vous prie de l’en faire souvenir et qu’il est désormais grand temps qu’il s’acquitte de la parole qu’il m’a donnée, vu même que le public y a un notable intérêt, aussi bien que la mémoire du défunt auteur. Dès qu’il y aura une feuille de faite, vous m’obligerez de me l’envoyer afin que je voie le commencement de cet ouvrage tant désiré, tant attendu et tant ballotté. [55] L’auteur même vivant n’a point eu le crédit de le faire imprimer à Nuremberg, [97] c’est pourquoi il l’envoya à Francfort ; comme rien n’y avançait, un conseiller de Francfort fit délivrer la copie à un libraire d’Amsterdam [98] nommé Jansson [99] qui, après l’avoir gardée six ans, s’est vu obligé de la rendre, et m’a été presque miraculeusement remise entre les mains ; je n’ai pu, à cause de notre guerre, la faire imprimer à Paris et je ne suis plus qu’en peine si Lyon en aura l’honneur. Hoc opus, hic labor est. [56][100][101] Mais enfin me voilà au bout de mon papier, je vous baise les mains et suis de tout mon cœur, Monsieur, votre très h. et très ob. serviteur, Guy Patin. De Paris, ce mercredi 21e de novembre 1652. [57] Monsieur, [102] Depuis mes quatre grandes pages écrites, en attendant que le courrier parte à son jour, [58] je vous dirai qu’il y a ici plusieurs banqueroutes [103] depuis huit jours et que le mauvais temps se fait sentir aussi bien sur les riches que sur les pauvres. Il est venu nouvelles de Languedoc que M. de Saint-Aunais, [104] gouverneur de Leucate, [105] a pris le parti du roi d’Espagne [106] et qu’il a mis garnison espagnole dans ses places en suite de quelque mécontentement qu’il a eu de ce qu’on ne l’a point fait maréchal de France comme on lui a promis depuis quelques années. Il avait ici trois enfants au collège que l’on a arrêtés et mis en bonne garde. [59] Sainte-Menehould [107] s’est rendue au prince de Condé. [60] On parle ici d’accord avec lui, et que la reine lui a envoyé offrir ce qu’il avait désiré et demandé par ci-devant ; à quoi véritablement il acquiesce, mais qu’il ne peut pas l’accepter sans en avoir averti le roi d’Espagne. Tout cela est bien long, ce sont des ambages et des cérémonies de princes. Interea patitur iustus, [61] la Champagne était assez ruinée sans ce nouveau quartier d’hiver que le prince de Condé y est allé faire. Bone Deus ! quantas strages habet bellum. [62] Les princes sont bien malheureux de causer tant de désordres. On dit ici que le prince de Condé a investi Sedan [108] avec 14 000 hommes et qu’il n’en quittera rien qu’il n’ait le Mazarin. Il s’est rendu maître de plusieurs places de là alentour qui facilitent l’affaire, mais je ne tiens pas le Mazarin assez sot pour s’être laissé enfermer, il faut attendre le boiteux. Il court ici un dangereux bruit de la mort de M. Naudé [109] en Suède, quod absit ! [63] Il y a longtemps qu’il est mon bon ami, cette nouvelle m’étonne fort et en aurais très grand regret. J’aimerais mieux qu’il fût mort cent mille moines et cinq cents chimistes, [110] je n’en veux rien croire que d’autres plus certaines nouvelles ne nous soient venues. J’espère que Mlle Caze [111][112] vous rendra la présente, [64] faites-moi la faveur de l’assurer de mon très humble service. Je me recommande à vos bonnes grâces et à ma bonne amie Mlle Spon, laquelle me connaît comme si elle m’avait nourri à ce que dit M. Du Prat, [65][113] et croyez que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, Guy Patin. De Paris, ce vendredi 22e de novembre 1652. | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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